VINGT ANS DE CENTRALE ?

Dans l’argot des polars et des taulards, “la centrale”, c’est “la zonzon” : la prison.
Celle que chante Bernard Lavilliers dans cette très belle chanson d’amour et d’enfermement, où il est dit : ” Je hais la morale / les prisons centrales / les maisons d’arrêt” (“Betty”).
Mais chez nous, depuis les manifs antinucléaires des années ’70, et la chanson éponyme d’André Bialek (“la petite centrale” / 1981), c’est évidemment aussi… les centrales nucléaires !

C’est entendu : on ne règlera pas la question de l’approvisionnement énergétique de la Belgique accoudés au comptoir de Facebook, à coups de “Yaka“, “Faukon“, “Patron, la même chose !“.
Passer d’un “panel” énergétique à un autre, cela demande une planification, des études, des périodes de transition, des objectifs intermédiaires. Et aussi des décisions !
On le sait : face à l’urgence du réchauffement climatique, face à la nécessité de sortir des énergies “carbonées”, face à l’explosion du coût de l’énergie, est aujourd’hui venu s’ajouter le “problème du gaz russe”.
Or comment dépendre énergétiquement d’un pays que l’on boycotte économiquement, en utilisant un pipeline qui traverse un pays en guerre ?
Si la Belgique est directement peu concernée par l’affaire (3,5 % de ses importations gazières), ce n’est pas le cas de ses voisins.
L’Allemagne et le Luxembourg importent plus 50% de gaz russe, et d’autres pays d’Europe, plus de 80% (Pologne, Autriche, Serbie, Slovaquie, Bulgarie,…) !
Mais il ne faudrait pas que la fermeture des vieilles centrales nucléaires belges, prévue dans les accords gouvernementaux de la “Vilvadi” pour 2025, recule indéfiniment, comme la ligne d’horizon, dès que nos pas pourraient s’en approcher !

A trois reprises déjà, les accidents gravissime au cœur des centrales nucléaires de Three Mile Island (USA/ 1979), de Tchernobyl (URSS-Ukraine / 1986) et de Fukushima (Japon / 2011) ont en effet démontré, au milieu de centaines d’autres incidents de moindre importance, que c’était pure folie d’utiliser une technologie qui n’admet aucune erreur, au risque sinon d’empoisonner un pays entier pendant des siècle.
Et c’est d’autant plus vrai en Belgique, où la densité de la population est une des plus hautes du monde.
Parce que des “erreurs humaines” et des “événements climatiques” imprévisibles, statistiquement, il y en aura toujours.
Sans compter l’épineux problème de l’accumulation, du traitement et de la gestion des déchets nucléaires, toujours sans solution soixante ans après avoir été posé.

Or voilà qu’à l’occasion de la guerre en Ukraine, des écolos eux-mêmes semblent vouloir remettre en cause le calendrier qu’ils avaient à l’époque négocié.
À commencer par la Ministre de l’Énergie, la “Groen” Tinne Van der Straeten, et par Jean-Marc Nollet himself, l’actuel co-président d’ÉCOLO.
Evidemment, les libéraux, qui comptent depuis toujours quelques membres actifs du lobby des “électriciens”, dont l’ex-Ministre MR de l’Énergie, la très radioactive Marie-Christine Marghem, frétillent de la queue et encouragent cette “prolongation”.
En ce qui me concerne, la guerre en Ukraine m’a pourtant plutôt amené à une conclusion diamétralement opposée.
Elle me semble avoir confirmé qu’une centrale nucléaire pouvait être un danger mortel en cas de conflit militaire (par bombardement), et malheureusement aussi en temps “normal” (par attentat ou catastrophe climatique).
A mes yeux, c’est donc une raison supplémentaire de fermer les centrales… non de les prolonger d’avantage !
C’est un souriant petit soleil, “Nucléaire non merci!”, qui m’avait fait rencontrer l’écologie au début des années ’70.
Il serait dommage, après avoir eu raison avant tous les autres, que la direction d’ÉCOLO abandonne aujourd’hui ce bel héritage pour un rond de serviette perpétuel au gouvernement.

