27 janvier 2023
SERIONS-NOUS TOUS INSENSIBLEMENT PASSÉS À DROITE… ? par Xavier Dupret
Je me pose (presque) candidement la question. En tout cas, trois évènements qui se sont déroulés cette semaine, et, surtout, les commentaires auxquels ils n’ont PAS donné lieu, ne sont plus très loin de m’en convaincre.
Évènement numéro uno.
Lorsque pour critiquer, (et c’est là une opération indéniablement légitime sur le plan intellectuel), la méthodologie d’un rapport consacré aux inégalités, on met, à l’occasion d’un pseudo-débat, sur un même pied le responsable d’une ONG internationale formulant des propositions dans un souci d’intérêt public, avec l’un·e ou l’autre avocat·e fiscaliste ou, allons-y bien franchement, le gestionnaire d’un fonds d’investissement installé, pour des raisons évidemment gastronomiques, au Luxembourg, on mélange un peu trop joyeusement le registre de l’analyse désintéressée (donc éventuellement objective) et celui du plaidoyer (donc toujours partial) en faveur de catégories sociales nanties. Le tout énoncé sur un ton bien docte par des gens qui, en définitive, puisqu’ils ne bossent pas pour le travailleur lambda, ne placent, ô surprise, qu’un espoir limité dans l’imposition du patrimoine pour les finances publiques.
On me rétorquera, à juste titre, que certain·es avocat·es fiscalistes ou gestionnaires opèrent avec plus d’éthique que d’autres.
Loin de moi l’idée de le nier, car c’est très vrai, mais tout de même, un ensemble de choix personnels, louables ou non… cela ne fonde en rien une politique publique!
Évènement numéro deux.
Il se pourrait bien qu’on rigole, car je vais parler d’un parti dont je ne citerai pas le nom, parti qui, il y a déjà fort longtemps, a décidé de “faire de la politique autrement” en récusant la pratique des nominations politiques.
Ce parti, aussi soucieux de rigueur conceptuelle que des bambins de deuxième maternelle à l’occasion de la photo annuelle de groupe, éprouverait actuellement, dit-on, une difficulté existentielle, du fait que sa candidate à un poste de direction au sein de la Banque nationale, aurait été quelque peu barrée par des gens qui sont tous, à titre accessoire, des hommes hétéros de race blanche, et à titre principal, des valets du capital.
La communication dudit parti, à cette occasion, fut sidérante (cf la rigueur conceptuelle des bambins de deuxième maternelle à l’occasion de la photo annuelle de groupe) tant elle tenait de la danse de Saint-Guy (ah, là, le fils de prolos qui a fait l’Athénée de Péruwelz, sur ce coup-là, il vient d’en renvoyer des cohortes d’anciens du Collège Saint-Michel à leurs chers dictionnaires).
D’un côté, on a le pied gauche en dehors du système, pas comme ce club de vieux pénis orthodoxes du directoire de la Banque nationale.
De l’autre, on a le pied droit complètement dans le même système car “notre remarquable et brillante candidate” donne cours, certes à temps partiel, à l’Université (majuscule, s’il vous plaît), soit le cœur de la reproduction idéologique de l’appareil d’Etat. Dans ces conditions, il est, hélas, bien “normal” qu’aucun des amis dans la presse du parti de “la remarquable et brillante candidate” ne se soit penché sur le caractère, somme toute accessoire pour la conduite d’une banque nationale, de la question, très intéressante en revanche sur le plan théorique, des alternatives au PIB en tant qu’outil principal de la mesure du bien-être collectif (soit la spécialité de la “remarquable et brillante candidate”).
Mais revenons à l’essentiel. Cette affaire de la BNB, ce n’est, d’abord, pas une question de tête. C’est, avant tout, une question de pieds. Il n’est pas bon du tout d’avoir le pied gauche dans la contre-culture et le pied droit dans l’appareil d’Etat. C’est à se foutre une entorse du tonnerre de Dieu.
Il vaut mieux avoir les deux pieds bien joints dans sa classe. Et des classes, il y en a deux, le capital ou le travail. Et on ne choisit pas sa classe, car on naît dedans, sauf à la trahir pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Et quand on a ses deux pieds bien joints dans sa classe, et pas illusoirement un orteil par-ci et un talon par-là, on présente son candidat (éventuellement un ancien stibard, par exemple, qui aurait quitté l’école à 16 ans. J’en connais des tas, moi, d’ouvriers qui sont très intelligents et qui le prouvent tous les jours dans l’exercice de leurs mandats syndicaux) en disant qu’il a fait l’école du parti des travailleurs, qu’il a été jugé très compétent pour ce poste par ce dernier et que ça suffat comme ci.
