19 août 2022
NOUS SOMMES LE 19 AOÛT
Nous sommes le 19 août 2022.
Le 19 août 1920, paraissait un arrêté royal, signé par le roi Albert Ier, définissant les statuts et le fonctionnement de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, sur proposition et à l’initiative du ministre des Sciences et des Arts, Jules Destrée.
Attention, ne faites pas l’erreur de confondre l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, surnommée « la Destréenne », avec l’Académie royale de Belgique, surnommée « la Thérésienne », fondée en 1772 par l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, vous auriez l’air franchement nigaud. En revanche, si vous êtes en bonne compagnie, vous pouvez finement faire observer que cette académie diffère assez bien de son modèle, l’Académie Française. Certes, elle compte aussi quarante fauteuils, mais on n’attendra pas trois siècles pour offrir un siège à une dame. Dès l’origine, celles-ci sont admises, et Anna de Noailles y occupa le fauteuil n°33, bien qu’elle soit française. Car, en effet, il est prévu que les membres étrangers occupent un quart des sièges. De même, les statuts prévoient une proportion d’écrivains et de philologues : qu’il s’agisse de membres belges ou étrangers, deux tiers sont élus à titre littéraire, un tiers à titre philologique. Voilà, vous savez tout ce qu’il faut savoir pour ne pas passer pour un plouc. Faites-en bon usage.
Puisque nous voilà plongés dans la littérature, restons-y.
C’est tout juste un an plus tard, le 19 août 1921, que mourait Georges Darien. En voilà un qui n’a sûrement pas mis les pieds dans une académie. Sans doute un peu trop anar pour ça. On l’avait quasiment oublié quand on l’a redécouvert dans les années ’50, après la réédition du roman « Le Voleur » en 1955 et de « Bas les cœurs ! » en 1957, tous deux par l’éditeur Jean-Jacques Pauvert.
On se souvient aussi de la très belle adaptation cinématographique de Louis Malle en 1967. Quoi, ne me dites pas que vous avez oublié Belmondo, Charles Denner, Bernadette Laffont, Marlène Jobert… et cette réplique : « Je fais un sale métier, mais j’ai une excuse, je le fais salement… »
Georges Hippolyte Adrien vit le jour en 1862. En 1881, dix années après la commune, il se retrouve à l’armée. Ça ne lui réussira pas trop. Son insoumission l’enverra pour 33 mois dans un bataillon disciplinaire en Tunisie, à Biribi. C’est le nom que Darien donnera à un roman, dans lequel il dénonce les conditions de vie dans ce bagne colonial militaire où les fortes têtes de l’armée française étaient systématiquement humiliées et torturées.
Écoutez-moi donc cette superbe chanson interprétée par Mouloudji, musique de Théodorakis (qui sait, lui aussi, ce qu’est la déportation, la torture et le bagne…)
C’est par ici →
Nous devons le « redécouverte » de Darien, en 1955 à Jean-Jacques Pauvert, et à André Breton qui écrivit la préface du « Voleur », mais il y eut bien avant eux Alfred Jarry avec « Gestes et opinions du Docteur Faustroll », écrit en 1898 (publié seulement en 1911) où l’on découvre que, parmi les vingt-sept volumes qui constituent la bibliothèque idéale pataphysique, « Le Voleur » occupe la sixième position. C’est d’ailleurs par là que Pauvert en a connu l’existence.
On sait peu de choses de la vie de Darien. Sinon que, de 1891 à 1897, il disparaît, voyage en Belgique, en Allemagne et en Angleterre, Londres en particulier, d’où il revient avec le manuscrit du « Voleur ».
En plus de ses romans, Darien est parmi les pamphlétaires le plus virulent de cette fin de siècle. Prisé des milieux libertaires, il collabore à plusieurs revues anarchistes, parmi lesquelles « L’Escarmouche » (dont, soit dit en passant, il fut l’unique rédacteur), « L’Ennemi du peuple » et « L’en dehors »… Voilà pour Darien. Un conseil : lisez au moins « Bas les cœurs ».
Les hasards des éphémérides produisent quelquefois d’étranges rencontres.
