UN PORTEFEUILLE ÉLECTRONIQUE (TA MÈRE !) par Bernard Hennebert

Voici le point 5 du Code des usagers culturels (il y a 15 points en tout) que doivent appliquer près de quatre mille organisateurs subsidiés en Fédération Wallonie Bruxelles.
Et que cela n’empêche pas d’autres de s’en inspirer aussi !
Point 5 : « Indiquer tous ses tarifs (billets d’accès, vestiaire, etc.) à l’entrée de tous les lieux où il accueille les usagers, sur son site Internet et, tant que faire se peut, sur les supports publicitaires écrits. De la même manière, indiquer les réductions occasionnelles – en précisant si elles sont cumulables entre elles ou avec des tarifs réduits permanents – les gratuités éventuelles et les conditions pour en bénéficier ».
Le « etc. » de ce point 5, qui concerne la publicité des tarifications, est essentiel, car l’industrie culturelle ne manque jamais d’imagination pour contourner ses obligations. Dans des disciplines où les prix d’entrée frisent le sommet du supportable, certains organisateurs peuvent en effet être tentés de rechercher ici et là de petits compléments de revenus.
L’exemple du « portefeuille électronique », proposé dans plusieurs festivals d’été, est en ce sens significatif.
Il permet bien entendu d’éviter de perdre votre « vrai » portefeuille, ou de trouer la poche de sa veste avec de la monnaie, mais il est aussi devenu une nouvelle source de profit pour les organisateurs.
Quelques euros par tête de pipe, certes, mais à multiplier par des dizaines, voire des centaines de milliers de participants.

Alain V. garde pourtant un très bon souvenir de cette nouvelle pratique qu’il a expérimentée en 2014 au BKSF, festival se déroulant à Tilburg : « On chargeait la puce intégrée au bracelet sur un terminal de banque dès l’entrée (montant au choix). À chaque paiement s’affichait le montant restant avant, puis après paiement. On pouvait recharger sur le terminal si besoin était et, en fin de festival, récupérer le solde directement sur son compte bancaire. Très efficace pour les bars et aussi pour le client ».
Cela leur permet aussi de détailler précisément ce qui a été vendu durant l’activité par des personnes ou des sociétés extérieures qui doivent leur ristourner un pourcentage sur leurs bénéfices aux organisateurs.

UN REMBOURSEMENT ALLÉATOIRE

Une bonne dizaine d’années plus tard, Marc Uytterhaeghe publie le 22 juin 2023 dans L’Avenir une enquête fournie intitulée « Bracelets « cashless » en festival: la loi de la jungle pour les frais de remboursement ».
Celle-ci pointe d’abord la difficulté pour le public de savoir combien il dépense vraiment au cours du festival, car il faut être fortiche en calcul mental, même si la boisson vous a déjà rendu quelque peu joyeux !
En effet, chaque festival « frappe » sa propre monnaie locale : au Tomorrowland, 1 Pearl = 1,74 euros ; à Werchter, 1 Coin = 3,50 euros; etc. Si vous visitez plusieurs festivals, vous pouvez facilement vous embrouiller. Et vous pousser à dépenser bien plus que prévu, même si vous n’êtes pas bien riche.
Si tel est le cas, sachez que certains de ces événements exigent même un minimum à verser dans cette nouvelle forme de tirelire itinérante. Et cela peut monter, monter : 35 euros par exemple au Torhout Werchter Classic !

Venons-en au plat de résistance. Lorsque vous quittez le festival, si vous n’avez pas dépensé l’ensemble de la somme que vous avez confiée à votre bracelet électronique, il serait logique de pouvoir récupérer l’entièreté de ce que vous n’avez pas utilisé.
L’entièreté? Il n’en est pas question, car certains organisateurs ont créé un « droit de remboursement » de 3,5 euros pour les plus rapaces d’entre eux.
Quand devez-vous demander votre remboursement ? Certains organisateurs fixent une date limite.
Par contre, pas de délais indiqués pour vous payer l’argent qu’ils vous doivent.
Deux poids, deux mesures.
En 2019, l’association belge de consommateurs Testachats avait dénoncé – en vain – ce point précis en ces termes : « (…) Nous considérons que des consommateurs auxquels on impose ce système de paiement et que l’on encourage à stocker de l’argent en suffisance devraient pouvoir récupérer leurs surplus sans frais ».

