10 août 2022
Portrait d’André Clette : L’ENCYCLOPÉDISTE DU CALENDRIER
Au moins jusqu’à la fin du mois d’août, les lectrices et lecteurs de l’Asympto pourront quotidiennement découvrir la chronique du jour d’André Clette. Biberonné à la culture underground, à la presse alternative et au parcours du combattant libertaire, André a accumulé un savoir encyclopédique qu’il débite à la tronçonneuse d’une plume légère et piquante au service de tous les sujets que sa curiosité picore.
Ce Bruxellois d’origine habite désormais Pont-à-Celles, près de Charleroi, après diverses escales dans le Brabant Wallon.
Dans cet art de disserter de tout et de n’importe quoi, il y a du Cavanna, du Vian, et même du Montaigne chez cet homme-là. Ce puits de science n’est jamais très éloigné de la pataphysique, et il aborde souvent les plus graves questions avec la moustache qui crolle. C’est donc un plaisir quotidiennement renouvelé de le lire, et votre café matinal a désormais trouvé son nouvel ami. (Claude Semal, le 30 juillet 2022)
Claude: André Clette, c’est un nom qui sonne très “belge”. Un nom de plume, un nom de guerre ou ton vrai nom ?
André: Ha ha ! On m’a souvent demandé pourquoi j’avais choisi un pseudo aussi ridicule. Quand je réponds que c’est mon vrai nom, les gens sont embarrassés. C‘est vrai que quand on dit « Quelle clette, ce peï ! », c’est rarement élogieux. Mais bon, c’était le nom de mon papa, et c’est le nom qui figure sur ma carte d’identité. Je m’y suis fait. Et puis, Clette, c’est aussi une interjection, comme dans « Clette Mariette ! », ou encore une gifle : « Toi, mon ami, tu vas te ramasser une clette sur ta figure ! ». Bref, c’est un nom qui claque comme un drapeau. Et je préfère, de loin, porter mon nom que n’importe quel drapeau.
Claude: Ta moustache : Astérix, Jean Ferrat ou Pancho Villa ?
André: Aucun des trois. C’est ma moustache à moi et à personne d’autre. Je ne la vendrais pas pour une fortune. C’est à elle que je me reconnais dans la glace, alors, tu penses ! Cela dit, j’ai de la sympathie pour les trois personnages qui tu cites, mais mes moustachus préférés sont plutôt Brassens et Cavanna.
Claude: Ton parcours professionnel ?
André: Après mes études (“Communications Sociales” et “Sciences Théâtrales” à Leuven, quand l’UCL logeait encore en Flandre…), j’ai commencé par œuvrer une dizaine d’années comme vidéaste provocateur en milieu gauchisant, et comme graphiste indiscipliné en milieu turbulent. J’ai aussi fait pas mal d’années de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Wavre et de la sculpture à l’Académie de Charleroi.
Après cela, en termes de carrière, si on parle du « gagne-pain » qui a mangé mes journées pendant près de trente années, disons que j’ai effectué un parcours diversifié dans le domaine de la formation professionnelle pour adultes. J’aimais bien ça, et je ne regrette rien, mais j’avais quand même un certain nombre d’activités à côté : un peu de spectacle, de la radio, de l’écriture, de la peinture, de la sculpture, … Quand ce n’est pas rémunérateur, les gens appellent ça un « hobby ». Je hais ce mot. Il y a là-dedans l’idée d’occupation accessoire, secondaire, voire futile. Négligeable, en tout cas. Comme si seules étaient importantes les activités qui rapportent des sous, mettant en opposition amateurs et professionnels … Alors que chacun sait, depuis Boris Vian, qu’on peut faire en amateur des bombes atomiques, dont les effets peuvent être redoutablement efficaces.
Claude: Comment devient-on “diariste” ? D’où te vient cette passion pour les dates, pour l’Histoire et les histoires ?
André: C’est marrant ce mot « diariste ». Je n’y aurais pas pensé. Quelqu’un a parlé de mon billet quasi quotidien comme d’une friandise « calendaire ». Je n’aurais pas non plus trouvé ce terme. Je ne sais pas quel mot mettre là-dessus. Je n’ai pas de passion particulière pour les dates. J’aime bien écrire et raconter des histoires. Cette idée de dates est venue un peu par hasard comme un prétexte à raconter des histoires, et aussi comme une contrainte, une règle que je me suis fixée, sans laquelle il me serait beaucoup plus difficile d’écrire. Ça permet de parler de tout et de rien. Ça produit des rapprochements et des télescopages entre des faits qui n’ont rien à voir entre eux. Ça peut évoquer des souvenirs. Ça peut aussi donner à penser ou prêter à rire, ou l’inverse. C’est riche, quoi.
Claude: Tu as cosigné deux tomes historico-comiques sur “L’Histoire des Belges”. Entre le Flamand, le Wallon et le Bruxellois, l’as-tu vraiment rencontré, le Belge “sortant du tombeau” ?
