05 juillet 2023
MATERNITÉ par Marie Wiener
Message sur la plateforme : “Besoin demain d’un·e driver pour accompagner une jeune maman et son nouveau-né, de l’hôpital St Pierre à sa famille d’accueil, près de Gembloux“.
Je me propose comme chauffeuse.
Clara, qui a lancé l’appel, me donne le nom et le n° de tél de la jeune femme.
Il faudra être à St Pierre à 14h.
Le lendemain: transfert reporté de 24h. OK, je peux toujours le faire.
Le surlendemain donc, j’envoie un SMS à Isa, la jeune accouchée, pour lui confirmer que je viendrai les prendre, elle et son bébé, en début d’après-midi.
Pas de réponse – elle doit avoir de quoi s’occuper, j’imagine.
Avant de démarrer, je lui téléphone et là elle décroche:
“Seulement à 14h ? Le SMS annonçait 13h30 ?” OK, j’arrive !
Je trouve à garer au pied de la Porte de Hal: parfait, c’est tout près.
Passée la porte tambour de l’hôpital, je fonce sur la “route 508” qui, d’après les panneaux, mène à la maternité.
La porte est verrouillée, je sonne. Grésillement: je pousse le battant.
Au guichet: “Non, je ne la vois pas chez nous… Elle est probablement au 608“.
C’est l’extension du service, tout à côté. Nouvelle porte, sonnette et nouveau guichet: “… je ne la trouve pas, elle doit être au 508″ “Mais j’en viens!”.
Tout le personnel de St Pierre est dévoué, de l’accueillante au chirurgien le plus réputé: je le sais de longue expérience. La dame du guichet reparcourt donc sa liste: “Isa Lina...” Je revérifie mes propres infos: “Excusez-moi, c’est Isa Mina, pas Lina!” Elle cherche… et trouve. Pas Lina donc, mais Mina. En outre, Isa Mina sont ses prénoms: elle vient d’Afrique centrale, son nom de famille est bien plus long et exotique. Voilà: c’est chambre 4, lit 1.
Dans la chambre 4, les lits 1 et 2 sont séparés par des rideaux jaune clair.
La nouvelle-née dort dans son berceau en plexi. Sur le lit, une dame est étendue, l’air fatigué: “Je suis une amie d’Isa. Elle est sortie…”
Ah? Oui, elle est allée déclarer sa fille à l’état civil, puis récupérer ses affaires au Samu social. Bon: si je reste près du bébé, nous finirons par nous trouver.
J’assiste ébahie au repas du nourrisson: l’amie se lave consciencieusement les mains, prend le bébé sur les genoux et lui met un doigt dans la bouche. Une toute jeune infirmière au sourire éblouissant l’assiste: “je suis stagiaire, en dernière année!“. Elle tient une seringue remplie d’un liquide jaunâtre, prolongée par un fin tuyau flexible qu’elle glisse le long du doigt dans la bouche: c’est ainsi qu’on donne au bébé le lait que la maman a tiré avant de sortir.
Isa m’appelle. Elle est dehors, près de ses affaires, avec l’ami qui l’a aidée dans ses démarches. “A quelle entrée?” “Aux urgences”.
Je sors et, à pied, je les fais toutes, les entrées. De la rue aux Laines, je descends au Boulevard de Waterloo. Puis je passe sous l’entrée cochère rue Haute et je traverse la cour intérieure jusqu’aux urgences. Oui, elle est là, dans une voiture remplie à ras bord de sacs et valises.
Bon. Je lui propose qu’elle retourne dans la chambre près de sa petite fille.
Moi je m’assieds sur le siège du passager et je guide l’ami conducteur jusqu’à ma voiture. Le bon dieu est avec nous: la place de parking derrière la mienne est libre! Je rabats les sièges arrière et nous transbordons dans ma Twingo les sacs, grands et petits, une poussette, au moins 2 couffins, un matelas pour lit de bébé, et 2 valises à roulettes. Retour à la chambre. Isa avale à la sauvette quelques cuillerées de la soupe aux légumes apportée par son amie. Il y a un cosy au pied du lit.