Par la même occasion, on fait bien comprendre aux partis établis qu’au moindre pépin dans la gestion de l’institution en question, on parlera à la presse. Le rapport de forces, quand on incarne vraiment une alternative, y’a que ça de vrai.
Ce qui nous conduit au point suivant.
Évènement number three.
Lors de l’excellente émission de radio Déclics (je ne saurais, d’ailleurs, trop vous la recommander), un député du PTB faisait, cette semaine, valoir que sa formation, puisqu’elle pèse autant que le plus petit parti de la coalition au pouvoir en Wallonie devait être autant invité que ce dernier par le service audiovisuel public. Une journaliste sur le plateau fit alors remarquer (un brin militante?) qu'”il est normal qu’un parti qui est au gouvernement et prend ses responsabilités bénéficie d’une meilleure couverture médiatique”.
Ce raisonnement n’est pas anodin. Car enfin, prend-on toujours ses responsabilités quand on entre dans un gouvernement? Pour le parti des travailleurs qui a les deux pieds bien joints dans sa classe, cette équation “responsabilités= pouvoir d’Etat” n’a rien d’évident du tout.
L’histoire prouve même que dans certaines circonstances, prendre ses responsabilités consiste, précisément puisqu’on est le parti des travailleurs, à opter délibérément pour l’opposition.
En 1936, lorsque le Front Populaire arrache, en France, des concessions sociales importantes pour la classe ouvrière, c’est grâce à la rue et au mouvement social car les communistes ne font pas partie du gouvernement de Léon Blum. A la Libération en 1945, s’il est vrai qu’en France ou en Belgique, les communistes furent intégrés dans les coalitions qui ont créé la Sécurité sociale, le rapport de forces ne l’a, en revanche, pas permis en Italie, où sous la pression populaire, une nouvelle génération de droits sociaux a également été conquise.
Et, d’ailleurs, il est là, le grand drame du MR en Belgique, aujourd’hui (d’où le positionnement trumpiste, un peu par défaut, de sa présidence), c’est que sous la pression de la gauche populaire, il n’est plus possible de consacrer le socio-libéralisme comme doctrine officieuse de l’appareil d’Etat, et d’élaborer des compromis sur cette base.
Le consensus idéologique des années 1990-2000 a volé en éclats suite à la pression introduite par le PTB à la gauche du PS.
Un exemple : un 2018, feu Philippe Donnay (ancien directeur du Bureau du Plan, ancien directeur de cabinet CDH et ancien chief economist à la FEB, bref une vraie belle source objective pour la presse qui le sollicitait beaucoup à l’époque) faisait valoir que la pension minimum garantie en cas de carrière complète à 1.500 euros nets, c’était “pour des raichons téknikes (Lesquelles? Mystère et boule de gomme évidemment. Je lui ai posé la question et je n’ai jamais obtenu de réponse) complètement impochîîîble”.
Perso, je me souviens également très bien du petit claquement de langue, aussi précieux que cassant, qui clôturait cette phrase prononcée sur le ton impérieux propre aux gens qui se sont familiarisés très tôt à l’exercice du commandement.
Depuis, une réforme est intervenue. La pension miminum sera bien de 1.500 euros nets “indexables” pour 20 ans de carrière à partir de 2024 (mais l’indexation court à partir de 2022).
Une certaine pression de l’opposition de gauche sur un parti socialiste, qui fait partie intégrante de l’appareil d’Etat en Belgique depuis des décennies, explique à quel point le très sympathique Philippe Donnay (et je vous jure que je regrette beaucoup ce monsieur qui avait un sens de l’humour fabuleux), a été démenti dans les faits.
En vertu de l’adage qui veut, depuis Ciceron, que l’Histoire est maîtresse de vie (historia magistra vitæ), je trouve qu’il y a là matière à débats.
La journaliste gentiment visée lit parfois mon mur (c’est une amie Facebook). Je suis certain (car c’est une personne très honnête) qu’elle ne manquera pas de creuser cette thèse à l’avenir. Je ne peux que l’y inviter.
J’ai beaucoup hésité avant de poster ce texte. J’ai quand même très peur qu’on découvre que je suis de gauche à la fin. Restons prudent ! Sur ce, je retourne me cacher.
Xavier Dupret
En photo : Une campagne d’OXFAM pour fournir de l’eau potable en Afrique.
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