28 février 2023
Une interview de Pierre Galand : LES PACIFISTES ET LA GUERRE EN UKRAINE
Face à l’agression de l’Ukraine par la Russie de Poutine, nous avons (presque) tous et toutes naturellement été remplis d’empathie pour la population ukrainienne écrasée sous les bombes et fuyant les combats. Nombreuses sont d’ailleurs les familles belges à lui avoir ouvert la porte de leur maison.
Mais en même temps, les militant·es de gauche de ma génération, qui ont appris à marcher sous des banderoles “Paix au Vietnam” ou “Chili Solidarité”, ont développé une méfiance instinctive vis-à-vis des interventions militaires des USA et l’OTAN qui, sous couvert de “défendre la liberté”, visaient en fait pratiquement toujours à s’approprier les ressources de la planète. Une des dernières en date, la guerre en Irak, déclenchée au dessus des champs de pétrole sous le fallacieux prétexte de “trouver des armes de destruction massive”, n’ayant comme on le sait pas dérogé à cette règle tacite.
Aussi, dans les 100 milliards de dollars d’armements promis par les USA à l’Ukraine, nous voyons autre chose qu’un grand élan du cœur guidé par de nobles sentiments de solidarité internationale.
J’ai interviewé à ce sujet Pierre Galand, un vieux de la vieille des combats pacifistes en Belgique, ex-directeur d’OXFAM-Belgique, fondateur du CNAPD, cheville ouvrière des grandes manifs antimilitaristes des années ’80, qui ont rassemblé jusqu’à 300.000 personnes, et coorganisateur de la manifestation pour la paix en Ukraine de ce dimanche 26 février à Bruxelles.
En contrepoint à l’interview de Pierre, on lira aussi avec intérêt l’avis d’Henri Goldman, qui appelle à une autre manifestation de solidarité la veille, l’avis d’Hugues Le Paige, qui appelle également à la manif du 26, et ma présentation du nouveau livre d’Edgar Morin, qui, à 102 ans, nous offre une ultime (?) leçon d’histoire : ” De Guerre en Guerre, de 1940 à l’Ukraine” (4). (C.S.)
Claude : Bonjour Pierre. Face aux “va-t-en-guerre” politiques et médiatiques, je suis parfois partagé sur ce qu’il convient de faire aujourd’hui face à la guerre en Ukraine. Bien sûr, je condamne l’invasion de la Russie. Mais quel contenu met-on dans cette “condamnation” ? Toi qui as plus d’un demi-siècle de marches pour la paix dans les jambes, comment analyses-tu cette nouvelle guerre au cœur de l’Europe ?
Pierre : Pour en juger, il faut je crois prendre en compte deux éléments
Le premier, c’est le droit international, qui prévoit le respect des frontières et le droit à l’autodétermination. C’est inscrit dans la Charte des Nations Unies de 1945 et précisé dans un certain nombre de textes, notamment la résolution 1514. Ces textes détaillent comment régler les crises et différends qui peuvent apparaître entre deux Etats. C’est un énorme travail qui a été réalisé depuis la fin de la 2ème guerre mondiale et les luttes de libération des peuples colonisés. Un travail tout à fait respectable, dans l’esprit de la Charte des Nations Unies.
Avec deux ambitions : d’une part, assurer la paix et la sécurité, d’autre part, assurer le développement. Et ces deux piliers des Nations Unies ont plus ou moins été défendus, respectés mais aussi violés au cours de tous les conflits de ces septante dernières années.
L’autre élément, c’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, énoncé en 1960 dans la même résolution 15.14 des Nations Unies. C’est la reconnaissance internationale d’une légitimité portée jusque-là par les luttes de libération nationale.
Mais ce droit a été très diversement appliqué et mis en pratique. Il est par exemple systématiquement nié aux Palestiniens par l’Etat d’Israël, au peuple sahraoui par le Maroc.
Selon que l’on soit ou non “ami de l’Occident”, on pourra dès lors ignorer ce droit, en rappeler le principe, se montrer “inquiet” ou “préoccupé”, sans bouger le petit doigt pour le faire appliquer…
Claude : Quel rapport y vois-tu avec l’Ukraine ?
Pierre : Voilà que le grand voisin russe fait la même chose avec l’Ukraine : il utilise la force pour envahir un état voisin, en violation de toutes les normes internationales. L’ONU ne peut donc faire autrement que de condamner cette agression. Et je condamne moi-même clairement l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Mais une fois qu’on a dit ça, on doit aussi essayer de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là. Et aussi quelle est la responsabilité particulière des Européens dans le déclenchement de ce conflit.