Elle me regarde: “Je ne sais pas comment on met le bébé là-dedans” “C’est ton premier?” Oui. Moi non plus, en fait, je ne sais pas. Ma fille a plus de 30 ans et je n’ai jamais utilisé de cosy. L’infirmière: “Je vais vous montrer!” Ensuite elle remet à la nouvelle accouchée une petite brochure qu’elle parcourt rapidement: “Si le bébé a des rougeurs, de la fièvre, ne mouille pas assez souvent son lange…, si vous-même vous sentez fiévreuse, ou déprimée…: vous appelez la sage-femme qui vous suivra là-bas, dans votre famille d’accueil“.
Je suis déchirée entre l’envie que nous démarrions enfin, et l’empathie, voire la gêne: Isa est toute tendue vers les explications, bouche entrouverte, visiblement épuisée, le plus concentrée possible.
Je prends le cosy, les deux amies se partagent les bagages, et nous descendons à l’entrée la plus proche: rue aux Laines. Je pose le cosy et sa précieuse cargaison sur un large muret et explique que je vais arriver dans cinq minutes là, sur ce trottoir, avec ma voiture. Aucun signe d’impatience. Leur confiance me touche.
Je range la voiture à côté de deux véhicules de service et nous complétons le chargement: encore trois sacs et une petite valise. Je constate, satisfaite, qu’une Twingo, c’est extensible. J’installe Isa à l’avant, puis le cosy sur ses genoux. Pas du tout sûre que ce soit autorisé de circuler avec un bébé à l’avant, même dans cette coque bien rigide.
(Au calme chez moi, je me souviendrai que “l’Afrique, c’est la civilisation de l’enfant porté” – ce cosy, ces couffins, cette poussette: on les lui a offerts pour l’équiper “comme il convient ici”. Bien normal qu’elle ne sache pas s’en servir)
Nous prenons congé de l’amie secourable. Il est 16h: tout va bien, je serai sortie de la ville avant l’heure de pointe. 16h35: nous montons sur l’autoroute. “Je crois que… je vais m’endormir!” La vitre arrière est bouchée par les bagages. Je dois me fier aux rétroviseurs latéraux. Les yeux clos, la tête d’Isa retombe, vers l’avant, d’un côté puis de l’autre. Dès lors, seul le rétro latéral gauche reste vraiment utile. Pour vérifier sur la droite, je dois me contorsionner un peu et diriger le regard sous le menton de ma passagère, ou par-dessus de sa nuque.
En fin de parcours, un chantier: la vitesse est limitée à 70km. Nous ne sommes plus très loin. Brusquement, une frayeur me saisit: si cette famille d’accueil refusait d’entreposer tout le barda que nous lui amenons?
Sur la petite route qui mène enfin à destination, un tracteur qui, bientôt, tourne à gauche.
Dans le village, je demande mon chemin: “désolées, nous ne sommes pas d’ici“.
Je finis par sonner au n°37A: “excusez-moi, je cherche le 37B?” “C’est là, juste à côté!”
Oui, effectivement, le n° est indiqué, mangé par une plante grimpante.
Je passe la grille du jardinet et frappe à la porte-fenêtre.
Pas de réponse – retour à la voiture. Le découragement n’a cependant pas le temps de m’envahir. Car une dame énergique sort en coup de vent: “Oui, entrez, entrez! Nous étions à l’arrière, au jardin. Nous vous attendions!”
Quel soulagement! Cette dame est visiblement elle aussi d’origine subsaharienne. Elle installe Isa et le bébé dans le divan, nous offre à boire. Elle nous présente sa fillette d’un an tout rond, puis les grands-parents qui font partie du ménage.
Nous vidons la voiture, rassemblons tout dans le hall.
“Quand mon mari rentrera, il montera tout ça en deux minutes!”
Elle nous demande l’autorisation de nous prendre la main à chacune:
“Mon Dieu, merci pour l’arrivée de ce bébé né le même jour, à un an d’intervalle, que ma petite dernière, et de sa maman. Merci pour Marie qui les a conduites jusqu’à nous. Merci pour cette vie qui commence. Merci pour cette belle rencontre! Mon Dieu qui nous as réunis, Mon Dieu, protège-nous tous et toutes!”
Isa sort de son engourdissement: “Moi aussi, je crois en Dieu! Je ne crois pas au hasard: moi aussi, je suis très heureuse de notre rencontre!”
Moi la mécréante, je suis émue par cette si sincère “petite prière“.
Je ne crois ni à dieu ni à diable. Mais je crois à l’accueil et aux rites de l’hospitalité.
Marie Wiener, juillet 2023 (1)
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