15 août 2022

NOUS SOMMES LE 15 AOÛT

Nous sommes le 15 août 2022.

La France est encore une fois orange dans le sens des départs. Demain, elle sera rouge dans le sens des retours. Tout ça parce que tout le monde est en congé sous le prétexte que c’est précisément ce jour-là que la Sainte Vierge serait montée au ciel.

Ceux qui ne partent pas peuvent toujours aller boire le pékèt du 15 août à Liège en Outremeuse.
Ou alors, ils pourront éventuellement se fumer un petit pétard en souvenir du 15 août 1969, jour fameux où débuta le festival de Woodstock. Ceux qui préfèrent le jazz peuvent s’écouter un bon vieux Oscar Peterson, né le 15 août 1925 dans ce quartier de Montréal que l’on appelle la Petite Bourgogne. D’abord accompagnateur de Lester Young, Louis Armstrong et Ella Fitzgerald, ce pianiste et compositeur se sera rapidement construit une réputation. Il aura parcouru le monde, enregistré des centaines de titres, reçu tous les prix possibles et joué avec les plus grands de son époque. Osons le dire : c’est peut-être bien le plus grand pianiste de jazz de tous les temps. Écoutez-moi ça :

Oscar Peterson à Montreux. – Jazz Festival 1977
C’est par ici : →

Quant à ceux qui ne sont ni folk, ni rock, ni soul, ni blues, ni jazz, mais plutôt chanson française, écoutez donc Allain Leprest. On l’a trop oublié depuis qu’il est mort à 57 ans, ce 15 août 2011, à Antraigues (Ardèche), au pays de Jean Ferrat.
On ne le voyait jamais à la télé, on ne l’entendait pas à la radio, pourtant Leprest était reconnu et admiré par ses amis, comparses et interprètes, dont Jean Ferrat, Juliette Gréco, Henri Salvador, Francesca Solleville, Anne Sylvestre, Romain Didier, Pierre Barouh, Higelin, Bertin, Loïc Lantoine, … il y en a trop pour faire la liste. Allain Leprest aura été l’auteur de plus de 1 000 chansons écrites, mais beaucoup moins d’éditées : seules 369 de ses œuvres sont répertoriées à la Sacem. Il « offrait » beaucoup de ses textes, quand il ne les égarait pas. Après sa mort, on en a retrouvés que l’on croyait perdus. Claude Nougaro, qui avait le sens de la formule -en plus de voir et d’entendre juste- a dit de lui : « C’est bien simple, je considère Allain Leprest comme un des plus foudroyants auteurs de chansons que j’ai entendus au ciel de la chanson française ». Et c’est vrai que ça vaut le détour.

Allain Leprest, « Donne-moi de mes nouvelles»
C’est par ici : →

Si on n’est pas fan de musique, on peut aussi s’intéresser à la peinture.

Et pourquoi pas à Paul Signac, mort le 15 août 1935. Ce peintre paysagiste français donna naissance au pointillisme, avec le peintre Seurat. Il a aussi mis au point la technique du divisionnisme. À l’avant-garde des recherches picturales il en vient naturellement à s’intéresser aux idées révolutionnaires de son temps. La lecture de Kropotkine et d’Élisée Reclus lui font découvrir les idées anarchistes. Il collabore aux « Temps Nouveaux », revue libertaire qu’il aide financièrement. Son art n’a toutefois rien de militant, il est simplement libre et dégagé des conventions. Parmi ses œuvres phares, tant par la taille (3 mètres sur 4) que par l’idée qu’il exprime, figure le fameux « Au temps d’harmonie », sous-titré « L’âge d’or n’est pas dans le passé, il est dans l’avenir », ce tableau, dont le titre d’origine était « Au temps d’anarchie », donne à voir l’idée d’une société libertaire réalisée. Il était destiné à décorer la Maison du Peuple de Bruxelles.

