MADAME LA MINISTRE…

C’est Thierry Debroux, le directeur du Théâtre du Parc, qui a lancé l’alerte : la Ministre de la culture, Bénédicte Linard, s’apprêterait à diminuer drastiquement les subsides de trois grosses institutions théâtrales bruxelloises : Le Théâtre du Parc, le Théâtre des Galeries et le Théâtre Le Public.

Dans un secteur déjà fragilisé par la crise du COVID, cette décision impactera nécessairement l’emploi du secteur, et peut-être l’existence même de certaines de ces structures. Le cabinet évoquerait un “rééquilibrage” des dotations. Mais en vertu de quelle cohérence ? Et avec quels objectifs culturels ?
Couper les jambes à un théâtre n’a jamais fait marcher aucune troupe.
Une vingtaine d’artistes viennent d’écrire à la ministre, avec émotion, colère et stupéfaction, pour défendre leur outil de travail : Thierry Debroux, Laurence Vieille, Tania Garbarski, Janine Godinas, Charlie Dupont, Anne Sylvain, Magali Pinglaut, Pietro Pizzuti, Laurence d’Amelio, Frederik Haugness, Miriam Youssef, Shérine Seyad, Michael Delaunoy, Nicole Oliver, Bénédicte Chabot, Caroline Vanden Eyde, Philippe Blasband, Aylin Yay, Thierry Janssens et Itzik Elbaz.

Claude Semal, le 8 novembre 2023.

UNE SOURCE BIEN INFORMÉE M’APPREND… par Thierry Debroux

Madame la Ministre,
Par une source bien informée, je viens d’apprendre que vous vous apprêtiez à diminuer la subvention des trois théâtres bruxellois qui génèrent le plus d’emplois artistiques (dont le Théâtre Royal du Parc).
Dans le même temps, vous auriez l’intention de doubler la subvention de certains lieux qui peinent (et je ne m’en réjouis pas) à faire venir des spectateurs dans leurs salles.
Je n’ai jamais été partisan des comparaisons entre théâtres ou d’opposer institutions et compagnies.
Mais lorsque vous sous-entendez dans la presse que les compagnies génèrent plus d’emplois que les théâtres, soit on vous a trompée sur les chiffres, soit vous êtes de mauvaise foi.
Seuls les chiffres de l’ONSS sont probants et il ne fait aucun doute en les consultant que le Théâtre Royal des Galeries, le Théâtre Le Public et le Théâtre Royal du Parc génèrent à eux trois le plus grand nombre d’emplois et ça ne date pas d’hier.
En quoi, Madame la Ministre, avons-nous démérité pour que vous preniez une décision pareille (à condition bien sûr que telle est bien votre décision).
Au Parc, nous sommes passés de 36 000 spectateurs en 2010 à presque 80 000 spectateurs aujourd’hui. Avec plus de 32% de notre public ayant moins de 26 ans, nous sommes le théâtre ayant le public le plus jeune de Bruxelles (mis à part les théâtres pour la jeunesse bien entendu). Nous collaborons régulièrement avec des “jeunes” compagnies et de “jeunes” créateurs. J’aurais bien aimé quand je suis sorti de l’INSAS, qu’un théâtre subventionné m’ouvre les bras comme nous le faisons au Parc.
Qu’est-ce qui justifie une telle décision, Madame la Ministre ? Quel signe allez-vous envoyer à nos 80 000 spectateurs (et je ne parle que des nôtres) ?
Si ma source est fiable et si nous perdons effectivement une partie de notre subvention, nous n’aurons pas beaucoup de solutions.
Soit, nous augmenterons fortement le prix des places (ce que je me refuse à faire pour continuer à permettre à tout citoyen de pouvoir venir voir nos spectacles), soit nous diminuerons le nombre d’acteurs et de créateurs, soit nous gèlerons les salaires.
Car notre équipe permanente a toujours été réduite au minimum (impossible de faire des économies à ce niveau-là).
Concernant le Théâtre Le Public qui, toujours selon ma source bien informée, devrait subir une diminution colossale de sa subvention (qui signifie probablement la “mort” programmée de ce lieu), je ne suis pas toujours d’accord avec les prises de position ou la stratégie de son directeur, mais croyez-moi, ce lieu ne mérite pas la punition que vous vous apprêtez à lui infliger. C’est un théâtre où des spectacles de grande qualité se font, où le public afflue, et qui génère énormément d’emplois artistiques.
Une politique qui consiste à enlever aux uns pour donner aux autres n’est pas une bonne politique. Je me réjouis de l’intérêt que vous portez aux compagnies, aux artistes de stand up… vraiment… mais pas au détriment de lieux qui font bien leur travail et qui font sortir des milliers de spectateurs de chez eux tous les soirs.