Car après la désintégration de l’URSS, lorsqu’on a commencé à parler du nouveau statut de l’Ukraine, on y voyait plutôt une sorte d’Etat tampon avec qui l’Europe pensait entretenir de simples relations de “bon voisinage”. Il n’était question ni d’une intégration à l’Union Européenne, ni d’une adhésion à l’OTAN.
Après la crise de 2014, ce que l’on a appelé le soulèvement de Maïdan, l’Europe, ou plutôt la France et l’Allemagne, s’étaient vus confier un rôle dans le traitement diplomatique de deux points de tension, l’un à l’intérieur de l’Ukraine (le statut du Donbass, une région majoritairement russophile à l’est de l’Ukraine), l’autre entre l’Ukraine et la Russie (l’accès géopolitique de la Russie aux mers chaudes via la Mer Noire). Mais rien n’a été fait pour résoudre le problème.
Et quand la situation s’est dégradée, l’OTAN a uniquement prôné le réarmement de l’Europe face à la Russie.
Angela Merkel, l’ex chancelière allemande, a confirmé cela lors d’une interview : le but de accords de Minsk était de donner du temps à l’Ukraine, temps que ce pays a utilisé pour s’armer. Un temps que les forces militaires russes n’ont pas utilisé pour envahir l’Ukraine (1).
Alors président des Etats-Unis, D. Trump a exigé une augmentation de 2% de tous les budgets militaires européens. C’est Trump qui va le dire, et c’est nous qui allons l’appliquer après son départ.
La Russie a aujourd’hui envahi l’Ukraine : elle a mis ce pays à feu et à sang. C’est scandaleux, c’est criminel, c’est en violation de toutes les conventions internationales, mais les Européens, qui en avaient pourtant les moyens, n’ont rien fait pour désamorcer le déclenchement de ce conflit. Que du contraire, ils n’ont eu de cesse d’être dans la provocation, ce qui constitue pour moi une rupture par rapport à ce qui a été longtemps la politique de l’Union Européenne.
Je me souviens de ma première manifestation : c’était en 1956, pour dénoncer l’intervention de l’armée soviétique en Hongrie. On connaissait donc bien les Russes, et leur volonté d’hégémonie sur leurs voisins.
Mais en même temps, on négociait parallèlement avec eux des accords pour assurer la sécurité en Europe.
En pleine guerre froide, des hommes politiques comme le belge Pierre Harmel ont été capables de calmer le jeu, d’imaginer des processus et des lieux de négociation entre l’Est et l’Ouest.
J’ai moi-même travaillé au sein du Comité pour la sécurité et la coopération européenne, dans lequel les syndicats étaient extrêmement actifs, à l’est comme à l’ouest, pour négocier bilatéralement des accords de coopération.
Cela a débouché sur les accords d’Helsinki, devenus le socle à la sécurité en Europe, fondés sur ce qu’on appelait différentes “corbeilles” (droits humains, droits sociaux, droits culturels, etc.). Ils permettaient de nourrir les négociations et d’avancer.
Dans le même temps, Les Etats-Unis décidèrent fin des années 70’ début 80’, de déployer des missiles nucléaires de courte et moyenne portée au centre même de l’Europe (les Pershings et les missiles de croisière) face aux SS20 russes.
À travers toute l’Europe, le mouvement pour la paix a été tellement puissant et déterminé, que nous avons pu imposer des négociations russo-américaines, et les missiles ont finalement été retirés tant à l’Ouest qu’à l’Est (même si, ne l’oublions jamais, nous avons toujours eu en Belgique le stationnement dans le plus grand secret de missiles américains aéroportés sur la base militaire de Kleine Brogel).
Et puis arrive 1990 et la chute du Mur de Berlin. Tout d’un coup, on allait faire la paix partout, on n’aurait plus de problèmes, certains parlaient même déjà de “la fin de l’Histoire”. Les Américains pensaient “avoir gagné”, le Monde allait devenir, selon leurs vœux, “un monde de commerce”, et le commerce allait “apporter la paix”.
Comme on le voit, il n’en fut rien. Il y a aujourd’hui la guerre en Ukraine, mais il y a aussi d’énormes tensions en Mer de Chine et ailleurs dans le monde. Je reviens de Kinshasa, et j’ai pu observer de mes propres yeux que le Congo était devenu un lieu de tensions entre Américains, Chinois et Russes, et surtout entre multinationales qui sont là pour piller les ressources naturelles, contrôler les routes commerciales et faire la loi, celle de la jungle.
