13 novembre 2024
PAS « FEEL GOOD » DU TOUT FESTIVAL par Bernard Hennebert
Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez ci-dessous :
Le « Feel Good Festival » devait se dérouler à Aywaille du 27 au 30 juin 2024, avec Alice on the Roof, Loïc Nottet, Patrick Fiori, Christophe Willem, etc. Il a été reporté à l’année suivante pour cause de fortes intempéries.
Rebondissement au début du mois de novembre 2024: le site de cette activité annonce que l’association qui est à l’initiative du festival a fait aveu faillite (« Kin Porte Le Projet ») : « Ceci est notre dernier message puisqu’un curateur a été désigné par le Tribunal de Commerce, c’est désormais à lui que revient de communiquer sur la suite des événement ».
Parmi les nombreuses réactions que cet avis suscite sur les réseaux sociaux, voici celle d’Élodie: « C’est vraiment très malhonnête… Jouer sur les mots en parlant de report et non d’annulation pour éviter de rembourser, puis se mettre en faillite quelques mois plus tard…Honteux ».
Réaction justifiée ou excessive d’une internaute? Voici les faits tels qu’ils se sont déroulés avant cette sombre issue.
Un cas de force majeure? Non
Il pleut beaucoup durant ce printemps 2024 et une dizaine de jours avant son déroulement, les organisateurs du « Feel Good Festival » d’Aywaille annoncent qu’ils l’annulent en expliquant sur leur site : « Le terrain est considéré comme instable par les autorités compétentes. Il nous est malheureusement impossible de monter les structures au bon déroulement du festival ». Pour eux, il en va de la sécurité du personnel et des festivaliers. Il est notamment impossible d’installer la scène, la terrasse VIP ou l’espace prévu pour les personnes en chaise roulante. Ces intentions et cette décision sont courageuses.
Mais ils ajoutent que tout ceci n’a pas été pris à la légère et « s’inscrit dans un cas de force majeure ». Pour eux, cette situation est indépendante leur volonté. Ils annoncent enfin que « les billets restent bien sûr valables pour l’édition de l’année suivante ».
Il n’est pas indiqué s’ils rembourseront les tickets des festivaliers qui n’ont ni la possibilité, ni l’intention d’assister à l’édition suivante. Est-ce la même programmation qui sera proposée? Aucune information en ce sens, sinon une promesse pour 2025 : seront alors fêtés les dix ans du festival et les organisateurs mettent déjà tout en œuvre pour faire de cette célébration un événement mémorable .
Testachats réagit en affirmant que les festivaliers de 2024 doivent pouvoir être remboursés s’ils le souhaitent.
Dans un premier temps, pour RTL, le 17 juin 2024, l’association de consommateurs remarque que, sur le site internet du festival, il n’y a aucun texte présentant les « conditions générales » . Et donc, de constater qu’on ne peut pas vérifier « ce à quoi l’organisateur s’était engagé ».
Deux jours plus tard, Julie Frère, sa porte-parole, est interviewée par la RTBF pour le journal télévisé de la mi-journée. Elle y explique qu’après enquête par ses services, elle peut annoncer que le texte de ces conditions générales a été retiré récemment du site et qu’il mentionnait bien des possibilités de remboursement. Il faut savoir que pour cette neuvième édition, le festival a bien effectué des remboursements, mais uniquement pour une journée, en ce qui concerne une désaffection, celle de Yannick Noah. De plus, Julie Frère estime que la météo en Belgique ne devrait pas être considérée comme un cas de force majeure. Elle indique que c’est plutôt « un élément qui doit être impérativement pris en compte dans le cadre de l’organisation du festival ».
Cet exemple est particulièrement instructif. Il montre qu’une association importante de consommateurs souhaite que les sites d’organisateurs culturels ne doivent pas se contenter simplement d’afficher un « règlement du visiteur » dont diverses clauses ne sont souvent là que pour limiter les droits du public mais qu’il convient d’y prévoir un texte de « conditions générales », une forme de contrat qui lie les deux parties.
Elle considère également que la norme est, lors d’un report ou d’une annulation, le remboursement des usagers qui le souhaitent et indiquer le contraire pourrait s’apparenter à une clause abusive.
Ce n’est pas la première fois que je constate qu’en cas de report, des organisateurs culturels entretiennent le flou en n’indiquant qu’un élément de leur obligation : à savoir « Bien entendu, vos tickets restent valables! ».
Une législation, selon moi, devrait préciser leur obligation de mentionner également dans le même paragraphe la possibilité de remboursement, son délai et les démarches concrètes à entreprendre pour que l’usager puisse retrouver le plus rapidement possible son dû.
Il parait évident que les responsables d’activités culturelles en plein air doivent prendre en compte dans leur organisation les évolutions climatiques qui vont aller à l’avenir dans le sens de précipitations plus fortes et fréquentes, ou de chaleurs excessives. Et aussi mieux négocier en ce sens leurs éventuels contrats avec leurs assureurs, le recours à ceux-ci n’étant pourtant pas légalement obligatoire.