Bien à vous
Thierry Debroux

TROIS SALLES TOUJOURS REMPLIES… par Laurence Vielle

Chère Madame la Ministre de la culture,

C’est avec stupeur, incompréhension et colère que j’apprends votre décision de retirer une partie conséquente de la subvention du Théâtre Le Public.
Vous le savez très bien, en faisant ce geste, le théâtre Le Public ne pourra plus fonctionner comme il fonctionne aujourd’hui.
Alors, je vous le demande :
Êtes-vous déjà allée au théâtre Le Public ?
Êtes-vous allée dans chacune des trois salles du théâtre Le Public ?
Connaissez-vous un théâtre à Bruxelles dont les trois salles sont presque toujours remplies, autant de soirs sur une année ?
Avez-vous rencontré les personnes qui y travaillent ? Personnel administratif, technique, etc. ? Avez-vous vu comme ils s’y sentent bien, comme ils sont fiers de porter la vie de ce théâtre ? Avez-vous pris le temps de bavarder avec les serveurs au bar ?
Vous êtes-vous promenée dans la librairie du théâtre ?
Connaissez-vous un théâtre qui favorise autant le répertoire grand public que des textes exigeants, confidentiels, engagés, contemporains, en prise directe avec l’actualité ?
Connaissez-vous un seul théâtre en Belgique qui engage autant de comédien.nes sur une année ? Et qui favorise autant de créations d’auteurs vivants, d’auteurs belges ?
Dites-moi, sincèrement, connaissez-vous un seul théâtre à Bruxelles qui a trois salles, une librairie, un restaurant, trois salles de répétitions, avec pourtant un personnel réduit par rapport à toutes ces fonctions ? Connaissez-vous un seul théâtre qui propose des séries de représentations de 6 à 8 semaines dans chacune de ses salles ?
Savez-vous qu’il n’est pourtant pas aisé de se rendre au théâtre Le Public ? Quartier dit « difficile », métro situé à presqu’un kilomètre du théâtre ?

Pour ma part, j’y ai joué huit spectacles : Les pensées de Blaise Pascal / Du coq à Lasne de/par Laurence Vielle / Ouf de / par Laurence Vielle / L’hiver de la cigale de Pietro Pizzuti / Animal, création collective / Les Présidentes de Werner Schwab / Le jeu de la cigogne de Philippe Blasband / Merci, création en cours /
Ce fut chaque fois exceptionnel, avant tout parce que la salle était TOUJOURS remplie. Et puis, parce que l’accueil était parfait, les salaires plus que respectables, les conditions de répétitions formidables, et le nombre de représentations de chacun de ces spectacles : entre 6 et 8 semaines ! Et les moments de rencontre avec le public après-spectacle étaient de grande qualité.

Humanité Convivialité Respect Engagement Bienveillance Pertinence Plaisir …
Quelques mots des perles d’un collier que je pourrais égrener encore, et que Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen ont créé avec ardeur, patience et amour.
Et c’est à ce théâtre-là que vous portez un coup fatal. C’est une honte.

Bien à vous,
Laurence Vielle / comédienne, auteure, poétesse nationale 2016-2017

COMMENT POUVEZ-VOUS LAISSER FAIRE CELA ? par Tania Garbarski

Madame la ministre,
Je vous écris suite au post Facebook de Thierry Debroux directeur du théâtre du Parc nous informant de bruits circulant concernant les nouvelles subventions qui si ils s’avéraient être confirmés seraient à mon sens , une catastrophe pour notre secteur culturel .
Mon nom est Tania Garbarski. Je suis actrice. Je travaille depuis plus de 30 ans principalement en Belgique et en France à la télévision, au cinéma ou sur les planches
J’ai foulé les planches de bons nombres de théâtre en Belgique et en France .
En France j’ai joué dans le privé et dans le subventionné.
Au théâtre le Public j’ai joué un de mes premiers spectacles en 1998 et je viens d’achever deux spectacles chez eux le mois passé , dont “En Attendant Bojangles”, nommé cette année meilleure mise en scène aux prix de la critique .