Tiens, puisque nous parlons peinture, en Belgique, un 15 août, ne passons pas à côté de René Magritte, décédé le 15 août 1967. Mais que peut-on encore bien dire qu’on ne sache déjà, en Belgique, de ce peintre qui fait partie des meubles, au point d’avoir figuré sur nos anciens billets de 500 Francs. Sinon, comme écrivait Scutenaire dès 1947, que « Magritte est un grand peintre, Magritte n’est pas un peintre ».
Et tiens, justement Jean Émile Louis Scutenaire, écrivain et poète surréaliste belge d’expression française, né à Ollignies, le 29 juin 1905 est décédé à Bruxelles, le 15 août 1987. Soit pilepoil 20 ans après Magritte ! Hasard objectif ou nécessité aléatoire ?
Magritte avait été introduit dans le milieu Dada, dès 1924, par Camille Goemans et Marcel Lecomte.
Cette année-là, un groupe se forme autour de Nougé, Goemans et Lecomte, avec Mesens et Magritte. Ils publient une série de tracts intitulée Correspondance, notamment contre Cocteau. Ce groupe sera l’ébauche du groupe surréaliste de Bruxelles, bientôt rejoint par Louis Scutenaire.
En mars 1948, avec la complicité de Louis Scutenaire, Magritte brosse en six semaines une quarantaine d’huiles et de gouaches aux tons criards (période vache) destinées, en un acte typiquement surréaliste, à dérouter les marchands parisiens et scandaliser le bon goût français. Ça a plutôt bien marché. L’exposition installée à la galerie du Faubourg est préfacées par Scutenaire (Les pieds dans le plat).

Dès 1943, Scutenaire a commencé à noter ses « inscriptions ». Le premier tome est publié en 1945 sur proposition d’Éluard, avec le soutien de Paulhan et Queneau. Un deuxième volume devait suivre mais l’éditeur demandant la suppression de deux ou trois réflexions jugées trop libres, Scutenaire s’y refuse. « Gallimard avait accepté de publier le second volume […] Mais je devais supprimer quatre inscriptions, que Monsieur Gaston avait trouvées grossières, plates, à la belge quoi… ». Le deuxième tome ne sera publié qu’en 1976, grâce à Tom Gutt et Isy Brachot. Trois autres suivront.
En Mai 68, Scutenaire connut l’honneur d’être graffité sur les murs du Paris, avec son indémodable vérité : « Vous dormez pour un patron ».
À partir des années 1950 Scutenaire collabore à de nombreuses revues, « La Carte d’après nature », (animée par Magritte), « Les Temps mêlés » (d’André Blavier, à Verviers), « Les Lèvres nues » (Marcel Mariën), « Rhétorique » (consacrée à Magritte par André Bosmans), « Phantomas », puis « Le Vocatif » (Tom Gutt), et écrit de nombreuses préfaces (Magritte, Jean Raine, Roland Delcol).
En 1966, René Magritte entreprend d’illustrer de gravures originales « Le Lien de paille », écrit pour lui par Louis Scutenaire. Il n’aura pas la possibilité de terminer son travail avant sa mort le 15 août 1967.
Vingt ans plus tard, le 15 août 1987, Louis Scutenaire meurt alors qu’il regarde à la télévision un film sur Magritte.
Pour conclure cette éphéméride pleine de défunts, impossible de ne pas citer « Le Scut » :
Chaque fois qu’il y a un type qui meurt, ce n’est jamais le même.

André Clette

PS: En Bonus à la chronique d’André, je me permets exceptionnellement d’ajouter en ce 15 août un texte d’Allain et une chanson de Rémo Gary en hommage à “Allain Lepresque” : “Comme un lundi”. Allain était un copain. (Claude Semal).

Sur les pointes (Allain Leprest)

Dans un désordre de coussins
Les draps dessinaient ton dessin
J’ai voulu laisser mon empreinte
J’ai nagé contre ton bassin
En traçant deux ronds sur tes seins
Sur tes pointes

J’ai picassoté sur ta peau
Et quand j’ai fini le tableau
J’ai encadré nos amours peintes
J’l’ai accroché dans mon cerveau
Sans un marteau, sans escabeau
Sans une pointe

En maillot blond sur le balcon
La lune a shooté son ballon
Et l’édredon était enceinte
Je t’ai quittée un peu brouillon
Sur la pointe de mes crayons
Sur la pointe

Ca, c’est tout lui, l’amour ça flanque
Soit des ailes de saltimbanque
Soit des ronces entre les étreintes
Mais c’est juste une boule de pétanque
Tu fais un carreau, tu le manques
Ou tu pointes

Je suis revenu dans le film
Revenu sur les lieux du crime
Tu n’avais pas déposé plainte
Je te suis revenu sans frime
Comme une ombre qui se dessine
Et se pointe

Je suis revenu sur l’oreiller
Un roman d’amour roupillait
Ta bouche rouge était éteinte
Je te suis revenu nu-pieds
Mine de pas te réveiller
Sur les pointes

Allain Leprest