Claude Semal le 7 mars 2022

NOTA BENE:
En contrepoint à ceci et complément à cette chronique d’humeur, je publie ce “post” de Patrick Dupriez sur Facebook, que je tiens pour un des cadres d’ÉCOLO les plus sincères et les intéressants (et qui est par ailleurs un lointain copain – que je reverrais volontiers un de ces jours). Précisons toutefois que sa rédaction est antérieure aux récentes déclarations de la ministre de l’Energie et de Jean-Marc Nollet, et n’est donc pas une réponse directe à leurs interventions.

“Il ne s’agit pas tant de “sortir du nucléaire” que “d’entrer dans une nouvelle ère énergétique” par Patrick Dupriez

L’invasion de l’Ukraine par la Russie sert de prétexte à certains pour se relancer, à coups de polémiques et d’invectives, dans la promotion de l’énergie nucléaire.
Derrière les chiffres et les enjeux techniques, économiques et éthiques du dossier nucléaire, il y a une féroce bataille de récit qui malheureusement occulte les débats à tenir sereinement sur la transition énergétique.
Les semeurs de confusion sont en effet parvenu à enfermer ce débat dans un cadre étroit, focalisant toute l’attention sur la prolongation (ou non) de 2 réacteurs qui représentent environ 3 % de la consommation énergétique belge.
(En moyenne, entre 2015 et 2020, Tihange 3 et Doel 4 ont produit 17 % de l’électricité en Belgique. L’électricité représente 18 % de notre consommation d’énergie finale en 2020. T3 et D4 = environ 3 % de l’énergie belge. C’est juste un fait !)
Ce n’est pas rien, certes, mais c’est à relativiser par rapport à l’enjeu global et surtout à la trajectoire, dans le temps, de notre stratégie énergétique.

La prolongation de ces 2 derniers réacteurs belges éviterait l’équivalent de 0,25% du gaz consommé en Europe.
Chaque gramme de CO2 compte diront les néo ou pseudo convertis du climat… mais au regard de l’ensemble des efforts de réduction des émissions à réaliser, enfermer le débat de la transition énergétique dans cette question est délétère car cela nous empêche de penser.
Les semeurs de confusion sont aussi parvenu à laisser penser que l’augmentation actuelle des prix énergétiques serait liée à ce dossier (ou à Ecolo…) alors que toutes nos centrales fonctionnent actuellement… Cela n’a évidemment aucun sens et la hausse des prix de l’énergie s’expliquent essentiellement par l’évolution du marché européen et mondial.
Ils tentent également de nous effrayer en pointant une dépendance de notre pays à l’égard de la Russie pour notre alimentation en gaz alors que celle-ci est inférieure à 4% et que notre dépendance en pétrole (30 %) et en uranium (21 %) russes est beaucoup plus importante.
Les 3/4 de notre demande de gaz sont par ailleurs absorbés par d’autres secteurs que la production d’électricité, essentiellement le chauffage et la production industrielle.

Nous devons affronter un énorme problème social et économique, conséquence des prix élevés de l’énergie et bientôt de l’alimentation. En urgence et à partir du réel, pas de manipulations…
La réduction de la consommations d’énergie fossile dans tous les secteurs (transport, chauffage, industrie, agriculture…) et le développement du renouvelable sont le meilleur affranchissement géopolitique que nous puissions envisager. Et nous devons impérativement le faire en donnant une priorité politique absolue aux ménages les moins favorisés économiquement. C’est l’investissement économique le plus rentable à réaliser actuellement.
Au regard du défi de la transition énergétique (coût, sécurité, émissions de CO2, autonomie…) la question de la prolongation des réacteurs de D4 et T3 n’est pas sans importance mais elle est est loin d’être centrale et devrait se poser dans le cadre d’une stratégie à l’horizon 2050.
En ce sens, les écologistes, ou ce gouvernement, ne parviennent pas jusqu’ici à clarifier l’horizon et la trajectoire de cette transition: c’est par le triptyque sobriété, efficacité de gestion de la demande et sources renouvelables que nous parviendrons à être réellement autonomes et durables énergétiquement.
Et nous avons perdu 20 ans pour ce faire à cause du déni et de l’inaction des partis traditionnels !