Si je me permets ce petit préambule sur mon travail c’est pour vous assurer que je parle de ce que je connais . Et sauf votre respect , vous ne pouvez pas en dire autant
J’ai essayé de vous inviter à plusieurs reprises à venir voir notre travail, par e-mail et par le biais de votre Facebook. Sans succès .
Votre “community manager” a répondu que vous étiez trop occupée .
Savez-vous que le théâtre le Public est un des seuls théâtre qui propose des séries de 60 représentations en Belgique francophone ? Que quasi toutes ces représentations ont lieu devant des salles pleines ?
Je n’essaye pas de vous accabler , mais je ne comprends pas que vous n’ayez pas trouvé une seule soirée pour venir découvrir ce lieu que vous avez pourtant décidé d’amoindrir .
Mon mari Charlie Dupont , et moi-même, travaillons souvent chez nos compatriotes français. Nous sommes extrêmement attachés à notre Belgique, à notre spécificité, à nos racines et à nos artistes de grand talent.
La France nous envie nos artistes merveilleux, nos magnifiques lieux de culture, nos techniciens aussi talentueux qu’efficaces.

En matière de cinéma , nous avons pu voir naître les “Magritte” pour faire rayonner notre travail en Belgique et ailleurs. Les médias ont considérablement évolués pour parler de culture , nous avons enfin des journalistes qui relayent notre travail, qui nous mettent en valeur et essayent de faire venir le plus grand nombre de spectateurs belges dans les lieux de culture. Car sans spectateurs dans les salles de cinéma, de théâtre, dans les musées ou autres institutions culturelles, notre métier est vain .
Le Théâtre le Public vous prouve par ses chiffres de fréquentation (et je suis sûre que si vous aviez bien voulu venir sur place vous l’auriez constaté), qu’il remplit depuis bientôt 30 ans, 3 salles de spectacles avec des séries de 2 mois minimum .
C’est assez rare pour être salué.
Ne fut ce que écologiquement dans un monde où on essaye d’être concerné, créer des spectacles qui ne sont montés que pour être joués huit ou dix dates est une hérésie.
Au-delà des considérations écologiques, voilà un théâtre qui par sa programmation exigeante et diversifiée a réussi à fidéliser un très grand nombres d’abonnés qui défendent ce lieu comme si c’était le leur.
Car oui , Michel Kacenelenbogen et Patricia Ide travaillent sans relâche pour instruire, divertir, créer du lien et du sens.
C’est le seul théâtre en Belgique francophone qui a une telle ligne éditoriale. Et vous conviendrez qu’elle fait ses preuves .
S’abonner au Théâtre le Public c’est la certitude d’avoir un programme théâtral qui nous fera voyager du rire aux larmes, qui nous offrira aussi bien des auteurs incontournables de Molière à Florian Zeller ( nommé aux Oscars cette année ) que des nouvelles écritures belges ( Blasband , Gunzig , Damas …) des sujets difficiles , des sujets actuels ou des comédies qui libèrent les cœurs lourds .

N’est-ce pas précieux ?
Savez-vous que bons nombres des metteurs en scène français et directeurs de théâtre en France avec lesquels Charlie et moi avons eu l’occasion de travailler et que nous avons invités à voir notre travail au théâtre le Public, sortent ébahis, nous enviant un lieu à la fois beau, convivial, exigeant et plein à craquer de spectateurs .
Alors oui le Théâtre le Public a besoin de votre soutient, car c’est ce soutient qui permet une telle diversité , une telle exigence.
C’est votre soutient qui nous permet de monter des spectacles qui ont plus que trois acteurs sur scène . C’est encore votre soutient qui permet aux scénographes , aux compositeurs , aux auteurs de faire rêver les spectateurs .
Les spectacles de formes légères ( deux acteurs et une chaise ) sont admirables , mais on ne peut pas offrir que cela à notre beau pays .
Diviser votre subvention en saupoudrant un peu partout n’est tellement pas à la hauteur de notre pays, de nos artistes, du rayonnement de nos talents .
Si on brise l’élan de ceux qui font massivement fonctionner notre secteur culturel, comment voulez-vous que les spectateurs belges viennent dans les salles ?

