
11 février 2025
MES ANNÉES « PETITES ANNONCES » (2) par Bernard Hennebert.
Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez sur le lien :
Je poursuis aujourd’hui mon voyage dans le monde des « petites annonces », qui ont inspiré mon livre « Une vie à séduire ». On peut lire la première partie de mon article ici (*).
Outre ma documentation personnelle, mon propre courrier et celui de mes correspondants, j’ai également légué aux Archives de la Ville de Bruxelles différents livres ou revues qui m’avaient inspiré lors de l’écriture de mon livre « Une vie à séduire ». Chacun peut les consulter au 65, rue des Tanneurs à Bruxelles (1).
Ci-dessous, classés en trois chapitres, une présentation de ces documents qui pourraient vous intéresser ou vous surprendre.
LA CHASSE À L’ÂME SŒUR (1885-2025)
Dès son numéro de lancement du 15 juin 1885, la revue « Le Chasseur Français » publie des petites annonces qui concernent la recherche de fusils, de chiens, etc.. Pour y découvrir celles consacrées aux rencontres dites « spéciales », il faut attendre 1896, année des premières projections des films des frères Lumière, début de l’affaire Dreyfus, découverte de la radio par rayons X,… Voici le texte de l’une de ces premières annonces : un veuf de 40 ans « sans enfant recherche demoiselle ou veuve aimable ayant petit avoir. Accepterait tache ». La « tache » sera un terme régulièrement utilisé pour indiquer que la femme, recherchée ou qui recherche, n’est plus vierge.
À l’époque, les annonces abordent également très souvent, et de façon on ne peut plus terre-à-terre, la valeur marchande des personnes concernées. Ainsi, cette famille qui se considère comme « des plus honorables » et qui recherche « pour marier un jeune homme de 34 ans gagnant dans une position libérale 6 à 8.000 francs par an, 30.000 francs de fortune, ni bien ni mal comme physique, auteur d’ouvrages couronnés, caractère élevé, humeur agréable, grand avenir pour une jeune fille aux goûts simples, distinguée, de fortune assez grande, dont il assurerait pleinement le bonheur ».
En 2014, Le Chasseur Français a diffusé un hors-série de 116 pages consacré à La grande histoire des petites annonces. C’est ce numéro qui est à votre disposition aux Archives de la Ville de Bruxelles. Pour chaque décennie, de la Belle Époque aux Années 2000, il propose une présentation des mutations culturelles et sociales, quelques événements marquants et des dates repères, des explications sur l’évolution du langage utilisé et surtout un florilège d’une bonne cinquantaine d’annonces publiées à l’époque. Une des annonces parmi les plus onéreuses date de novembre 1962, au cours de cette période où l’on commence à chercher davantage du plaisir qu’à se marier ! Mai ’68 s’approche, ainsi que le feu vert légal accordé à la contraception, la libération des sexes…
Cette annonce comporte 167 mots et coûta 516 NF, « soit deux mois de travail au SMIG de l’époque ! » (environ 800 euros). C’est dire la valeur… et l’importance que revêt pour certains une rencontre, en tous temps, au départ de mots écrits.
Le point culminant pour le nombre d’annonces publiées dans Le Chasseur Français, sera de 11.200 pour les années ’70, soit près du double de la décennie précédente. Mais le reflux sera rapide : 8.800 pour les années ’80, 4.000 pour les années ’90 et 2.000 … pour l’an 2000 ! Avec l’avènement du minitel et des numéros de téléphone surtaxés, « le métier des petites annonces va connaître en cinq ans plus d’évolutions qu’en deux siècles », avant le tsunami des sites de rencontres sur internet.
C’est la rubrique « Moins de 30 ans » qui fond comme neige au soleil : « Bien sûr, la direction s’en émeut. Les annonces moins nombreuses sont imprimées en plus gros caractères : ça tombe bien, puisque le lectorat vieillit ! ». Dès 2012, Le Chasseur Français lance son propre site de rencontres sur internet : les femmes y ont accès à titre gracieux, et les messieurs à titre onéreux. L’égalité des sexes n’est toujours pas d’actualité. (2)
300 PAGES DE GRAFFITIS ÉROTIQUES
Peut-être parce que la « grande presse » avait ignoré leurs annonces avant les années ’80, les homosexuels s’étaient rattrapés, sans doute de façon inconsciente, en multipliant les graffitis de recherches érotiques sur les murs des gares, prisons, hôpitaux, casernes, piscines, stades ou bâtiments scolaires et universitaires. Et, bien entendu, dans les toilettes du monde entier.C’est l’une de deux théories d’Ernest Ernest qui émergent de son enquête « compulsive » sur le terrain, à savoir que la majorité des graffitis sont d’origine homosexuelle. D’autre part, il constate que les cultures du Nord sont plus fécondes que celles du Sud pour user de ce moyen d’expression populaire.