Qu’ont en commun Georges Darien et le facteur Cheval, sinon d’être mort un 19 août à trois ans de distance.
Bien que contemporains, ces deux hommes ne se sont jamais rencontrés et n’ont certainement jamais eu connaissance l’un de l’autre. Issus d’univers différents, ils ont peu de choses en commun, sinon d’avoir éveillé l’attention et suscité l’intérêt d’André Breton qui, par ses écrits, a largement contribué à les faire connaitre (même s’il n’est pas le seul, évidemment).
Joseph-Ferdinand Cheval, dit « le facteur Cheval », né le 19 avril 1836 à Charmes-sur-l’Herbasse, Drôme, mort le 19 août 1924 à Hauterives, Drôme était aussi facteur qu’Henri Rousseau était douanier. Après sa tournée, il récoltait des galets qu’il passa 33 années de sa vie à assembler pour édifier un palais qu’il appela « Palais idéal » et huit années supplémentaires à bâtir son propre tombeau, tous deux classés parmi les chefs-d’œuvre d’architecture naïve, ou d’art brut, selon le classement de ceux qui ont absolument besoin de classer les choses.
Une fois le facteur mort, son œuvre recevra le soutien d’artistes comme Picasso, Breton, Max Ernst,… et d’André Malraux qui, une fois ministre de la Culture, entamera une procédure de classement malgré l’avis défavorable de la plupart des fonctionnaires de son Ministère qui écrivent dans un rapport daté de 1964 : « Le tout est absolument hideux. Affligeant ramassis d’insanités qui se brouillaient dans une cervelle de rustre. » En clair, ça veut dire que c’est une merveille, et que si vous n’avez jamais vu ce palais idéal et que vous avez l’occasion de passer par Hauterives (Drôme), prenez le temps de faire le détour. C’est hélas devenu une attraction très touristique, mais ça reste, comment dire… époustouflant !
Je sais, ce billet devient long…
Mais comment ne pas évoquer ce terrible 19 août 1936 où les phalanges franquistes fusillèrent le poète, artiste, dramaturge, écrivain, musicien et peintre accompli… Federico Garcia Lorca, à l’âge de 38 ans.
Venu à l’écriture, à la peinture et à la musique, après des études de philosophie, de littérature et de droit. Il eut une relation tumultueuse et passionnée avec Salvador Dali, qui s’acheva quand ce dernier rencontra sa future femme. Garcia Lorca plongea dans la dépression, persuadé que le film « Le chien Andalou » réalisé par Bunuel et Dali était une flèche qui lui était destinée. Éloigné un temps de l’Espagne, il y revient à la chute du dictateur Primo de Rivera pour l’avènement de la République.
En 1931, Lorca est nommé directeur de la société de théâtre étudiante subventionnée, La Barraca, dont la mission est de faire des tournées dans les provinces rurales pour présenter le répertoire classique. Il écrit alors la trilogie avec « Bodas de sangre » (« Noces de sang »), Yerma et « La casa de Bernarda Alba » (« La Maison de Bernarda Alba »).
Quand la Guerre civile espagnole éclate en 1936, il quitte Madrid pour Grenade, probablement conscient d’aller vers la mort sachant la réputation de la ville. Il est arrêté par des partisans de Franco. Deux jours plus tard, le 19 août, il sera fusillé par un peloton d’exécution. Par une nuit sans lune, son corps sera jeté dans une tombe sans nom. Le régime de Franco décide l’interdiction totale de ses œuvres jusqu’en 1953.
Des années plus tôt, il avait écrit ceci :
Quand je mourrai,
enterrez-moi avec ma guitare
sous le sable.
Quand je mourrai,
parmi les orangers
et la bonne menthe.
Quand je mourrai,
enterrez-moi, si vous voulez,
dans une girouette.
Quand je mourrai !
(Memento, Poème du Cante jondo, 1921-1927)
André Clette
Et ce qui suit, c’est Germaine Montero qui dit Lorca, en espagnol d’abord, en français ensuite
« Sorpresa » (Frederico Garcia Lorca – Germaine Montero)
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