01 février 2021
Violences policières : LETTRE OUVERTE AU BOURGMESTRE DE BRUXELLES
Lettre ouverte à Monsieur Philippe Close,
Bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Président du Collège de la Police
Monsieur le Bourgmestre
Je suis le papa de Simon, 16 ans, un des adolescents arrêté en marge de la manifestation de dimanche dernier et enfermé dans une des cellules du Commissariat d’Etterbeek comme 92 autres mineurs d’âge.
Je m’adresse à vous car vous êtes le Président du Collège de Police, c’est-à-dire le chef de la Police.
Rassurez-vous, je ne suis pas contre la Police. Au contraire, je suis de ceux qui estiment que les policiers exercent un métier indispensable et exigeant dans des circonstances difficiles et qu’ils ont droit à notre respect.
Néanmoins, derrière la grande majorité de leurs collègues se dissimulent des individus racistes, sexistes et violents qui sévissent apparemment dans l’impunité, au sein d’un corps de fonctionnaires dont vous avez la responsabilité.
Ce qui s’est passé à huis clos dans la caserne d’Etterbeek fait froid dans le dos. Les témoignages concordants de nombreux jeunes font état d’une violence inouïe, celle que je ne connaissais qu’à travers les reportages portant sur les exactions policières commises dans des pays non démocratiques.
J’ai été consterné d’apprendre par la bouche de mon fils qu’à Bruxelles des policiers chargés de protéger terrorisent ; des professionnels de l’ordre laissent libre cours à leur haine ; des personnes chargées de faire respecter l’état de droit violent les droits de notre jeunesse, ceux de voir protégée leur intégrité physique et psychologique.
Vous vous êtes exprimé dans la presse. Pas un mot sur la violence de la police, pas un mot sur les traumatismes causés, pas un mot concernant les jeunes sauf pour considérer que vous vous demandiez ce qu’ils faisaient là…
Ils s’expriment Monsieur le Bourgmestre, ils font leur devoir de citoyens, ils participent au débat de la Cité.
En laissant la minorité haineuse sévir au sein de la Police, vous laisseriez se creuser le fossé entre les forces de l’ordre et le citoyen. En laissant impunément la terreur porter atteinte à la liberté de s’exprimer, nous éloignerions la jeunesse de nos institutions.
Aussi, nous vous demandons d’éloigner les individus qui salissent leur uniforme. Il nous semble nécessaire d’installer une surveillance dans les cellules pour qu’elles ne soient pas des espaces de non droit. Et il semble indispensable de poursuivre la sensibilisation des forces de l’ordre au rôle d’exemples qu’elles se doivent d’incarner.
Cordialement,
Alexandre Pycke
Bruxelles le 29 janvier 2021
Mon fils Simon 16 ans a été arrêté par la police. C’était en marge de la manifestation de dimanche. Lorsqu’il m’a raconté ce qu’il a vu et subi j’ai pensé à la Biélorussie. Son récit s’intitule « Fermez vos gueules fils de putes »
Le témoignage de Simon : “Fermez vos gueules fils de putes”
« C’était Dimanche. On voulait se faire entendre. Nous, c’est près de 150 jeunes qui manifestaient contre les violences policières. En face il y avait près de 500 hommes armés, matraqués, casqués, des canons à eau, des chiens, des chevaux, un hélicoptère. Le délire. Ils se sont mis à hurler et n’ont plus jamais arrêté. C’est allé vite, en quelques minutes le cercle s’est refermé sur nous. J’étais coincé contre un mur de boucliers. On m’a mis à terre et on m’a lié les poignets.
On nous a ensuite emmenés aux casernes. On m’y a enfermé dans une cellule avec 26 autres garçons, tous mineurs comme moi. Il y avait du bruit. Beaucoup de bruit. Des hurlements, des insultes, des coups qui tombent. On a plus de contacts avec le monde extérieur, on est aux mains d’une bande d’excités. Dans ma cellule certains viennent d’arracher l’urinoir. Ils le jettent contre les grilles. Ils provoquent la police. J’ai peur. Les flics vont forcément débarquer.
J’entends des cris dans la cellule d’à côté. C’est comme ça que je crierais si on me tabassait. Alors je me penche et je vois une silhouette en uniforme qui frappe. De toutes ses forces, sans entendre les supplications. Moi, je n’entends que ça. Les «Pitié !», les «Arrêtez!». Tout s’arrête finalement, le jeune est emmené hors de la cellule, il ne sait plus marcher.
Cette fois, c’est notre tour. Ils sont une dizaine, ils entrent masqués, certains en tenue de combat, tous avec une matraque.
Ils appellent « P». mon ami. Pourquoi lui ? Car sa peau est noire ? Je le vois docile qui se lève. Un premier coup derrière la tête. Il subit sans rébellion. Il est tétanisé.Il est jeté face contre sol. Ils s’y mettent à 5 pour le battre à coups de pieds. Ils l’emmènent. L’angoisse nous prend à la gorge. Que vont-ils faire de lui ?
Ca semble absurde aujourd’hui mais à ce moment-là, dans un climat d’une telle violence je me demande si je vais le revoir vivant.
Je suis cloué au banc, de peur, de froid. Je me sens en danger. Ceux qui représentent la sécurité me terrorisent. Il n’y a plus rien pour me protéger.
Ils nous accusent, une torche dans une main qui nous aveugle, une matraque dans l’autre.
Ils hurlent :
« Fils de Putes !», « Bande de salopes ! », « Sales chiennes ! »
« Quelle est la pute qui a cassé l’urinoir ? »
« La pute ». J’ai dû mal entendre.
« Vous fermez bien votre gueule là hein maintenant? ».
La torche s’arrête juste à côté de moi.
« Baisse les yeux !».
Pas assez rapide. Il se la prend. La gifle. De plein fouet. Elle fait craquer sa nuque et sa mâchoire. Le sang bat dans mes tempes. La colère, l’injustice. L’envie d’hurler moi aussi. Et puis se rappeler de mon impuissance. Alors c’est le froid qui revient, tout à l’intérieur de mon corps. Baisser les yeux. Me faire oublier. La cellule se vide.
Il est 22H. Le cauchemar a duré 6 heures. J’appelle mon père. La police ne l’avait pas averti de mon arrestation. J’entre dans la voiture. J’éclate en sanglots. Jusqu’au lendemain, je ne dirai plus un mot ».
Simon (16 ans)
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