Ceux qui attachent beaucoup d’attention, et de financements, à pareilles précautions auraient même intérêt à l’indiquer comme un atout dans la présentation au public de leur activité, et dès le moment où les préventes vont commencer .
Testachats « à l’amiable »
Par rapport à ce type de plainte, Testachats demande à la personne qui l’interpelle son numéro de membre et ne prête son concours que dans le cas où, au préalable, l’entreprise ne lui a pas répondu dans un délai de deux semaines ou si elle refuse la demande de remboursement.
Dans ce cas, l’association de consommateur souhaite recevoir un exposé des faits, l’objet précis de la demande, la référence client/dossier de l’entreprise concernée ainsi qu’un dossier de pièces lisible et complet comprenant copie de la réclamation à l’entreprise et copie de tout autre document utile (contrat, bon de commande, factures, échanges de mails, courriers etc.).
Elle précise également ainsi les limites de son rôle : « Nous attirons votre attention sur le fait que nos démarches constituent des tentatives de règlement à l’amiable. Nous n’avons pas le pouvoir de contraindre la partie adverse. L’issue de nos interventions dépend dès lors de la volonté des entreprises concernées de trouver une solution. S’il s’avère que nous ne parvenons pas à trouver un accord avec l’entreprise, nous n’entamons pas d’action en justice individuelle. Vous devrez évaluer la possibilité de porter votre affaire en justice ».
Peu de « class action »
Un article de Kamel Azzouz publié par la RTBF le 19 juin 2024 indique que le cas de ce « Feel Good Festival » est intéressant car c’est « pour Testachats, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». La puissance médiatique de cette association de consommateurs est telle que cette thématique de non remboursement dans le secteur culturel est ainsi entrée dans l’actualité belge à la mi-juin 2024.
Ce journaliste de la RTBF a questionné Étienne Mignolet, le porte-parole du service juridique du Service Public Fédéral Économie. De façon globale, la réponse officielle se résume dans le fait que l’usager doit voir son ticket remboursé s’il le souhaite sauf si l’activité n’a pas lieu pour une cause de force majeure (ce qui n’est pas le cas lors de pluies en Belgique, même répétées).
Le problème qui demeure pour l’usager réside dans le fait que si l’organisateur ne concrétise pas ou conteste pareils remboursements, il doit, s’il cherche à solutionner seul son cas particulier, faire appel à un juge… et les frais qu’une telle démarche engendre sont en général dissuasifs par rapport à l’importance des tarifications culturelles.
Bien sûr, il existe, au niveau fédéral belge, un service officiel de médiation pour les consommateurs auquel il peut être fait appel gratuitement, mais rien ne dit que la démarche sera concluante si l’organisateur persiste dans son refus.
Parmi les solutions à envisager, il existe aussi la « class action ».
Il s’agit d’une action judiciaire entreprise par un grand nombre de personnes qui ont toutes subi le même préjudice.
La première « class action » a eu lieu aux États-Unis lors de l’explosion d’un cargo en 1950 qui avait coûté la vie à plus de 580 personnes. Des « class action »existent également en Grande-Bretagne ou au Québec.
Ces actions collectives regroupent en général un grand nombre de plaintes individuelles en un seul procès qui permet d’assurer un verdict unique et non plusieurs décisions de justice parfois contradictoires. En France et en Belgique, cette façon d’agir a été reprise et adaptée de façon fort restrictive, et plus d’un demie siècle plus tard. Elle y est rarement utilisée en ce qui concerne des conflits culturels.
Clause abusive
Selon Mr Mignolet, lorsqu’on réserve ainsi un billet pour un spectacle, c’est un contrat que l’on conclut avec une entreprise ou un organisateur. S’il n’y a pas de conditions générales de vente, ou s’il y en a mais que le point qui nous occupe n’est pas mentionné, l’organisateur ne peut pas imposer de facto un non remboursement.
Comme, dans ce cas-là, rien n’est prévu contractuellement, ce sont les règles du Code civil qui doivent s’appliquer. Ainsi, le consommateur garde le droit d’obtenir un remboursement.
D’autre part, s’il est indiqué dans le contrat qu’il n’y a pas de remboursement à prévoir, on peut alors envisager l’éventualité d’une clause abusive.
Pour ce Code des droits économiques, c’est probablement une situation qui engendre « un déséquilibre important et manifeste entre les droits et obligations des deux parties ». Seul un juge peut se prononcer sur ce fait, et par rapport à un exemple concret. Tout usager culturel peut se sentir solidaire d’organisateurs qui doivent affronter des intempéries massives et inattendues, mais cette attitude devient bien problématique quand les conditions générales qui mentionnaient des possibilités de remboursement sont retirées du site internet de ceux-ci, et cela, au moment où on pouvait envisager de les appliquer…
Bernard Hennebert (de la Ligue des Usagers Culturels)
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