Claude : Revenons en Ukraine, si tu veux bien…
Pierre : Oui, mais tout est lié. On s’est focalisé sur ce conflit là, mais on ne peut pas le séparer du reste du monde. En Afrique, on m’a parfois dit : “Les Africains vous haïssent, parce que vous n’avez pas fait ce que vous aviez promis. Vous les avez laissés tomber”.
Selon les chiffres mêmes de l’OTAN, on a dépensé en Ukraine en 2022 plus de 100 milliards de dollars en armements, 112 milliards en tout, si l’on y ajoute l’aide humanitaire et financière. Et certains à l’ONU s’en inquiètent en nous disant : “Vous êtes rentrés dans une logique militaire, qui n’est pas la bonne réponse au règlement de ce conflit”.
La seule position de l’Europe, c’est : “Il faut donner à l’Ukraine les moyens de gagner cette guerre“, qui, selon moi, n’est pas “gagnable”.
Il faut revenir aux normes du droit international : les Russes doivent se retirer de l’Ukraine, c’est clair, mais le lieu de résolution du conflit ne peut pas être l’OTAN. Il doit revenir aux responsables politiques représentés à l’ONU.
Il faut sortir d’une russophobie qui est devenue chez nous hystérique dans le chef de certains responsables européens, et remettre en avant les principes du droit international.
Il a toujours existé des lieux de négociation, même pendant les conflits. Le CICR (Comité International de la Croix-Rouge) à Genève a souvent servi de lieu de négociation. L’OSCE (Office de Sécurité et de Coopération Européenne), est un lieu permanent de négociation, qui a géré les conflits entre l’est et l’ouest pendant des années, et qui existe encore aujourd’hui.
Claude : Je ne parle pas de toi, mais beaucoup de gens “à gauche” me semblent transposer à la Russie d’aujourd’hui leurs positions vis-à-vis de l’ex-URSS. Or le régime russe a fondamentalement changé de nature, et l’attitude de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine me semble aujourd’hui plutôt relever d’un impérialisme grand-russe.
Pierre : Tu as en partie raison : Poutine réagit comme un impérialisme face à un autre impérialisme. Mais ce n’est plus vraiment un impérialisme entre États. Comme l’a déclaré le Pape à Kinshasa : “Le nouvel impérialisme, ce sont les multinationales”. Le système économique a pris le pas sur le système politique.
On a tout libéralisé à outrance, les autres ont suivi, l’Etat russe est devenu capitaliste, l’Etat chinois est devenu capitaliste. Ce sont des loups qui essayent de se manger entre eux.
Mais il y a encore un impérialisme qui domine les autres, c’est celui des USA.
Selon le SIPRI (3), le budget militaire américain, c’est 750 milliards de dollars, dix fois plus que les Russes. Même si tu rajoutes la Chine, 230 milliards de dollars, soit autant que l’Europe entière, il y a un impérialisme qui est plus puissant que l’autre, tu peux tourner ça comme tu veux. Le budget d’armement, c’est 1200 / 1300 milliards de dollars pour les USA et l’Europe, contre 300/ 350 milliards pour la Russie et la Chine.
En termes de rapport de forces militaires et de contrôle des routes commerciales, l’Occident est encore largement dominant sur la planète. Et même si la Russie et la Chine sont aujourd’hui des impérialismes, ce sont des impérialismes “secondaires”.
Pour moi, c’est une dérive complète par rapport à tous nos idéaux humanistes d’approuver ainsi une telle escalade militaire. Il faut ouvrir une voie de négociations.
On a trouvé 100 milliards pour armer l’Ukraine, ce qui est plus ou moins la somme que les pays riches avaient promise à la COP24 aux pays pauvres pour sortir du piège du sous-développement et de la crise du climat – mais nous n’avons jamais tenu nos promesses.
Pour moi, qui suis pacifiste, il faut condamner la voie militaire, et je le fais autant vis-à-vis de l’armée russe, qui a déclenché cette guerre, que vis-à-vis de ceux qui espèrent défaire les Russes en armant les Ukrainiens, et en faisant la guerre à la Russie par procuration. Pour ma part, modestement, je m’y emploie.
Claude : Je comprends ton argument sur les 100 milliards et les risques d’escalade militaire. Ce n’est pas la première fois que la question se pose dans l’Histoire.
Par exemple, même si le contexte est évidemment différent, la France du Front Populaire a refusé d’armer l’Espagne républicaine, parce que la France craignait une escalade militaire avec l’Allemagne.
Ceci dit, toi, tu as comparé le budget militaire de l’OTAN avec celui de la Russie.
Mais si tu compares le budget militaire de la Russie à celui de l’Ukraine, le rapport de forces s’inverse complètement.
