UNE PLAINTE EN « CHORALE » par Bernard Hennebert

 

Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez ci-dessous.

Une salle de quinze mille places accueille le 26 octobre 2024 à Bruxelles un concert des «Choristes». L’affiche de cette activité me semble induire en erreur une partie du public, d’où je décide de déposer plainte à un organe d’autorégulation professionnel belge qui se dénomme le Jury d’Éthique Publicitaire.
Il va refuser de traiter celle-ci, considérant « qu’il n’est pas compétent en la matière ».
Cette façon de refuser de se positionner en affirmant « ne pas pouvoir ouvrir le dossier » est une justification assez régulière pour ne pas traiter des plaintes qui sont parfois encombrantes et cette stratégie du « Circulez, y à rien à voir » est le fait de nombreux organes tant d’autorégulation que de régulation qui existent en Belgique.
Mes lecteurs jugeront par eux-mêmes si ce Jury a eu raison, dans le cas présent, de refuser de se prononcer. Ci-dessous, de larges extraits des échanges écrits pour vous faire votre idée.

Bernard Hennebert

La plainte

Voici ma plainte telle qu’elle a été envoyée au Jury d’Éthique Publicitaire par courriel, le 5 juin 2024 à 14H40, avec un rappel le 14 juin 2024 à 16H10, avec l’envoi de deux photos de l’affiche contestée. Elle restera sans accusé de réception, ni réponse circonstanciée.

« Le film « Les Choristes » de Christophe Barratier, sorti en 2004, remporte un important succès populaire: huit millions et demi d’entrées, multiples diffusions à la télévision, nominé huit fois aux « Césars » en 2005. Il y remporte d’ailleurs deux trophées: le César de la meilleure musique, et celui du meilleur son.
Les « voix » de ce film sont bien identifiées par le public : il s’agit de la « Maîtrise des Petits Chanteurs de St Marc », un ensemble mixte composé de 75 à 80 enfants âgés de 10 à 15 ans issus du Collège Saint-Marc de Lyon.
S’ensuit des concerts avec cette Maîtrise, mais se pose rapidement un problème. Jean-Baptiste Maunier, le jeune soliste fort remarqué dans le film, ainsi que lors des promotions à la télévision, est devenu un chouchou du public. Il quitte le chœur en 2005 pour suivre à New-York les cours de l’Actors Studio.
Les concerts sans sa présence provoquent l’afflux dans la presse régionale de lettres de spectateurs déçus.
Par exemple, en Belgique, Bernard R, de Eupen, a réussi à faire publier son courrier dans deux médias, Le Soir Mag et La Dernière Heure, à propos du concert du 30 juin 2005 à Marche-en-Famenne.
Il écrit : « (…) Nous nous sommes fait avoir. Tout le marketing du concert est basé sur le film, et la vedette de celui-ci, c’est Jean-Baptiste. Si j’ai accepté de payer 46 euros par personne, c’est dans l’idée de le voir, et ses camarades, nous replonger dans l’univers des choristes. Après le concert, une de mes filles a parlé avec le chef de la chorale: il paraît que Jean-Bastiste a mué, qu’il ne veut plus faire partie de la chorale, qu’il veut faire du cinéma… Mais ça, on s’est bien gardé de le dire en présentant l’événement au public… Il n’y aurait pas eu le quart du public présent dans la salle ».

Le responsable de la chorale, Nicolas Porte, réagit pour « Victor », supplément du Soir, dans sa parution du 8 juillet 2005 : « Heureusement, il y a ceux qui découvrent avant tout le chant choral et de jeunes chanteurs passionnés par ce qu’ils font. Peu importe que des « fans » soient déçus. On a notre public ».
Effectivement, mais ce « notre public » comprend aussi de fans apparemment pas informés de l’absence du chanteur pour lequel ils se sont déplacés.
On peut comprendre qu’une chorale puisse ne pas souhaiter mettre en exergue l’un ou l’autre de ses chanteurs dans sa promotion. Mais que faire, en terme de communication, lorsque le cinéma et la télévision ont rendu célèbre l’un d’entre eux, et que celui-ci ne participe plus aux tournées?
Tout organisateur et tout publiciste doit tirer les leçons du passé et tenir compte du fait qu’une partie du public reste marqué par la personnalité de Jean-Baptiste Maunier et espère assister à une prestation de la « Maîtrise des Petits Chanteurs de St Marc ».
Il convient donc de lever toute ambiguïté lors de l’organisation d’autres activités liées au film légendaire « Les Choristes ».

