MERCI JULIE, BRAVO LE COLLECTIF !

Pauvre monsieur Sacha Daout. Pour son 83ème débat à la RTBF sur le COVID-19, le 21 avril 2021, avec ses habituels ministres mâles, ses experts sympas (l’infectiologue et le psychologue), ses vidéos et ses invités pour « faire peuple », dans sa bien nommée émission QR / l’RQ, monsieur Sacha Daout, donc, voulait absolument placer son « essentielle » question sur les prochains « pré-tests / prétextes » dans les salles de spectacle.
Personne ne semblait avoir prévenu Sacha Daout qu’on n’en était peut-être plus là, et qu’avec ou sans tests, la semaine prochaine, plus de 80 salles de spectacle, de cinémas et de théâtres allaient rouvrir « spontanément » à Bruxelles et en Wallonie, sous l’égide de « Still Standing Culture ».
Julie Peyrat, elle, au nom du Collectif Bezet La Monnaie Occupée, et au nom aussi de tous les précaires et toutes victimes de la crise sanitaire, avait décidé d’exprimer en 180 secondes chrono sa colère, sa souffrance et sa vérité. Point barre. Et puis de se barrer !
Ce qui nous a valu cette réplique culte, qui rentrera sans doute demain au Panthéon du journalisme RTB-ien : « Revenons à l’essentiel, répondez à ma question ! ».
L’essentiel. HAHA. Excusez-moi, c’est nerveux, je ris.
Autopsie d’un running-gag et d’une chaise vide.

 

Sacha Daout : Julie Peyrat, bonsoir. Vous représentez le collectif qui occupe le Théâtre de la Monnaie et qui a un peu fait l’actualité récemment. Contestation évidemment par rapport aux mesures qui vous touchent, pas de réouverture des salles de spectacles, dit-on, avant le 31 mai, vous réagissez comment ?

Julie : D’abord, je voudrais juste préciser que je parle au nom d’un collectif d’étudiants et d’étudiantes, de jeunes travailleurs et travailleuses du secteur culturel, donc, des précaires parmi beaucoup d’autres précaires et perdants de cette crise, et j’aimerais dire à monsieur Vandenbroucke que nous, on vous vous considère comme personnellement responsable de notre avenir complètement bouché.
On estime que vous avez fait des choix politiques, donc idéologiques, et que les arguments sanitaires dont on est en train de débattre ici sont complètement fallacieux.
On a aujourd’hui les résultats d’une étude de l’Université d’Oxford qui nous dit… enfin, qui a fait un test sur 114 régions européennes, et qui nous dit que l’impact de la fermeture des salles de spectacles et de loisirs, c’est 3% de diminution sur le taux de reproduction du virus… 3% !

(Julie parle vite, mais de façon très distincte et compréhensible, malgré son masque. C’est son métier. Elle sait que son temps est compté).

3%, ce n’est absolument rien, par exemple, par rapport aux 35% que représenterait la fermeture des entreprises.
On a aussi l’exemple du Luxembourg, qui a fait le choix de rouvrir la culture et le sport. Tout le monde a crié au scandale, mais on a regardé les chiffres, et cela n’a eu absolument eu aucun impact sur l’épidémie.
Donc vous, vous avez fait des choix idéologiques, vous et votre gouvernement, vous avez fait le choix de…

(Cela fait à peine une minute qu’elle parle, mais Julie hésite un quart de seconde… et Sacha Daout en profite aussitôt pour enchaîner) :

Sacha Daout : … de ne pas mener, finalement, les expériences tests. Cela appelle, évidemment une réponse, puisque vous avez interpellé directement monsieur Vandenbroucke…

Julie : …Excusez-moi, j’aimerais juste finir ça, parce que c’est important… Vous avez fait le choix mettre en concurrence les différents secteurs, et de fermer, de mettre sous cloche, des pans entiers de la société, ceux où justement le lien social est le plus fort, qui sont déjà hyper-précaires, parce que, il ne faut pas se mentir, la santé, l’Horeca, mais aussi les personnes les plus précaires, comme les sans-papiers, les travailleurs de la nuit, les travailleurs du sexe, les sans abris, etc…, c’est sur nous, les plus précaires, que ça tombe à nouveau et encore.
Et en fait, il aurait été possible, il aurait vraiment été possible, de répartir les conséquences de cette crise sur toute la société, sur l’ensemble des secteurs, de façon solidaire.
Il aurait même été possible de diminuer les activités des multinationales, et cela aurait été une très bonne idée de refinancer massivement la santé, mais ce ne sont pas ces choix-là qui ont été faits, et ça, ce sont des décisions idéologiques, c’est sur les plus faibles socialement que tout est tombé au nom du fait que les plus faibles physiquement devaient être sauvés. Et ça, ce n’est pas la décision d’un virus, c’est une décision idéologique.