Ernest Ernest est le pseudonyme quasi situationniste choisi pour publier en 1979 son livre « Sexe & Graffiti » par un discret documentaliste scientifique qui se muait, durant ses heures de loisirs, en « explorateur du dessous urbain », comme le définit son préfacier Alain Jaubert. Pendant près d’une quinzaine d’années, dès 1965, il transcrit et décalque dans de petits carnets plus de 15.000 graffitis dont un dixième sera reproduit dans les 352 pages de son opuscule.
Cet auteur ne souhaite pas que l’on fasse bavarder linguistes, psychiatres ou sémiologues sur le matériau qu’il a recueilli : « (…) car s’il a mené avec une rigueur toute scientifique son entreprise, il préfère la collection, l’accumulation des graffitis à leur interprétation savante », selon une déclaration de sa préface. Les « contre » parleront d’obscénité et de misère sexuelle.
L’avis de Jaubert est bien différent : « J’y vois au contraire la plus grande richesse. (…) L’ordure sexuelle envahit tout. La subversion est générale : l’orthographe, la typographie, la calligraphie, le lexique, la rhétorique, l’épopée, la prophétie, la publicité, la citation illustre, le proverbe… Parodie et parodie de la parodie. Giclée du fantasme brut (…). En somme, le grouillement bestial et angélique de la vie… ».
Dans ce livre, ne sont sélectionnés que les graffitis sexuels. Ils sont classés par pratique particulière. Un chapitre est consacré à chacune d’entre-elles. Dans l’ordre d’apparition : hétérosexualité ; amour en groupe ; bisexualité ; homosexualité masculine ; sadomasochisme homosexuel ; homosexualité féminine ; onanisme masculin ; onanisme féminin ; zoo. (3)
À « LIBÉ » : LA RÉVOLTE DES CLAVISTES
Nicole S. a travaillé pendant six ans au département des annonces du quotidien « Libération ».
En 1979, elle publie sur deux cents pages une sorte de journal « mémoire collective » de ce service destiné aux lecteurs dans son livre « Allo Libé, bobo…(Le phénomène des petites annonces) ».
Il s’agit de la période qui précède la mise sur orbite du supplément du samedi « Sandwich », dont les annonces étaient gratuites, et dont aucune règle ne limitait leur longueur. La rédaction s’était, par contre, fixé le droit de ne pas publier, et sans devoir s’expliquer.
Les annonces (de préférence gratuites) font partie depuis le début de l’ADN du quotidien. Le premier numéro paru le 23 mai 1973 en proposait déjà cinq : trois recherches de logement, une voiture à vendre et une demande « auto-stoppeur ».
Comme l’indique l’auteure, ces annonces « constituent l’héritage des journaux de combat de l’extrême gauche (lutte dans les secteurs délaissés de la politique : femme, sexualité, immigrés, détenus…) et de la presse dite underground (« Actuel » publiait des annonces gratuites dès 1971) ». Certains se souviendront sans doute avec une certaine nostalgie de ces annonces qui facilitèrent le tourisme estival à petits prix : au Portugal pour fêter sa Révolution des Œillets en 1975, et en Grèce, l’année suivante, lorsque les colonels n’y feront plus la dictature.
Personne n’y trouve à redire, à l’inverse de la rubrique des annonces sexuelles qui, elle, suscitera régulièrement la polémique. Des lecteurs et une partie de la rédaction rejettent celle-ci bien qu’elle popularise le quotidien.
Un lecteur témoigne : « (…) Ma marchande de journaux commande trois fois plus de Libé le samedi que les autres jours. Je la connais bien et j’en ai parlé avec elle : c’est uniquement pour la rubrique « Chéri, je t’aime » (…). La bataille fera rage et des centaines de lettres témoignent « du besoin de briser la solitude, de l’espoir d’une rencontre provoquée par les petites annonces ».
