UN FÉTICHE À PLEIN-TEMPS par Bernadette Schaeck

Taux d’emploi à 80% : un fétiche à détruire. Métiers en pénurie : une fumisterie.
Fétiche : objet auquel on attribue un pouvoir magique et bénéfique.
Omniprésent dans les discours et programmes politiques des 20 dernières années – c’est le cas aussi dans la DPR (Déclaration de politique régionale) adoptée hier par le nouveau gouvernement wallon : le taux d’emploi.
Le relever toujours plus haut serait porteur de toutes les vertus : augmenter la prospérité, diminuer le taux de chômage, sauver la sécurité sociale, lutter contre la pauvreté…
La barre est actuellement fixée (tout-à-fait arbitrairement) à 80%, à atteindre en 2030.
Le taux d’emploi ne tient aucun compte de la qualité de l’emploi.
Temps partiel, durée déterminée, travail occasionnel, intérim, flexi jobs… : précarité à tous les étages, ou CDI (contrat à durée indéterminée) à temps plein et correctement rémunéré, c’est comptabilisé de la même manière.
Le taux d’emploi peut augmenter en même temps que le taux de chômage.
Le taux d’emploi comptabilise les emplois pour lesquels il n’y a pas ou peu de cotisations dites patronales à la sécurité sociale, et qui sont donc loin d’assurer la sauvegarde de la sécurité sociale.
Quant à augmenter la prospérité, ce n’est pas de celle des travailleurs dont il est question, l’augmentation du taux d’emploi à tout prix entraînant l’augmentation du nombre des « travailleurs pauvres ».

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Promeneuse de chiens : un “métier” en pénurie…

La notion de taux d’emploi se marie bien avec celle de métiers en pénurie (ou « fonctions critiques », selon la gravité estimée de la « pénurie »), elle aussi omniprésente dans les discours politiques.
La liste des métiers dits en pénurie ne cesse de s’allonger. Celle publiée par le Forem début juillet 2024 en répertorie 162.
La liste ne cesse aussi de changer (celle de juillet comporte 43 nouveaux métiers sur 162, et 39 de la liste précédente ne s’y trouvent plus).
On y trouve de tout : médecins (merci au numerus clausus !), enseignants (tout semble être mis en place par les futurs gouvernements pour résoudre la pénurie !), ou régleurs d’équipement de transformation des plastiques et caoutchoucs (j’ai trouvé 3 offres d’emploi actuellement sur le site du Forem, dont deux en Wallonie et une en Flandre !).
La notion même de pénurie est définie arbitrairement en fonction d’un certain nombre de critères (nombre de postes inoccupés, durée d’inoccupation…) qui peuvent varier d’année en année.
Le gouvernement wallon (le bruxellois suivra certainement) a décidé d’obliger les chômeurs et les bénéficiaires du RI à suivre une formation et/ou accepter un emploi dans ces métiers en pénurie, sous peine de sanctions ou d’exclusion.
L’objectif de relever le taux d’emploi et de pourvoir les métiers en pénurie ne sert qu’à une chose : taper sur le clou des chômeurs et assistés fainéants/profiteurs, et les obliger à accepter des emplois dans des conditions de travail et de salaire dégradées.

de sept à septante-sept ans.

La CLCD (Cellule Lutte contre les Discriminations) de la FGTB a publié en 2022 une analyse fouillée de 2639 offres d’emploi dans 14 fonctions critiques ou en pénurie (lien en premier commentaire).
L’étude montre que ce sont les employeurs eux-mêmes qui créent la pénurie, en ayant des exigences démesurées (années d’expérience, permis de conduire, disposer d’un véhicule, réunir les conditions pour bénéficier des aides à l’embauche, avoir une formation ou des certifications supérieures au niveau requis…) et en offrant des conditions de travail au rabais.
Exemple : offres d’emploi d’aide-ménagère.
Permis de conduire exigé (64%) ou souhaité (13%) = 77%
Véhicule exigé (46%) ou souhaité (20%) = 66%
Expérience exigée (28%) ou souhaitée (24%) = 52%
Tout ça pour avoir au mieux un CDD Contrat à durée déterminée (73%), en intérim (25%), à temps partiel (47%) ou à horaire variable (34%), l’offre n’indiquant la plupart du temps pas le montant du salaire (70%).
S’ajoutera à cela : le service communautaire pour les bénéficiaires du RI. Du travail carrément gratuit, c’est encore mieux ! Affaire à suivre.

par Bernadette Schaeck, de l’Association de Défense des Allocataires Sociaux

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