18 juin 2024
TROIS SEMAINES POUR FAIRE FRONT POPULAIRE ET BATTRE LA BÊTE ! par Semal
En à peine 24 heures, l’électeur de gauche « lamda » sera passé en France par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
L’horreur d’abord, en découvrant l’extrême-droite largement en tête du scrutin européen, avec près de 40% des voix. Dont 31,5% pour le seul Rassemblement National, qui pourrait désormais se targuer d’être le premier parti de France (même si près de la moitié des électeurs ne se sont pas déplacés aux élections européennes).
Puis un discret contentement, en voyant la liste Macron/Attal, soutenue par tous les partis du gouvernement, se prendre une tôle à 14,5%. Un peu court, madame, pour prétendre à une « majorité présidentielle ».
Un honteux soulagement enfin, celui d’avoir peut-être échappé au pire (sauf le Parti Communiste, qui termine à 2,3% – mais espérait-il vraiment autre chose ?).
Les écologistes dépassent les 5%, sauvent leurs cinq député·es et le remboursement de leurs frais de campagne.
La liste « insoumise » de Manon Aubry gagne 4 député·es, à près de 10%, avec des pics exceptionnels dans les banlieues populaires (60% à La Courneuve, 50% à St-Denis, 54% à Trappes, 42% à Vénissieux, 48% à Vaulx-en-Velin, 54% à Clichy-sous-Bois, 25% à Lille, 24% à Montpellier, 43% à Roubaix, 37% en Seine-St-Denis…). Et cela, au terme d’une mobilisation militante parfois spectaculaire (…178.000 portes « toquées », onze millions de tracts distribués !).
Quant au Parti Socialiste et à Place Publique (Glucksmann), ils se réjouissaient évidemment d’être en tête « de la gauche », avec 13,5 %, grâce notamment au soutien sans faille du « parti médiatique » (11.832 « expositions » dans les médias, contre 5344 à Manon Aubry et 3528 à Marie Toussaint).
Mais Glucksmann, qui a toujours été opposé à la NUPES, prétend aussi avoir reçu un « mandat » de ses électeurs pour recomposer « la gauche » française… en en excluant la France Insoumise. Ce qui est pour le moins curieux.
D’abord parce qu’on votait je crois « pour l’Europe », et pas « pour ou contre Mélenchon ». Et ensuite, parce qu’il me semble absurde de prétendre vouloir rassembler « la gauche » si on commence par en exclure la moitié. Vous imaginez Mitterrand appelant à une « Union de la Gauche » … sans les communistes ?
Voilà où nous en étions, le soir même des élections.
C’est alors que, coup de théâtre et coup de tonnerre jupitérien, Macron renverse subitement toutes les cartes de la table.
Comme un joueur de poker qui n’a pas de jeu, mais prétend bluffer tous ses adversaires avec un trois rails de cocaïne dans les narines, il fait « tapis ! » en espérant plus tard « reprendre la main ». Il proclame la dissolution du Parlement, renvoie tous les députés à la maison, et annonce des élections législatives… pour dans 20 jours ! Gasp !
Ce qui apparait pour le moins kamikaze quand le parti présidentiel fait 15%, et l’opposition d’extrême-droite, près de 40 ! Autant filer tout de suite les clés du gouvernement aux fachos. Jupiter, dit-on, rend fou ceux qu’il veut perdre.
Dans son esprit tordu, voici sans doute le film que Macron s’est raconté.
À ses yeux, après l’explosion de la NUPES, les partis de gauche étaient durablement divisés et paralysés par leurs divisions internes. Bref, totalement hors service.
Ne resteraient donc en piste que les Macronistes et le Rassemblement National.
Son « meilleur ennemi », comme il l’a encore récemment montré en mettant en scène le « débat » Bardella / Attal juste avant les européennes. Ou en proposant lui-même un débat à Marine Le Pen, dans un de ces « face à face » dont il est persuadé de toujours sortir « vainqueur ». Son « opposition de confort » préférée.
Dans une élection à deux tours, il lui suffirait ensuite d’appeler les fameux « castors » de gauche à venir « faire barrage » à l’horrible hydre fasciste – pour espérer rester à flots.
Et si malgré tout, Le RN se retrouvait majoritaire au Parlement, il enverrait ses cadres mettre les mains dans le cambouis au gouvernement – histoire de les « mouiller » un peu avant la présidentielle de 2027.
Cette « stratégie » est certes un truc de taré, un double pari complètement insensé. Mais si vous avez une autre explication à cette absurde dissolution, je serais heureux de la connaître.
Sauf qu’il s’est produit entretemps un miracle – que Macron lui-même estimait impossible.
Dès l’annonce de la dissolution, des milliers de manifestants se sont regroupés spontanément dans les rues de plusieurs grandes villes de France. Beaucoup de jeunes et de militants, appelant la gauche à s’unir.
Les syndicats aussi se sont fortement mobilisés, et appelent à manifester tout le week-end prochain.
Parallèlement, François Ruffin (LFI-NUPES) a lancé un appel pour constituer, face au danger fasciste, un nouveau « Front Populaire » qui pourrait présenter partout des candidats communs face aux Macronistes et au Rassemblement National.