Sacha Daout (tentant de l’interrompre) : OK, OK, pardon, parce que vous vous répétez un peu, là…

Julie : Je suis désolée, j’en ai presque fini…

Sacha Daout : Si vous voulez bien répondre à ma question : est-ce que vous êtes satisfaite des expériences tests, il y a un feu vert qui va être donné pour la culture, est-ce que cela vous satisfait ou est-ce que c’est insuffisant ?

Julie : Je vais finir ce que je suis en train de dire, parce que c’est très important…

Sacha Daout : Et cela correspond bien aux questions que je vous pose, il faut respecter les questions que je vous pose !

Julie : Cela correspond exactement à ce dont nous sommes en train de parler ce soir, on n’a pas eu la parole pendant un an, on a été méprisé pendant un an…

Sacha Daout : Si, si, la culture a été présente presque tout le temps sur ce plateau, mais continuez…

Julie :… Je pense que ce soir, c’est le moment ou jamais de parler.
Donc, des pans entiers de la société ont été mis sous cloche, et nous, jeunes travailleurs précaires, on estime que tous les dégâts collatéraux qui vont arriver, et qui sont déjà arrivés, vous en êtes, vous et votre politique, responsables.

Sacha Daout :… Vous l’avez déjà dit aussi. Est-ce que l’on peut aller à l’essentiel et répondre à ma question ?

(haha)

Si vous voulez bien.

(haha. Excusez-moi, c’est nerveux)

Je vous demande si vous êtes satisfaits des expériences pilotes qui vont être menées maintenant en Belgique ?

Julie : Je n’ai plus qu’une dernière chose à dire…

Sacha Daout : Vous ne voulez pas répondre à ma question ?

Julie : Non. Je suis désolée, mais on a vraiment…

Sacha Daout : Il y a un minimum de respect à avoir par rapport aux questions que je vous pose.

Julie :Et c’est encore ce qui se passe sur ce plateau. On est encore méprisé. On nous répond par de fausses promesses qui ne seront jamais tenues, on nous dit que l’éducation est prioritaire, ce qui est complètement faux, il y a simplement un mépris total de tous les secteurs sociaux, de tous les secteurs qui créent du lien social.
Pendant un an, on a reçu des promesses qui n’ont jamais abouti à rien, et donc ce soir, le secteur culturel et précaire que je représente, à choisi de répondre à cette politique-là par la politique de la chaise vide.
Mais c’était important pour nous de venir vous le dire ce soir.

Et je vous laisse continuer le débat ensemble.

(Julie se lève et s’en va)

Sacha Daout : Vous ne souhaitez pas écouter la réponse du ministre de la Santé ?

Julie : Cela fait un an qu’on attend une réponse du ministre de la Santé !

(Elle sort)

Sacha Daout : Vous demandez le dialogue et vous partez, on en prend acte. Le dialogue c’est difficile quand l’interlocuteur principal n’est plus présent, et on n’aura pas la réponse sur ce que pense la culture des expériences tests qui vont être menées…

(Haha. Pardon)

on va en débattre entre nous.

(Sacha Daout va s’asseoir en face de Vandenbroucke)

On dit que vous avez abandonné le secteur de la culture, que vous avez fait des choix politiques, que vous n’avez pas permis des expériences tests…

(haha)

…. Est-ce qu’aujourd’hui vous regrettez un peu tout ça, ou pas ?

Vandenbroucke : Mais nous sommes à 100% responsables. A 100% ! Et on a fait le choix de combattre un virus qui a tué déjà 23000 personnes des plus faibles, des plus vulnérables dans la population. C’est ça, hein ? Hélas, madame est partie, mais peut-être elle devrait un peu essayer de sortir de son périmètre et de ce qu’ELLE trouve important, et de réfléchir à ces 23.000 morts qui sont les plus vulnérables, les plus faibles d’un point de vue sanitaire.
Et qui sont morts. Et, puisqu’on parle de précarité sociale, ils venaient souvent de milieux défavorisés, la stratification sociale est très nette. Et donc, notre lutte contre le virus a aussi cette dimension sociale, c’est une lutte sociale.
Deuxièmement, je reçois des dizaines de messages tous les jours de gens qui me disent : « le risque chez nous n’est pas grand, ce n’est qu’un tout petit pourcentage », mais tout le monde dit la même chose, il y a une multiplication des risques, et si tout le monde tient ce raisonnement, il faut faire l’effort de réfléchir, on n’est pas seul au monde. La solidarité, c’est autre chose.

