UGO. MON ZEBRE. MON MIROIR par Charlotte R. (sur Facebook)

(Texte revu et complété… car les années passent)

Mon fils est mon premier enfant. J’étais jeune, aux études, et émerveillée par ce petit gars. Logique, j’ai grandi entre filles, une zigounette à nettoyer c’était suuuuper nouveau dans mon horizon.
Le papa étant plutôt playstation et répète métal-que-tu-entends-pas-les-notes-mais-que-tu-vois-que-c’est-vachement-complexe-et-que-tu-comprends-rien-tu-es-trop-bête, je me suis essentiellement occupée de lui. A ma grande joie puisque j’avais enfin découvert ma place sur Terre : avoir des enfants. J’en ai trois aujourd’hui. Comme toutes les mamans (du moins j’imagine, enfin, non, j’espère !) je me suis émerveillée de ses premiers mots. Il avait neuf mois.

Comme toutes les mamans, j’ai été super fière quand il a fait ses premiers pas. A un an.
Je ne me suis pas posée de question quand il s’est mis à faire des phrases complexes. Avant deux ans. Ni même quand il racontait par cœur des histoires vachement longues en prenant des intonations différentes en fonction des personnages. A deux ans. Toujours cette même année, je ne me suis pas étonnée du tout qu’il compte.
Je me souviens de petits épisodes succulents comme cette fois où je l’ai surpris en train de colorier le mur de l’appart tout blanc… Ma tronche ! J’ai voulu le gronder, évidemment, faut montrer les limites et ça, j’avais intégré !
Mais au moment où il voit ma tête, le voilà qu’il me dit d’une petite voix : mais maman… repeindre de couleurs les murs de la cabane du pêcheur… Merde ! Je ne pouvais pas le gronder. C’était la chanson qu’on écoutait tous les matins en allant à la crèche… J’avais trouvé ça super mignon.

Étant mon premier enfant, il était ma référence. S’il entrait à l’école maternelle en comptant, en faisant des petits calculs, en parlant comme un avocat, c’était « normal ». Je me souviens des petits sudokus qu’il faisait l’été avant sa rentrée scolaire.
A l’époque, j’avais une vie de couple de merde et j’ai fini par quitter la maison.
Grand changement et porte ouverte à mille questions. Il venait d’avoir trois ans.
maman, être citoyen c’est quoi ?
– maman, réfléchir, c’est se taire pour parler ?
– maman, quand je serai le grand-père d’une autre personne, toi, tu seras morte ? (suivi évidemment d’une crise de larmes aiguë qui me fait arrêter la voiture immédiatement) + toutes les variations possibles de la décomposition d’un corps dans le sol, par quoi on est mangé, et donc on est dans le corps d’une plante ou d’un animal, etc…
les nuages bas c’est dangereux. Ben oui, imagine qu’ils s’endorment sur le monde ?!

Oui, les discussions avec mon fils étaient passionnantes ! Et, de nouveau, je ne vois rien, si ce n’est la chance d’avoir des discussions philosophiques avec un bonhomme de trois ans.
Ceci dit, je commence à percevoir l’écart qui se creuse avec ses copains de classes. Les « je n’ai rien fait » ; « je n’ai rien appris » ; « je m’ennuie » ; « c’est trop facile » ; « j’ai dessiné parce que j’ai fini en premier » sont monnaie courante depuis qu’il est à l’école. Et, d’un côté je vois le niveau fort bas de ce qu’on lui demande de faire à l’école (mais ce n’est que mon avis, je le répète, mon fils est ma référence et si lui est ainsi, les autres sont forcément comme lui) d’un autre côté, les questions qu’ils me posent sont de plus en plus complexes.