Dans ce cadre, personnellement, je n’aurais pas nécessairement de problème à dire “nous avons fermé les 5 plus vieux réacteurs et nous en prolongeons 2 pendant 10 ans pour accompagner la transition”.
Mais c’est un piège de croire qu’il suffit – simplement – de le décider.
Ce qui était possible il y a 3 ans quand le gouvernement Michel a confirmé la fin du nucléaire belge ne l’est plus pareillement aujourd’hui.
Pour prolonger D4 et T3, il faut un opérateur industriel (qui si Engie n’en veut plus?) et investir environ 1,5 milliard € pour la remise aux normes de sécurité; il faut plusieurs modifications législatives, une étude d’incidence européenne, une longue procédure d’autorisation, la renégociation du CRM avec la Commission européenne, mettre en oeuvre de nouveaux contrats d’approvisionnement en combustible, etc, etc.
Beaucoup de temps, d’argent, de prises de risques, de négociation sur le financement de la gestion des déchets et du démantèlement des centrales… qui ne seront pas investis dans une véritable transition.
Sans compter que… même en prolongeant les 2 derniers réacteurs, nous aurons, de toutes façons, besoin de nouvelles centrales au gaz pour gérer les pics de consommation pendant quelques années encore. Quadrature du cercle…

Prolongement ou pas, il faut nous mettre en route vers le 100% renouvelable, faire en sorte que les centrales d’appoint au gaz tournent le moins souvent et le moins longtemps possible (réduction et gestion de la demande) et que bientôt elles puissent fonctionner au biogaz ou à l’hydrogène. Il nous faut assurément avancer vers une réelle autonomie géopolitique par la diminution de la consommation d’énergie (industrie, résidentiel, transport…), l’électrification des usages, le développement des énergies renouvelables, du biométhane et d’hydrogène vert…
Il est là notre horizon. Elle est là notre sécurité à venir, pas dans les chimères d’un vieux monde qui disparaît.
Et donc quelle que soit votre opinion sur le prolongement du nucléaire, quelle que soit celle de votre interlocuteur ou bonimenteur politico-médiatique, demandez-lui toujours comment il compte réduire, globalement et drastiquement, notre consommation d’énergie fossile…
Une fois la date de sortie du nucléaire confirmée, il faudra à la fois poursuivre cette trajectoire de transition et inscrire cette stratégie dans un récit positif et clair.
Car il ne s’agit pas tant de “sortir du nucléaire” que “d’entrer dans une nouvelle ère énergétique”.

Patrick Dupriez (sur son compte Facebook)

2 Commentaires
  • didier somzé
    Publié à 19:41h, 13 mars

    Je ne comprenais pas bien pourquoi les mots “Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima” autant que “déchets nucléaires” ne sont pas (plus) prononcés dans le débat de la sortie du nucléaire.
    Maintenant, peut-être que je comprends …
    Merci
    🙂

  • Jean-Marie Lison
    Publié à 10:50h, 10 mars

    Comme l’impression que Tinne Van der Straeten et Jean-Marc Nolet, plutôt que de risquer de perdre la face au revirement des autres partis emmenés par le roquet du MR trouvent dans cette guerre un prétexte pour se poser en personnes responsables. Mais… responsable de quoi, tant il est évident que le nucléaire « civil » n’est jamais aussi dangereux qu’en temps de guerre ? De tout petits politiciens, toujours dans les jupes du Marché…

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