Il a aussi déposé le nom du site « Front Populaire 2024 » et a recueilli plus de 400.000 signatures de soutien en 24 heures.
Parallèlement, la sauce a aussi immédiatement pris entre les cinq partis de l’ex-NUPES : écologistes, insoumis, communistes, « générations » et socialistes. La NUPES aura au moins servi à cela. Le soir même, le principe d’un accord électoral était signé.
Une véritable course contre la montre, car toutes les candidatures doivent encore être déposées… cette semaine !
C’est certes moins un mariage d’amour que de raison – car ces candidatures « uniques » sont le seul moyen, pour les député·es sortant·es, d’espérer retrouver leur siège.
Le PCF, qui avait été le premier à « casser » la NUPES, a ainsi subitement redécouvert les vertus de l’union.
Mais il y a aussi eu un véritable sursaut « unitaire » face au risque de voir l’extrême-droite arriver au pouvoir dans moins d’un mois. Une perspective virtuelle et lointaine qui devient soudain un danger immédiat et concret !
Bien entendu, ce processus unitaire rencontre également de fortes oppositions.
Pour les raisons déjà évoquée ci-dessus, « Place Publique » de Glucksmann, pourtant signataire du pré-accord, semble y aller à reculons. À Paris, « Place Publique » et le PS d’Anne Hidalgo, très anti-NUPES, semble vouloir présenter partout leurs propres candidats.
Une mention spéciale aux deux anciens premiers ministres hollandais, Valls et Cazeneuve, particulièrement odieux en ce moment historique, avec leurs habituelles diatribes anti-LFI. Pour eux, il sera toujours plus urgent de cracher sur Mélenchon que de combattre Macron ou les fascistes. Bienvenue dans les poubelles de l’Histoire.
Mais les réactions les plus hostiles au nouveau Front Populaire sont venues d’associations communautaires juives réactionnaires comme le CRIF (son président Yonathan Arfi a dénoncé un « accord infâme ») et l’Union des Étudiants Juifs de France (qui a parlé « d’une alliance honteuse avec l’antisémitisme »). En répétant en boucle leurs habituelles âneries sur le prétendu « antisémitisme » et « soutien au HAMAS » de la France Insoumise (ce qui est, dans les deux cas, un mensonge éhonté, qu’aucun discours ni écrit n’a jamais illustré, ni aucun tribunal sanctionné. Or en France, l’antisémitisme n’est pas une opinion, mais un délit).
Un mensonge répété ne fait pas une vérité. A contrario, le fondateur du Rassemblement National, Jean-Marie Le Pen, a été, lui, condamné à plusieurs reprises pour négationnisme, injures raciales et antisémitisme par les tribunaux français.
Il est donc hallucinant de voir les petits-enfants de familles juives exterminées par les nazis, s’inquiéter moins des 32% d’un parti d’extrême-droite cofondé par un ancien Waffen-SS, que de la naissance d’un Front Populaire constitué de partis qui ont tous, absolument tous, l’antiracisme profondément enraciné dans leur ADN. La guerre en Palestine a décidément fait aussi beaucoup de dégâts dans les cerveaux.
Ce discours communautariste et RNhaineux du CRIF est d’autant plus insupportable que des milliers de juifs progressistes sont mobilisés en France contre les massacres en cours à Gaza, et pour défendre les droits du peuple palestinien. Je pense par exemple à l’admirable Rony Brauman, l’ancien président de Médecins sans Frontières, ou à l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix).
Pendant ce temps, ce mercredi, les négociateurs du nouveau FRONT POPULAIRE viennent de signer un accord de principe sur la répartition des circonscriptions entre les principaux partis signataires. Ils ont privilégié la candidature des député·es sortant·es (175 « circos » pour le PS, 229 pour LFI, 92 pour les écologistes et 50 pour les communistes).
La NPA (Poutou/Besancenot) a par ailleurs annoncé sa participation au FRONT POPULAIRE, de même que, à l’autre bout de l’alliance, les députés anti-NUPES de Carole Delga.
Il y aura certainement, ici et là, quelques dissidences au premier tour, mais l’importance de l’enjeu devrait sauvegarder l’essentiel : toute « la gauche » unie derrière une bannière commune pour battre les fachos et les Macronistes. Vive le Front Populaire !
À droite, ça dézingue à tout va.
Le président des Républicains, Éric Ciotti, a annoncé un accord avec le Rassemblement National – à l’indignation de la majorité des députés de son propre parti.
Et Marion Maréchal a quitté Zemmour pour suivre le même chemin !
Mais les citoyens aussi se mobilisent. Face au danger, 13200 personnes ont rejoint la France Insoumise en deux jours – et plus de 7000 un groupe d’action !
La France est donc en train de vivre un intense moment de décomposition / recomposition politique, à l’issue encore incertaine, mais aux conséquences gigantesques.
Entre l’Eurofoot et les Jeux Olympiques, les trois semaines de cette intense campagne électorale en France seront donc certainement, elles aussi, particulièrement sportives.