Allez, j’avoue, ses questions, tout le temps, pour tout, moi, parfois, ça me broute. Ou ça me fatigue. Au choix.
maman, pourquoi tu dis ça alors que tu le fais quand même ?
– et pourquoi je dois faire ça ?
– et tu avais dit dans deux minutes, mais c’est quoi une minute ?
=>alors tu mens, tu avais dit deux minutes et là ça fait beaucoup plus de minutes !
– j’arrive, j’arrive ! J’ai quand même le droit d’arriver lentement non ?!
– maman, c’est quoi la densité d’un trou noir ? (juste avant d’aller dormir, classique)
Je commence franchement à ouvrir les yeux quand, un jour, voulant me parler de la vitesse des satellites non naturels (ouais, rien que ça… Fallait voir ma tête!) il se met à pleurer à chaudes larmes parce que «je peux pas tout te dire, mon cerveau va trop vite ! »

OK. Je perçois mon gamin en difficulté. Et, je comprends tellement bien ce qu’il me dit…

Je vous passe les détails, mais tests faits, mon petiot est un zèbre, et pas à moitié. Il a un méga processeur dans le ciboulot (si pas plus) mais des imprimantes vachement lentes. Ho frustration !!
Bon. Voilà. On ne va pas en faire un fromage. On va faire avec.
Mais fuck. Ça ne va pas être de la tarte.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, être zébré ce n’est pas avoir de l’intelligence en plus. C’est avoir une intelligence différente.
C’est se situer sur l’extrémité d’une courbe. Manque de bol pour les zèbres, ils se situent dans « la bonne » extrémité de cette courbe. Pour eux, on ne doit pas s’en faire puisqu’ils sont plus malins.
Eh ! bien, non, désolée, ce n’est pas ainsi que ça fonctionne.
Que l’on se situe dans une extrémité ou une autre, on a besoin d’un soutien et d’un accompagnement parce que rien n’est fait pour nous lorsqu’on n’est pas dans la norme. Le câblage n’est pas le même. Ce n’est ni bien ni mal, c’est juste ainsi. Mais ce n’est pas à nier.
J’ai trop entendu de « ben tu vois qu’il est comme les autres, il n’a même pas 100 % partout et son copain truc-bidule réussi parfois mieux que lui » Il n’est pas question de ça. Et si c’était si simple, il n’y aurait pas un tiers de zèbres qui loupent l’école, voir l’abandonnent et s’en font une phobie…

Ce n’est pas à nier parce qu’il a son curseur sensibilité/émotivité au max. Parce que son sens de la justice est autrement développé.
Ce n’est pas à nier parce que si tu trouves pas des trucs et astuces (comme virer TOUS les livres de sa chambre) il s’endort pas avant minuit et bonjour les difficultés au matin.
Ce n’est pas à nier parce que quand tu dis blanc, c’est blanc, et pas blanc cassé ni moucheté et que NON, il ne joue pas sur les mots (vachement trop entendu celui-là!) c’est comme ça qu’il appréhende le langage.
Ce n’est pas à nier parce que faire une seule chose à la foi (genre manger, juste manger, et laisser son cul sur une chaise) c’est simplement insupportable.
C’est de l’énergie oui, parce qu’apprendre à être maman, c’est une chose, mais être maman avec ces données-là, c’est encore une autre chose.
C’est arriver à trouver le juste milieu entre le laisser se lever de table parce qu’il en a besoin, et lui demander, cette fois de rester assis parce qu’être à table c’est aussi partager un moment avec toute la famille et que c’est important.
C’est arriver à calmer des sanglots de larmes de bonheur et des sanglots de tristesse/rage parce qu’il a été surpris de perdre à un jeu. (et que d’un coup, évidemment, il se demande s’il est pas assez bon même si le jeu en question est indiqué à partir de 9 ans, et que lui en a 6)

C’est lui donner confiance en lui pour qu’il puisse apprendre à rouler à deux roues.
Mais… Qu’ai-je dit là ? Apprendre ? Non, mon fils ne sait pas apprendre. Il sait. S’il ne sait pas, tout de suite, là, pouf, d’un coup, parfaitement, il ne fait pas… On ne sait jamais qu’il rate… Ouais, intolérance à l’échec. On va rire.
Et puis, c’est choisir de répondre à ses questions, même si certains pensent que je le pousse trop. Je devais faire quoi, selon ces gens, quand il m’a demandé (en deuxième maternelle) de lui apprendre à utiliser l’équerre à angle droit ? Lui dire que ce n’est pas de son âge ? Ben non. Et il a passé pas mal de temps à comparer des angles. Et il était content.
Je devais l’envoyer balader quand il me demande comment faire 3600+3600 ? Ben non, on apprend le calcul écrit avec report des dizaines. Et ça l’amuse.