(Monsieur Sacha Daout, qui a interrompu sept fois Julie, ne fait pas du tout remarquer à monsieur Vandenbroucke qu’il ne répond absolument pas aux remarques du Collectif, qui propose de répartir la charge sanitaire sur l’ensemble de la société.
Monsieur Daout ne souligne pas non plus que ces 23.000 morts n’ont qu’un rapport très lointain avec la chanson française, le cinéma, la danse ou le théâtre contemporain, alors qu’ils ont peut-être un rapport très direct avec la précédente ministre de la Santé, Maggie DeBlock, avec sa grippette, ses masques brûlés, ses fermetures d’hôpitaux et les homes transformés en mouroirs.
Monsieur Sacha Daout est bien trop occupé à expliquer combien la RTBF a fait des choses formidables pour les artistes, tout le temps, et « que la culture, dans cette émission, c’est autre chose qu’une chaise vide »).

(Et il se tourne ensuite vers l’infectiologue madame Leïla Belkhir)

Sacha Daout : Des expériences tests vont être menées, dommage encore une fois qu’on n’ait pas la réponse…

(haha. Pardon)

Leïla Belkhir, quel bilan tirez-vous de la gestion de la crise sanitaire en Belgique ?

(Je ne vais pas retranscrire ici tout le débat, que vous pouvez toujours allez suivre sur Auvio. Voici toutefois encore deux extraits des interventions du docteur Leïla Belkhir et du psychologue Jean Van Hemelrijck, qui ont je trouve apporté un peu d’humanité à cette séquence).

Leïla Bekhir : … Je voudrais quand même revenir sur ce que cette jeune femme a dit. Moi, ça m’a touché. On sent de la détresse, on sent de la colère, on sent une personne qui s’est sentie abandonnée.
Et c’est vrai, comme vous l’avez dit (à Vandenbroucke), que parmi les malades qu’on voit, il y a clairement un lien avec la précarité.
Je sors ici de mon cadre d’infectiologue, mais ce qui m’inquiète dans cette crise, c’est qu’on est vraiment en train de créer des scissions, des clivages dans la société. Or, pour pouvoir vivre, non pas avec, mais malgré le virus, il faut recréer de la cohésion sociale. Il ne faut plus opposer les secteurs les uns aux autres. Il faut vraiment qu’on change notre façon de voir, pour protéger notre système de santé, qui est excellent, mais qui, après trois « vagues », est épuisé.

Sacha Daout (au psychologue) : Vous pensez qu’on a atteint le seuil d’acceptation ? Qu’on n’est plus prêt à accepter des mesures sanitaires supplémentaires ?

Jean Van Hemelrijck (psychologue, ULB) : Absolument, on vient de le voir. La culture, elle sert à une chose, c’est à créer du divertissement, c’est à dire à désobéir à la ligne de conduite majeure, pour « désorganiser » la société et produire de la pensée.
Cette jeune fille, on peut s’indigner de son départ, mais elle a produit un événement qui nous oblige à penser. Elle a fait acte de culture.
Vous dites, monsieur Vandenbroucke, « il faudrait qu’elle me comprenne », mais c’est un processus circulaire, il faudrait aussi que vous la compreniez. Quand les gens sont dans une telle posture d’impuissance, en posture d’attente, sur le bord du terrain, hors jeu, ils sont dans la « désadhésion », et trois choses peuvent alors se produire :
1. soit on se désintéresse de tout ;
2. soit on s’effondre ;
3. soit on se met en colère, et on réinvente le jeu.
On n’a pas assez fait appel à la créativité des Belges, à notre capacité collective à trouver des solutions.
Il faut sortir des trucs manichéens, les bons, les mauvais, le secteur culturel, l’Horeca, les petits bruns, les grands blonds, il faut amener de la complexité, faire appel à notre force et à notre créativité collectives.
La colère peut avoir des vertus thérapeutiques.
Cette jeune fille a essayé de produire un événement pour qu’une pensée naisse en nous, pour que la situation se débloque.
Si on se contente de convoquer la police ou la morale pour la réprimer, notre société va se priver de toute cette intelligence collective-là.

Pour ma part, j’ajouterai simplement ceci.
Convoquer les 23.000 morts du COVID pour « répondre » à une jeune femme qui parle de la colère et de la souffrance de la jeunesses, la colère de tous les précaires et toutes les victimes de la crise sanitaire, c’est tout simplement abject. Un jour, ces gens se demanderont pourquoi ils sont pendus par les couilles à un réverbère.

Avec tout ça, je ne sais toujours pas quoi penser des tests pilotes avant spectacle. C’est dommage, parce que je joue trois fois en scène la semaine prochaine. Haha. Pardon, c’est nerveux.

Claude Semal le 22 avril 2021

1 Commentaire
  • alexandra jimenez
    Publié à 23:18h, 01 mai

    ho waw merci de nous partager ceci, c’est un grand moment effectivement!

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