Pierre : C’est clair, sachant que la Russie est championne en armes nucléaires.
Claude : Laisser l’Ukraine désarmée face à un agresseur qui lui est militairement supérieur, c’est lui faire courir le risque d’être militairement écrasée. C’était d’ailleurs le calcul initial de Poutine : il espérait faire tomber Kiev en quelques jours. Comment dans ce contexte ouvrir la voie à une négociation qui ne soit pas une reddition ?
Pierre : Je ne dis pas qu’il ne faut pas aider l’Ukraine…
Claude : Y compris militairement ?
Pierre : Pas uniquement militairement, et pas d’abord militairement. Quand on entend le président ukrainien parler des “ailes de la paix”… pour obtenir des avions de combat ! Quand même… de quoi parle-t-on, là ? Les “ailes de la paix”, ce sont des YF16, des avions militaires capables de porter des charges nucléaires…
Pour le moment, c’est une escalade militaire, avec chaque fois un palier supplémentaire.
S’il n’y a pas une autre logique qui s’exprime à côté, il n’y a aucun espoir que des gens s’asseyent à une table pour sortir de l’impasse actuelle. Puisqu’on sait que ce conflit va nécessairement dégénérer, puisqu’on parle d’utiliser des armes nucléaires tactiques…
Claude : “On” parle… C’est Poutine qui en parle !
Pierre : Non, non, on en parle des deux côtés, aussi bien l’OTAN que les Russes.
On nous transmet des commentaires sur les discours poutiniens, on ferait bien de nous transmettre aussi l’ensemble des données. Avant même le début du conflit, l’Occident avait préparé l’Ukraine pour un conflit.
Aux abords de Kiev, il y avait un laboratoire américain qui travaillait sur des armes chimiques et bactériologiques, ce qui est interdit par toutes les conventions internationales (3). C’était une poudrière.
Et aujourd’hui, l’OTAN utilise les Ukrainiens pour tenter d’affaiblir durablement la Russie, parce que pour les Américains, affaiblir la Russie, c’est aussi affaiblir “l’ennemi principal”, qui est la Chine.
Donc ne soyons pas naïfs, il y a de la part des USA, et on en revient à “l’ennemi principal”, une volonté de rester hégémonique, volonté qui est contestée par la Chine, mais aussi par un ensemble d’autres pays dits non-alignés.
Et comme les Américains ne peuvent pas le faire seuls, ils ont besoin des Européens, et de l’énorme aide financière qui nous est demandée aujourd’hui. Mon soucis, c’est ça : comment sortir d’une logique de guerre, pour reconstruire l’Ukraine dans le respect des normes internationales.
Claude : Tu parles de négociations, mais il faut être deux pour cela. Pourquoi Poutine négocierait-il, alors que c’est précisément lui qui a choisi l’épreuve de force militaire ?
Pierre : N’importe qui de censé doit proposer de telles négociations. Quand tu entends Madame Ursula von der Leyen, je sais qu’elle a été deux fois ministre de la Défense allemande, mais quand même : c’est une va-t-en-guerre !
Elle n’a aucun respect pour une autre conception de la résolution des conflits internationaux. En Israël, elle soutient pleinement le gouvernement de Netanyahu, qui est le plus à droite que ce pays ait jamais eu, et qui nie complètement la partie palestinienne. C’est odieux pour moi, on est complètement en dehors du droit et des normes qui doivent être ceux d’un monde de respect et de sécurité commune. Comment revient-on vers ce monde-là, au moment où éclate une guerre qui n’est plus “à la périphérie”, comme au Vietnam ou en Afghanistan, mais au cœur même de l’Europe ?
Claude : Oui, comment ?
Pierre : Eh! bien, je vais te le dire ! On rappelle ces normes internationales. On monte au créneau dans les parlements.
Comme lorsque les Russes et les Américains se rencontraient à Genève, sous la pression des opinions publiques, aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest.
Oui, à l’est aussi : moi qui suis un laïc convaincu, je peux t’assurer que les Eglises ont été là-bas des alliés précieux pour structurer le mouvement pour la paix et diminuer le risque nucléaire en Europe. Il faut en revenir là. Faisons-le !
J’ai rédigé une lettre, que je vais bientôt rendre publique : il faut remettre les Nations Unies au centre du jeu, il faut que Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, prenne ses responsabilités et que nous l’y aidions (5).
Il faut dire qui a déclenché cette guerre, qui devra payer des dommages de guerre pour reconstruire l’Ukraine, mais en même temps, il faut mettre les gens autour de la table.