L’ING ARENA de Bruxelles, une salle de 15.000 places, accueille le 26 octobre 2024 « Les Choristes » en concert.
Quel est le contenu de cette activité? L’affiche indique bien vaguement: « (Le concert est) dirigé par Anthony Gabrielle avec Orchestre Symphonique & Chœur d’Enfants ».

La chorale d’enfants du Collège St-Pierre à Bruxelles

La Maîtrise des Petits Chanteurs de St Marc sera-t-elle bien là sur scène ? Existe-t-elle encore ? Si ce n’est elle, pourquoi ne nous donne-t-on par le nom du chœur qui s’exprimera, ne fut-ce que pour respecter l’identité de celui-ci … et le public qui a le droit de connaître cette information détaillée, selon notre législation fédérale?
Pour rappel, notre Code civil indique : «Le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige. Tout pacte obscur ou ambigu s’interprète contre le vendeur».
Le pacte obscur de l’affiche papier réside notamment dans la principale illustration qui reprend l’une des photos parmi les plus diffusées du film où l’on voit les membres de la Maîtrise et où l’on reconnaît bien entendu son fameux soliste Jean-Baptiste Maunier, placé juste au milieu du groupe. Il s’agit donc du choix d’une photo périmée, avec l’intention, ou non, de tromper délibérément une partie du public.

Si l’organisateur tient à tout prix à publier cette photo (on ne peut pas le lui interdire, bien sûr), il aurait fallu la légender afin qu’il soit clair que ce ne sont pas ces chanteurs vus dans le film « Les Choristes» (ce titre du film étant mis en exergue dans l’affiche) qui proposeront une prestation sur scène le 26 octobre 2024.
L’ambiguïté est d’autant plus grande que l’affiche indique par ailleurs de la façon la plus vague qui soit la présence d’un « Chœur d’Enfants » sans plus de précision. Y proposer le nom de ce « Chœur » aurait pu permettre de lever l’ambiguïté.

Constatez enfin une approximation complémentaire dans le texte de cette affiche papier qui ne mentionne que « Les Choristes en concert » alors qu’elle aurait pu être plus précise dans les mots utilisés, puisqu’il ne s’agit pas d’un concert au sens traditionnel du terme mais bien d’un ciné-concert. La mention explicite de la nature de cette activité aurait d’ailleurs permis de mieux comprendre le sens du montage des deux photos de l’affiche ».

Un feuilleton sans fin

En fait, ce refus de traiter cette plainte est une longue histoire et il a fallu beaucoup de détermination pour être certain que le Jury d’Éthique Publicitaire n’évoluerait pas dans sa décision initiale.
Suite à un tout premier envoi proche de celui que vous venez de découvrir, mais qui est daté du 28 mars 2024, voici la réaction de l’organe d’autorégulation, une quinzaine de jours plus tard : « Nous devons vous informer du fait que la mission du JEP se limite à examiner, du point de vue du consommateur moyen, la conformité du contenu d’une publicité par rapport aux dispositions légales et éthiques applicables. Or, nous constatons que votre plainte a davantage trait au contenu de l’activité et de l’orchestre symphonique en question, ce qui ne relève pas de la compétence du Jury d’Éthique Publicitaire. Nous sommes donc au regret de ne pouvoir ouvrir de dossier suite à votre plainte ».

Le 19 avril 2024, je réagis ainsi : « Ma plainte, contrairement à ce que vous écrivez, ne donne pas du tout une appréciation subjective sur le contenu de l’activité. Il n’est nullement question d’indiquer s’il est agréable ou non d’écouter un orchestre symphonique ou la chorale initiale. Ce n’est pas du tout le sujet de cette plainte. Comme vous avez pu le découvrir lors de votre lecture attentive, elle dénonce uniquement la façon de détailler le contenu de cette activité culturelle ( un peu comme indiquer les ingrédients d’une boîte de thon avant achat) qui peut induire en erreur la personne qui la lit (il y a un texte) et la regarde (il y a une photo), et ceci me semble illégal (les mots de cette publicité et l’image sélectionnée pour illustrer son texte).
Bien entendu, je dois constater que votre erreur d’analyse de ma plainte vous permet d’éviter son traitement. Soyez honnête et avouez que c’est un peu facile ! D’autre part, pouvez-vous me définir ce que vous entendez par consommateur moyen? ».