L’âge c’est relatif. Le système scolaire, le gouvernement décident du moment précis auquel tu dois savoir calculer 8+3 et lire le son complexe « ou ». Non mais vous vous rendez-compte ?? Au moment même de notre conception, on a déjà cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, cette date fatidique à laquelle on devra faire nos preuves. Tout un groupe d’âge en même temps, à la même heure, à la même minute, à la même seconde. Mais qui sont ces gens pour décider ainsi de ces dates, identiques pour tous ?
L’école est une prison qui endort l’esprit de tous et frêne celui de nos petits zèbres. Et si après une balade dans les bois avec sa classe il demande à regarder les feuilles ramassées au microscope, on lui répond juste de sortir sa colle et de faire son bricolage. Moi, je sais qu’il n’en a rien à secouer de son bricolage, et qu’il risque de faire le con. Par contre, avec un microscope devant les yeux, elle aurait la paix, sa prof. Elle pourrait faire son collage et lui ses expériences. Mais non, le microscope, ce n’est pas avant l’entrée en secondaire, sauf rares exceptions.

J’ai bien tenté d’alerter l’équipe pédagogique. Mais je n’ai pas trouvé, dans un premier temps, d’oreilles attentives. Ce fut à moi de glisser son encyclopédie dans sa mallette histoire qu’il puisse s’occuper en classe.
Il a fallu attendre la quatrième primaire pour que son professeur me convoque pour me dire que ce n’était pas tenable de le garder dans cette année et qu’ils allaient tester un jour par semaine en cinquième. J’ai souri. Évidemment.
En décembre il avait donc sauté une classe. En avril on me proposait qu’il passe son CE1D. A neuf ans.
J’ai refusé. Ils allaient devoir se débrouiller, mais je n’allais pas envoyer mon fils en secondaire à neuf ans.
Il y est finalement entré à dix et, heureusement pour lui, il est grand et costaud. Son âge est passé inaperçu.

Aujourd’hui, il n’a pas de difficulté à l’école. Il a onze ans en deuxième secondaire et tout va bien. Enfin, bon, j’avoue, ses questionnements existentiels continuent. Par exemple, il remet en question la pertinence des travaux demandés. Après la lecture d’un livre, réaliser une boite à lire avec un petit résumé, un dessin et quatre adjectifs, ça le broute sévère. Il me dit qu’il ne fait se travail que pour satisfaire son prof et que, lui, ben il aimerait plutôt animer un débat dans sa classe. Mais bon. Faut apprendre à donner à l’école ce qu’elle veut. Même si ça ne fait pas sens. Par contre, faudra pas s’étonner qu’il se barre en douce sur les chemins de traverses dès qu’un truc un peu bidon est demandé. Genre ces fameux travaux de français. Qu’il ne fait que contraint et forcé (après négociation, larmes de rage et grand sentiment de ne pas être compris) alors qu’il a déjà des mois de retard, qu’il a menti à son prof et que ça lui revient dans les dents.

Où est le plaisir ? Quand, en plus, non n’y trouve pas de sens ? Patience mon bonhomme.
Oui, patience parce que tu n’es pas câblé pour ce système.
Patience parce que tu vas en avoir besoin pour dompter tes pensées et apprendre à donner à l’école ce qu’elle te demande. Et oui, ça va te foutre en rogne mon grand, je sais. Et oui tu ne trouveras ça pas juste. Parce que ce qui est juste pour toi se situe à un autre niveau et que ça te nouera la gorge.
Patience parce que tes passions, défendues avec toute ta force, ne seront que peu comprises et que tu seras perçu comme trop entier, trop engagé, trop catégorique, enfin trop quelque chose quoi qu’il arrive.

Faudra apprendre à te taire, ou parler autrement. Toujours dans la bienveillance, et, franchement, c’est pas toujours facile.
Mais, surtout, sois patient avec toi-même, et indulgent.
Un arbre des possibles sans limite est devant toi. Tout est envisageable. Si tu apprends à apprendre comme les autres (oui, à nouveau ce n’est pas juste, ce sera toujours à toi d’apprendre à faire comme les autres et pas le contraire) tu pourras faire ce que tu veux de ta vie. Vraiment. Ce que tu veux.
Et patience mon grand, parce que j’apprends, en même temps que toi, à vivre les rayures et que je n’ai pas toujours l’intelligence qu’il faut pour faire face aux tiennes.

Charlotte R. (sur Facebook)

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