Pour cela, il faut y aller par étapes. La première étape, ce sont des opinions publiques fortes et conscientes que c’est la seule voie à suivre, aussi bien en Russie qu’en Ukraine, en Europe et aux USA.
Claude : Mais est-ce que cette opinion publique existe en Ukraine et en Russie, et si oui, a-t-elle les moyens de s’exprimer ?
Pierre : C’est un des problèmes : ces deux pays ont malheureusement pris des mesures qui criminalisent et mettent en prison ceux qui s’opposent à la guerre. Moi je soutiens ces objecteurs de conscience, aussi bien en Ukraine qu’en Russie.
Ce qu’il faut dire et répéter, c’est : “Nous, opinion publique européenne, nous ne sommes pas pour cette guerre. Nous sommes pro-Ukrainiens, mais Anti-guerre !“.
Et c’est très difficile, parce que l’OTAN a d’énormes moyens de contrôle de l’opinion publique, et parce que la Russie a d’énormes moyens pour contrôler la sienne. Là-bas, la guerre en Ukraine est présentée par les médias comme une “bonne” guerre, comme une espèce de guerre sainte !
Quand je rappelle par ailleurs les grandes manifestations pacifistes que nous avons organisé par le passé en Belgique, et qui ont rassemblé des centaines de milliers de personnes, on me répond souvent : “oui, mais à cette époque-là, les gens étaient conscientisés”. Mais ce n’est pas tombé du ciel ! Il y avait dix ans de travail derrière !
De 1970 à 1980, on a créé le CNAPD (Comité national d’action pour la paix et le développement), on a développé le concept “désarmer pour développer”, et on est finalement parvenu à se faire entendre. Mais cela a pris dix ans !
Aujourd’hui, on est confronté à une guerre qui dure depuis un an, et on a déjà perdu huit ans depuis de début de la guerre au Donbass. C’est urgent !
Tu parlais au début de cet entretien des deux manifestations du week-end prochain.
Mais pour moi, il n’y en a qu’une, celle qui était annoncée depuis trois mois pour le 26 février par la CNAPD (devenu Centre national d’action pour la paix et la démocratie) et par Vreede (NDLR : son organisation “sœur” en Flandre).
Et tout à coup, on a vu apparaître une autre manifestation, datée de la veille, portée essentiellement par des Ukrainiens et quelques intellectuels qui disent en gros : il y a un agresseur, un agressé, point.
Très bien, qu’ils manifestent, mais qu’on ne me dise pas qu’il y a “les bons” (eux) et les “mauvais” (nous). Gardons un esprit critique, et restons “libre-exaministes”, y compris par rapport à ce que fait notre propre “camp”. N’allons pas vers un conflit généralisé : continuons d’enrayer les logiques militaires, pour construire la paix par le désarmement. Voilà, je ne sais pas si je t’ai convaincu…
Claude : …Ce n’est pas parce que je rédige des chroniques chaque semaine que je suis devenu “toutologue” (rires). Par rapport à l’Ukraine, j’ai gardé plus de questions que de réponses. Mais se poser des questions, c’est-à-dire ouvrir le débat, c’est déjà sortir des réponses binaires, et cela participe à la construction de l’opinion publique dont tu parlais tout à l’heure. Moi, quand “je ne sais pas”, je creuse le sujet ou je demande conseil aux “anciens” (sourire).
Pierre : C’est bien que des “vieux” comme Edgar Morin viennent nous rappeler ce qu’est vraiment la guerre, pour nous dire : “Vous êtes fous, ou quoi ?” (4). C’est quand les mères ont commencé à manifester aux USA que l’opinion publique américaine a réellement basculé par rapport à la Guerre du Vietnam. Voyons les éléments qui peuvent faire bouger les opinions publiques, pour faire ensuite bouger les politiques.
Propos recueillis par Claude Semal le 16 février 2023
(1) https://www.monde-diplomatique.fr/2023/01/A/65415
(2) https://www.liberation.fr/checknews/ukraine-que-sait-on-des-labos-presentes-par-la-russie-comme-des-sites-americains-de-developpement-darmes-biologiques-20220311_KFUDYSRLLND4XAHN76R7W6RF5I/
(3) https://www.sipri.org/
(4) Edgar Morin, éditions de l’Aube, “De guerre en guerre, de 1940 à l’Ukraine”.
(5) Voici ce qu’écrit ce 13 février l’un de ses conseillers américains, Jeffrray D. Sachs : https://www.other-news.info/what-ukraine-needs-to-learn-from-afghanistan-about-proxy-wars/
Camille Matthys
Publié à 19:33h, 14 marsmerci de ce débat et éclaircissements