Le 23 avril 2024, le Jury se limite à préciser ce qu’il entend par « consommateur moyen » et réaffirmer sa non compétence à traiter ma plainte.
Il écrit : « En ce qui concerne la notion de consommateur moyen, celle-ci est régulièrement utilisée dans la jurisprudence belge et européenne et correspond au consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
Dans le Préambule du Code de la Chambre de Commerce Internationale appliqué par le JEP, ce qui suit est également précisé sous « Interprétation » : « Les communications doivent être jugées en fonction de leur impact probable sur le consommateur raisonnable, eu égard aux caractéristiques du groupe ciblé et du média utilisé. Cela signifie que les communications commerciales doivent être évaluées en tenant compte des connaissances, de l’expérience et de la capacité discriminatoire du consommateur type auquel il s’adresse, ainsi que des facteurs sociaux, culturels et linguistiques. Par exemple, lorsque l’on juge des communications adressées aux enfants, leur crédulité naturelle et leur inexpérience doivent toujours être prises en compte. Les consommateurs en général sont supposés avoir un degré raisonnable d’expérience, de connaissances et de jugement, et être raisonnablement attentifs et prudents. Les professionnels ou groupes professionnels qualifiés sont présumés avoir un niveau approprié de connaissances spécialisées et d’expertise dans leur domaine d’activité. » (1)

Finalement, après un nouvel envoi où j’exprime mon incompréhension, le Jury revient quelque peu en arrière dans son courriel du 29 mai 2024 en proposant la porte de sortie suivante : « Si malgré tout et dans ce contexte, vous estimiez qu’« Il s’agit donc d’une impression d’une photo périmée, avec l’intention, ou non, de tromper délibérément une partie du public », et que vous souhaitiez que le Jury examine, du point de vue du consommateur moyen, la conformité du contenu de la publicité par rapport aux dispositions légales et éthiques applicables, il conviendrait alors de nous le confirmer via l’envoi d’un formulaire de plainte cantonné au contenu publicitaire lui-même. Nous considérons avoir réagi ainsi de manière constructive et vous remercions d’avance pour votre compréhension ».
Comme proposé, j’ai donc rempli le 5 juin 2024 une seconde fois le formulaire pour les plaintes prévu à cet effet sur le site du Jury, me cantonnant au contenu publicitaire lui-même. Mal m’en prit car jusqu’à ce jour où j’écris le présent article, à l’approche du déroulement du concert bruxellois, donc à la mi-octobre 2024, le Jury d’Éthique Publicitaire a adopté le silence le plus complet pour ne pas répondre à cette seconde version de la plainte qu’il m’avait pourtant conseillé de lui adresser.

En guise de conclusion

Il me semble qu’il puisse y avoir éventuellement quelques raisons à ne pas traiter une plainte. Par exemple, qu’elle soit injurieuse. C’est prévu dans le non traitement des plaintes adressées au service de médiation de la RTBF, par exemple. Ou qu’elle soit illégale par sa formulation (raciste), etc.
Mais en aucun cas que la raison concerne la nature de la personne qui la fait. C’est stigmatisant. Toute personne qui est obligé de côtoyer une publicité dans l’espace public qu’est la rue doit avoir le droit de voir traiter sa ou ses plaintes.
Et puis, comment définir, dans le cas présent, de façon non subjective qui est ou qui n’est pas un consommateur « moyen »?

D’autre part, s’il y a quand même pareil type de restriction, cela devrait être clairement annoncé à l’usager avant que celui-ci s’aventure à rédiger sa plainte.
Mais enfin, quel est l’intérêt à éliminer de l’instruction une plainte pour pareil organe d’autorégulation, alors que faire ce job-là est précisément pour lui l’une de ses raisons même d’exister, et de tenter de faire briller sa profession tant contestée?
Ou alors, tout ceci ne serait qu’un faux semblant? Dans quel but? Pour faire la com, si possible sans remous, des publicitaires et des annonceurs?
Par contre, si le Jury instruit, il peut au contraire affirmer publiquement pourquoi le reproche dénoncé par la plainte n’a pas lieu d’être, du moins à son avis. On permet à cet organe d’exprimer ses pseudos valeurs et il s’autocensure ?
Si j’étais publicitaire (hypothèse personnelle absurde), je serai très fâché d’être ainsi représenté publiquement.

Bernard Hennebert le 15 octobre 2024

  1. https://www.jep.be/sites/default/files/rule_reccommendation/2018_icc_publicite_et_marketing_code_de_communications.pdf
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