À cheval !
Claude Semal, le 12 juin 2024
NB : Voici la liste des candidat·es de la France Insoumise. Philippe Poutou (NPA) sera candidat sur le quota “LFI”. https://lafranceinsoumise.fr/2024/06/14/candidats-legislatives-2024/?utm_content=link-4&utm_campaign=mail-legislatives-2024&utm_source=nuntius&utm_medium=email
En Bonus, une analyse de Stephano Palombarini. L’économiste Stephano Palombarini, maître de conférence à Paris 8 et membre du Parlement de l’Union Populaire, a publié hier sur son compte Twitter ce scénario-fiction, mais qui me semble avoir pu être assez proche de la réalité.
LE PLAN MACRON / GLUCKSMANN A ÉCHOUÉ
par Stephano Palombarini
Mon explication personnelle à deux épisodes bizarres : Glucksmann, en tête de la gauche, qui pose des conditions que personne n’écoute ; et Macron qui fait une conférence de presse pour ne rien dire.
Et pourquoi aussi il faut remercier ceux qui se sont mobilisés pour La France Insoumise, comme il faut remercier, au passage, Olivier Faure.
Donc, c’est « ma » lecture, mais j’en suis fortement convaincu : Macron et Glucksmann avaient un projet commun en trois étapes : 1/ disqualifier La France Insoumise (LFI) ; 2/ dissoudre l’Assemblée ; 3/ s’allier dans un schéma bipolaire « extrême droite contre les soutiens de l’Union Européenne et de la démocratie ».
Évidemment, Glucksmann ne pèse en soi pas grand-chose, mais il avait avec lui la droite PS – celle qui était hostile à la Nupes. L’autre moitié du PS, “l’unitaire”, a d’abord décidé de faire profil bas pour voir comment se passeraient les choses.
On passe au « point 1 », ce qui est d’autant plus facile à faire que tous les médias le soutiennent : LFI « antisémite », « infréquentable », etc… . Et Glucksmann qui « tranche les lignes » à gauche.
MAIS, il y a un « mais ». Pour que le plan se soit déroulé parfaitement, le bashing aurait dû se conclure par une défaite de LFI aux européennes.
Or, aux européennes LFI a progressé d’un million de voix par rapport à 2019, en grande partie grâce aux abstentionnistes qui se sont mobilisés (merci !!!).
Conséquence : un peu d’air pour Olivier Faure et la moitié unioniste du PS, en difficulté depuis un moment.
Car, c’est normal, au PS comme ailleurs, la chance d’élire des députés joue pour beaucoup dans les choix stratégiques. Avec LFI à 10%, ÉCOLO et PCF – que le plan Glucksmann/Macron aurait laissés un peu sur le bord de la route – n’ont pas hésité longtemps : pas de problème avec LFI, on y retourne !
J’imagine que la moitié « unitaire » du PS n’a alors pas eu besoin d’expliquer longtemps à l’autre moitié que laisser tomber des partenaires de gauche qui pesaient 18% aux européennes, pour Macron qui avait fait 14%, n’était peut-être pas l’affaire du siècle. Mais bon, la différence n’était pas énorme non plus.
Et c’est là qu’il faut remercier Faure d’avoir malgré tout fait vivre un esprit « unitaire » au sein du PS. Car avec LFI à 5%, ce plan aurait de toute façon « marché ». À 10%, il y avait une incertitude.
Et dans l’incertitude, Macron est passé comme si rien n’était au « point 2 » : la dissolution.
Glucksmann, de son coté, est parti à la télé mettre tous les obstacles possibles à l’union à gauche avec LFI (« ses conditions »).
Mais l’union avance, et personne ne l’écoute. Le plan a échoué.
Face à l’extrême-droite, il n’y aura pas l’alliance des « européistes raisonnables », … mais la gauche !
Et Macron ? Il a dû se dire : merde, LFI qui monte, il fallait réaliser que dissoudre pour la mettre hors-jeu n’était plus d’actualité. Ce con d’Enthoven !! LES NERFS !!!
Mais même en repoussant la conférence de presse de 24h, je n’ai pas l’impression qu’il se soit beaucoup calmé.
Bilan : le plan pour une majorité Glucksmann/Macron à l’Assemblée Nationale a pitoyablement échoué.
Le premier, marginalisé, retournera à Strasbourg.
L’autre, qui ne pourra plus compter que sur quelques dizaines de députés, finira probablement par démissionner.
Et que vive la gauche !!
par Stephano Palombarini (le 13/6 sur Twitter).
André Petithan
Publié à 10:50h, 15 juinBonne analyse ! Ne serait-il pas opportun d’ouvrir ce type d’article aux non-abonnés? Ce serait une forme de solidarité avec le Nouveau Front Populaire…..
Semal
Publié à 12:37h, 15 juinBonjour André, j’ai laissé l’article en libre lecture pendant 48 heures sur les réseaux sociaux. Après, on peut aussi s’abonner à l’Asympto pour une euro par an. Je ne pense pas que le prix puisse être un problème pour quiconque a envie de le lire ;-).