DES PISTES DE RÉGULATION

Marc Uytterhaeghe conclut ainsi son article : « Peut-être serait-il temps pour le législateur de légiférer en la matière pour éviter les abus. Car pour l’instant, c’est plutôt la loi de la jungle… ».
En Belgique, une première façon de réguler partiellement cette évolution a été, à l’initiative du ministre des affaires économiques Pierre Yves Dermagne (socialiste), l’adoption au niveau fédéral, fin 2023, de l’obligation pour les entreprises privées comme publiques d’accepter les paiements en espèces. Il faudra donc que les payements en cash et par coexistent.
D’où cette question : qu’est-ce qui a été concrètement mis en place par les organisateurs pour les festivaliers qui ont « du cash », mais ni carte bancaire, ni téléphone ?
Selon l’agence BELGA, reprise le 19 juillet 2024 par différents quotidiens (L’Avenir, Le Soir, etc.), Testachats a constaté que neuf festivals d’été majeurs (sur treize suivis attentivement) n’acceptent pas les paiements en liquide pour l’achat des billets, d’une place de parking ou d’un emplacement de camping – alors qu’ ils sont légalement tenus de le faire lorsque la vente a lieu en présence physique du vendeur et de l’acheteur.

Lisa Mailleux, la porte-parole de l’association de consommateurs, explique: « Nous avons contacté les festivals pour leur rappeler leurs obligations. Ceux-ci se justifient par toutes sortes de prétextes, ou indiquent que si les tickets ne sont pas tous vendus, un paiement en cash sera disponible. Pourtant, ils n’indiquent pas cette possibilité sur leur site web, et, en nous rendant sur place, nous remarquons que ce n’est pas toujours vrai » .
D’autre part, l’inspection économique belge a été informée de différentes plaintes et a mené son enquête.
Les résultats de celle-ci ont poussé la Secrétaire d’État à la protection des consommateurs Alexia Bertrand (libérale) à établir des règles d’utilisation pour ces nouveaux types de paiement. Ce travail s’est fait en concertation avec « Event Confederation » (qui représente le monde événementiel dont la fédération des festivals) et l’organisateur « Live Nation ». Seuls des intervenants du lobby économique sont cités.

Dans La Libre du 5 juin 2024, Didier Zacharie titre son article « Les festivaliers seront mieux informés sur ce qu’ils dépensent ». Il y cite l’exemple d’une festivalière qui a réalisé, après coup, que son verre de vin lui avait coûté 8,75 euros.
Le cabinet de Madame Bertrand explique au journaliste : « L’utilisation de tels types de paiement n’est pas interdite en soi, mais elle doit respecter certains principes légaux. Il faut, par exemple, des informations claires pour les consommateurs sur le système et son fonctionnement, ainsi que sur les prix ».
Il conviendra donc d’être attentif au fait que la divulgation de ces prix soit … sans aucune ambiguïté et extrêmement limpide pour l’usager.
Je pense que les usagers culturels devraient demander au pouvoir politique qu’il régule rapidement cette invention qui peut induire en erreur le public ( diverses monnaies aux valeurs différentes selon les activités culturelles).
Que les portefeuilles électroniques n’utilisent donc que l’euro. Est-ce si compliqué ? Ou y a-t-il, au contraire, volonté d’embrouiller le client en masquant ainsi les « véritables » prix ?

AUX ARDENTES, UN PROJET DE RECHARGE « AUTOMATIQUE » !

Il faut donc être attentif à toute nouvelle « subtilité » mise en place, surtout si elle s’avère contraire aux intérêts du public. Et ne pas attendre qu’elle se généralise pour s’y opposer.
Ainsi, pour son édition de 2024, le festival d’été liégeois « les Ardentes » propose-t-il un système de « recharge automatique ».
Le 11 juillet 2024, dans son article paru dans Le Soir et intitulé « La monnaie virtuelle fait perdre de l’argent aux festivaliers », Lara Maestre détaille ainsi cette nouveauté: « Cette option « auto up » recharge, seule, le compte du festivalier lorsqu’il passe sous la barre des 8 flammes (10 euros) avec une somme de 20 flammes (25 euros) ».
Votre « portefeuille » électronique ne se viderait donc jamais (mais votre compte en banque, si !).
Certains festivaliers se sont opposés à cette pratique sur les réseaux sociaux et les organisateurs ont fait marche arrière en n’activant pas cette option pour l’édition 2024 car « elle pouvait prêter à confusion », reconnaissant « le côté déroutant de cette fonctionnalité ».

Dans son communiqué du 19 juillet 2024, Testachats soulève d’autres lièvres, comme l’application de « frais supplémentaires » lors de la réservation des tickets, alors que « les frais supplémentaires doivent toujours être justifiés, et apparaître dès le début du processus de réservation : dans le cas contraire, il s’agit d’une pratique commerciale trompeuse ».
Testachats demande donc « une application plus stricte de la législation, davantage de contrôles de l’Inspection économique et invite à signaler tout incident via un formulaire sur son site ».

Bernard Hennebert

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