21 avril 2023
UN JOUR DE TOURNAGE POUR AMAZON POUR 200.000 EUROS, NON MERCI, J’AI DENTISTE par Blanche Gardin
En 2019, Blanche Gardin refusait la décoration des Arts et des Lettres du ministère de la Culture française. Aujourd’hui, elle refuse de travailler pour un divertissement diffusé par la plateforme Amazon, payé 200 000 euros la journée de tournage. Nos refus sont à valoriser, on pourrait même trouver ça judicieux de les écrire dans nos CVs : ils en disent en général beaucoup sur ce qui nous anime (Stéphane Menti sur Facebook)
Très très cher Monsieur Bezos,
Je suis au regret de devoir refuser votre invitation à participer à la prochaine saison du jeu « LOL: Qui rit sort ! » diffusé sur votre plateforme d’Amazon.
J’ai bien compris qu’il ne s’agissait que d’une seule journée de tournage, seulement voilà, ce jour-là, j’ai dentiste. Et, en tant que troisième fortune mondiale, vous le savez, il faut de bonnes dents bien longues pour réussir dans ce monde.
Il se trouve aussi que je serais gênée aux entournures (pour ne pas dire que ça me ferait carrément mal au cul) d’être payée 200 000 euros pour une journée de travail même si je perds à votre jeu, quand l’association caritative de mon choix remporterait, elle, 50 000 euros, c’est-à-dire 4 fois moins, et encore, seulement si je gagne.
Oui, ça me gêne de toucher, pour 8 heures de travail, cette somme affolante de la part d’une entreprise qui :
– Ne paye pas ses impôts en France et bénéficie même d’1 milliard d’euros de crédit d’impôts alors qu’elle fait 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
– Qui émet 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an (soit l’équivalent des émissions du Portugal) seulement avec ses data centers, sans parler des milliers de camions, d’avions…
– Qui utilise la main-d’œuvre des camps de concentration ouïghours.
– Qui détruit les emplois du petit commerce et toute la vie sociale qui va avec.
– Que les emplois qu’elle crée en en détruisant d’autres sont des emplois éreintant dans des entrepôts déshumanisés, où on traite les employés comme des robots qu’on essore en leur mettant une pression folle avec des cadences infernales et qu’on empêche de se syndiquer…
Tout ça pour quoi ? Pour qu’on puisse commander des couches pas chères depuis notre canapé en se grattant les couilles. Oui, ça me gêne.
D’autre part, en tant qu’actrice et auteure de films, je caresse le rêve un peu fou que mes futurs projets puissent sortir dans une salle de cinéma. J’ai bien conscience que le niveau de dissonance cognitive est très élevé à notre époque, mais vous conviendrez que faire de la publicité pour votre plateforme (puisque c’est de cela qu’il s’agit je crois) reviendrait à me tirer une balle dans le pied. Je n’ai pas envie que dans dix ans plus personne n’aille au cinéma et qu’on soit tous en train de mater des séries sur le canap’ en se faisant livrer des burgers par des sans-papiers qui pédalent sous la pluie.
Si toutefois, me lisant, vous tombiez des nues, ou de l’espace (je connais pas votre emploi du temps ces jours-ci) en découvrant des choses dont vous n’étiez pas au courant et qui vous peinent, et que ça vous donne envie de repenser entièrement votre entreprise, alors peut-être que vous pourriez me réinviter ultérieurement. Et que je pourrais accepter. Lol.
Blanche Gardin (sur Facebook)
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