En juillet 1976 éclate la révolte des clavistes (c’est-à-dire le personnel qui tape les textes destinés à être publiées, à savoir surtout des femmes). Elles ne veulent plus que soient diffusées dans un journal de gauche des annonces aux relents phallocratiques. Cette revendication radicale de les censurer ne passera pas.
Cependant, ces clavistes choquées pourront ne pas les taper elles-mêmes. Elles le seront alors par leurs consœurs moins « vigilantes » qui pourront ajouter des notes de bas de page (parfois incisives) pour les signaler aux lecteurs.
Dans l’existence de ces annonces, il y aura un suicide, des arnaques, des procès… et tant de bonheurs. Les coulisses de leur publication sont décrites dans ce livre comme une aventure multiple et complexe, et pas uniquement pour sa rubrique des amoureux d’amour ou de sexe. Les textes de plusieurs centaines d’annonces parmi les plus pittoresques ou les plus pitoyables y sont republiés.(4)
À REGARDER ET À ÉCOUTER

photo daniel Seynave : “Le pique-nique”
Le photographe Didier Seynave a sélectionné vingt extraits de mon livre (« Une Vie à Séduire »). Je suis parti à la recherche de vingt « modèles ». À deux, nous avons organisé des prises de photos dans un train, dans un café célèbre, dans un atelier d’artistes, etc. Il en résulte une exposition qui a tourné dans une quinzaine de villes dont Paris et Bruxelles. À chaque étape, les comédien(ne)s lisaient des extraits. Une vidéo de ces lectures a été réalisée par le photographe et en immortalise quelques heureux moments sur Youtube (5). Mon livre « Une vie à séduire » est épuisé. Il se revend parfois sur internet. Diverses bibliothèques vous offrent sa lecture en location (le plus souvent gratuitement).
J’hésite à signaler qu’il a reçu un prix. Il s’agit du « Coup de coeur » du roman gay… Car comme, vous avez pu le deviner à la lecture des deux parties du présent article, ce n’est pas du tout un roman, ni une fiction. Mais plutôt une approche du réel avec diverses preuves concrètes.
POUR NOS AMIS DE FRANCE
Denis Rougé est un ami breton depuis la fin des années ’80. Il était l’un des fers de lance de la plus médiatique et subversive association de téléspectateurs de l’Hexagone, « Les Pieds dans le PAF » (comme Paysage Audiovisuel Français). En octobre 1989, on avait réussi à publier à Paris une charte « Vers une déclaration Européenne des droits des téléspectateurs » en 17 points…
Aujourd’hui, il s’occupe de « Et Compagnie… », une agence artistique associative de type « éducation populaire ». C’est lui qui détient désormais les 20 grandes photos de cette expo « Une vie à séduire » (et bien d’autres éléments parfois amusants comme ma machine à écrire de l’époque, ou la petite coupe en cristal où je versais mon vin rouge quand je répondais à mes courriers amoureux !).
Le but est de donner une nouvelle vie à l’expo, par exemple dans le cadre des activités culturelles de Gay Pride en France… ou lors de prochaines St Valentin ! Pour diffuser un peu les idées contenues dans le deux présents articles (6).
Bernard Hennebert
Photo du haut : Virginie Coumans, Archiviste en chef adjointe, montre sur son écran les « Archives gay Bernard Hennebert ».
(*) MES ANNÉES « PETITES ANNONCES » par Bernard Hennebert
(1) Tout découvrir sur les Archives de la Ville de Bruxelles : https://archives.bruxelles.be/
(2) La grande histoire des petites annonces du Chasseur Français (1885-2014 : l’amour en France) Hors série Le Chasseur Français (2014, 116 p.) Sur les archives de la Ville de Bruxelles, ce « Host série » est consultable entièrement:
http://archives.brucity.be/docs/0043/AVB_AP_2387_2444/AVB_AP_2431.pdf
(3) Sexe & Graffiti de Ernest Ernest (Éditions Alain Moreau, 1979, 352 p.)
(4) Allo Libé, bobo… de Nicole S. (Éditions Candeau, 1979, 204 p.)
(5) Extraits du livre lus par des comédiens : https://www.youtube.com/watch?v=m9ryWhmdRkw
(6) : La présentation de cette expo dans le catalogue de « Et Compagnie… » : https://www.etcompagnie.org/notre-catalogue/p/une-vie-a-seduire-bernard-hennebert-didier-seynave
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