André: L’ouvrage s’appelait « Histoire du Belge », pour souligner le caractère ironique de la chose, et faire – un peu à la manière de certains historiens – comme si la Belgique et l’identité « Belge » existaient depuis la nuit de temps, et que leur histoire n’était autre que celle d’un destin contrarié. On s’est mis à quatre pour réaliser cet ouvrage de référence : mon complice Stéphane Baurins à l’écriture, et les deux brillants dessinateurs Jean-Claude Salemi et Willy Wolsztajn à la planche à dessin. Je ne sais pas si j’ai rencontré le Belge “sortant du tombeau”, mais j’ai quand même connu une dame âgée capable de dire d’une traite : « Potverdekke, va-s ti co fé arèdjî ! »
Cela dit, notre dynastie belge est exemplaire : Léopold de Saxe-Cobourg Gotha (dit Léopold 1er) est un prince allemand marié à une Française qui donne naissance à un deuxième Léopold, lequel épouse une Autrichienne. Le second fils de Léopold 1er, Philippe, épouse une Allemande. Celle-ci donnera le jour à Albert 1er, lequel épouse une princesse bavaroise qui donnera le jour à Léopold III. Celui-ci épouse une princesse suédoise d’origine française. Deux de ses fils règneront : Baudouin, qui épousera une Espagnole, et Albert qui se mariera avec la princesse italienne Paola di Calabria, mère de notre actuel roi Philippe. Celui-ci sera le premier à épouser une Belge du terroir. Sa fille, la Princesse Elizabeth, sera donc la première reine de Belgique à avoir quelques gouttes de sang belge ‘de souche’. C’est super. Il n’y a pas plus belge que ce genre de “zinneke” !
Claude: D’où te vient cette culture encyclopédique ? Wikipédia sérial pilleur ou dévoreur de bouquins ?
André: Les deux, mon Général ! J’ai une bonne mémoire et la maison croule sous les bouquins. Ça aide pour farfouiller sur internet quand on sait à peu près ce qu’on cherche. Les deux se complètent très bien.
Claude: On sent une forte trame sociale et libertaire dans tes commentaires, tes sujets et tes sources d’inspirations. Un … commentaire ?
André: Je ne sais pas si cela appelle un commentaire. Ça me parait aller tellement de soi. Au fronton de toutes les mairies de France, il est écrit « liberté, égalité, fraternité ». On ne peut qu’être d’accord avec un tel programme, non ?
D’ailleurs, c’est un slogan officiel et on astique soigneusement les mairies pour le 14 juillet. Mais la fraternité, il y a longtemps qu’on ne sait plus ce que ça veut dire, pour autant qu’on l’ait jamais su. Ça suscite au mieux un haussement d’épaules. L’égalité, on comprend plus ou moins le concept, mais c’est, au mieux, considéré comme de l’utopie. Second haussement d’épaules. Quant à la liberté… eh bien la liberté, ma foi, on voit bien qu’elle est réservée à ceux qui en ont les moyens…
Pour ma part, je suis assez ringard. Un des slogans phare du mouvement anar des années 70-80 était « Ploum ploum tralala, anarchie vaincra ». Je n’ai pas tellement évolué.
Claude: Tu as participé à diverses publications plus ou moins satiriques, aujourd’hui tu t’exprimes en solo sur Facebook. Tu lis encore beaucoup de “presse papier” ?
André : Avec des copains, dans les années 70, on a fait le journal « KLOAK ». Un magazine plus sporadique que périodique. C’était plutôt hors-normes. « Underground », comme on disait à l’époque. Ça se vendait à la criée dans les fêtes et les festivals. On s’amusait bien.
Après cela, au tournant des années 80, avec les mêmes et puis d’autres, on a réalisé le périodique « Rictus ». Moins underground, mais tout aussi marginal (pour faire plus crédible, on disait “alternatif”). Celui-là, on le trouvait chez les marchands de journaux. Jusqu’à ce que les messageries de la presse nous envoient paître. On se sera bien amusé aussi.
Plus récemment, après la tuerie à Charlie-Hebdo, des amis ont lancé le journal satirique « Même pas peur ». Une belle aventure qui aura duré quatre ans. J’ai beaucoup aimé y écrire mes chroniques.
Aujourd’hui, je suis toujours très attaché au papier. Je lis les infos quotidiennes en ligne, mais je ne peux pas me passer d’acheter « Siné-Mensuel » chez mon libraire. Pareil pour le « Monde diplomatique » ou le « Courrier international ». Je suis incapable de lire un article un peu long sur un écran. Et puis, j’aime bien regarder les piles de vieilles gazettes qui vacillent sur les étagères branlantes en me disant depuis trente ans, qu’un jour je les classerai.
Claude: Tu te définis aujourd’hui comme “retraité”. Retraite de Russie ou Vive la Liberté ?
André: Ni l’un ni l’autre. C’est juste une manière de dire que j’en ai fini avec le temps du gagne-pain quotidien. Ce n’est ni gai ni triste. Il y avait des gens que j’aimais bien. Je ne les croise plus tous les jours, mais les amitiés perdurent. Il y en a d’autres que je ne vois plus, et c’est tant mieux.
Claude: La biesse question que tu aurais aimé que je te pose et que je ne t’ai pas posée ?
Q. : Tu reprends un verre ?
R. : Volontiers.
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