POISSON D’AVRIL 2022

En ce premier avril 2022, Julie (prénom d’emprunt) se réveille avec un mal de tête carabiné. Normal: la décision qu’elle doit prendre engage son avenir et celui de ses enfants. Se faire virer ou se suspendre elle-même au clou des bras inutiles? Elle a le choix. Dans le premier cas, elle deviendra une chômeuse comme les autres, avec obligation d’accepter tout emploi “convenable”, sauf bien sûr celui qui correspond à ses compétences d’infirmière. Dans le second cas, elle n’aura droit à aucune indemnité, mais si jamais elle change d’avis, l’hôpital qui l’employait jusqu’en décembre dernier et qui a dû fermer la moitié de ses lits faute de personnel, est prêt à la reprendre, même en double plein temps.

Outre son mal de tête, Julie ressent une reconnaissance éperdue pour le Parti Socialiste sans lequel c’était la porte, punt. Ce parti qui s’est battu comme un lion, durant treize heures de cette journée grise et mémorable du 19 novembre, comme la vaillante petite chèvre de Monsieur Séguin, face aux loups qui comptaient ne faire qu’une bouchée du personnel soignant récalcitrant. Et alors que tout semblait perdu, que le livreur d’UberEats venait de déposer les dernières pizzas devant la porte de la salle de réunion (tiens, justement, UberEats engage sans conditions, c’est une possibilité, Julie a toujours aimé le vélo), un ministre socialiste a brandi la carte que personne n’attendait, une innovation révolutionnaire inconnue jusque là : la concertation sociale ! Oui, on allait demander l’avis des premier·es concerné·es. Une drôle d’idée, avouons-le, mais les socialistes ne manquent pas d’imagination.

Et ce n’est pas fini, car en forts partisans de ce qu’on appelle désormais “la politique de l’Autriche”, ils ont aussi obtenu qu’une commission se penche sur l’élargissement de la mesure à l’ensemble de la population (même aux livreur·ses de pizzas?).

Vers 9 heures, Laura (prénom d’emprunt), sa collègue préférée, l’appelle du télé-piquet de grève : “Alors, tu viens ? On ne demande pas de CST+++, on n’est pas une discothèque”, rigole-t-elle. Laura vient de recevoir sa quatrième dose, par solidarité avec les personnes fragiles, mais sa solidarité s’étend à ses collègues qui ne se sont pas résolus à la première, même si elle n’en comprend pas toujours les raisons.
Et Julie, d’où vient son opposition, ou sa crainte, ou son refus raisonné, allez savoir…? Le risque de perdre un boulot qu’elle adore (ou du moins qu’elle adorait avant que la pression ne monte) va-t-il la convaincre d’offrir son bras à la science? Nous le saurons (peut-être) dans un prochain épisode de notre série, “Julie en suspension”.

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