Enfin, j’aimerais vous parler plus personnellement de Michel Kacenelenbogen , de Patricia Ide, de Louis Philippe Duquesne, de Gaëtan Berger, de Gregory, d’Aurelien, de Imane, Nele, Deborah … de toute l’équipe incroyable qui constitue ce théâtre .
Vous n’imaginez pas le travail abattu, la qualité de ces êtres humains.
L’équipe administrative et technique est fidèle à la direction depuis 30 ans. Cela en dit long sur leur implication dans ce lieu non ?
Sur les plateaux , dans les bureaux ou dans les salles : tous sont fidèles et se sentent faisant partie de la maison.

Connaissez-vous le travail que fait ce théâtre auprès des écoles de Saint Josse , pour permettre aux jeunes du quartier d’avoir accès à la culture ?
Connaissez-vous les esquisses proposées tous les mois pour que n’importe quel artiste puisse venir tester son travail ?
Connaissez-vous la libraire au sein du théâtre ? Les bords de scène qui invitent les spectateurs à rencontrer les artistes autour de sujets sociétaux fondamentaux ?
Si vous lisez cette lettre avant le 8/11 , date ou vous remettrez votre décision, je vous implore d’aller passer une soirée au théâtre le Public avant .
On y joue actuellement “Le Fils “ de Florian Zeller, sublime texte qui parle du désespoir de certains de nos jeunes , de parents démunis face à ce désespoir. Ça résonne après ces moments de pandémie ou nous avons pu constater combien nos jeunes avaient souffert .
Vous prendrez ensuite votre décision en connaissance de cause .

Il n’y a pas assez de budget pour toute la culture, il est louable de vouloir donner sa chance à de nouvelles structures mais il est totalement inconscient de diminuer considérablement une subvention d’un lieu qui génère autant d’emplois, de spectateurs, mais surtout … de bonheur et de rayonnement de nos artistes belges.
Vous condamnez un de nos lieux de culture les plus importants , un lieu qui vous prouve par ses chiffres qu’il est le plus gros employeur d’artistes en Belgique Francophone, vous assassineriez nos rêves d’artistes et ceux des centaines de spectateurs qui poussent la porte du théâtre le Public tous les soirs . Comment pouvez-vous laisser faire ça ?

Recevez je vous prie mes meilleures intentions

Tania Garbarski

PS : si vous souhaitez en parler de vive voix je suis à votre disposition . Il me paraît essentiel que vous preniez la température des choses auprès des artistes , des spectateurs et pas uniquement derrière votre bureau en compulsant des dossiers abstraits .

JE FAIS CE MÉTIER DEPUIS 64 ANS ET J’AI HONTE par Janine Godinas

Mesdames, Messieurs,
Chers représentants, Chers décideurs politiques,

J’ai 82 ans. Je fais ce métier depuis 64 ans. Pour la première fois je me retrouve envahie par la honte.
On a pu lire sur Facebook que Thierry Debroux, qui dirige le Théâtre du Parc à Bruxelles, tient de bonne source que le renouvellement des contrats-programmes amènerait à sanctionner certains théâtres ?
Honte qu’on puisse en arriver à diminuer la subvention d’un théâtre, Théâtre Le Public en l’occurrence. Le Public est le théâtre en Fédération Wallonie-Bruxelles qui engage le plus de comédiens par jour, le théâtre où le comédien peut exercer son métier pendant 7 semaines alors que dans beaucoup d’autres il peut juste se produire 5 fois.
Je ne comprends plus rien.
Serais-je dans un pays où la culture est méprisée ?
Il se pourrait que oui. Il est vrai que j’appartiens à un pays où pendant la crise de la Covid, un membre du gouvernement a osé dire que la culture n’était pas essentielle.
Que dire aux jeunes qui voudraient s’engager dans ce métier aujourd’hui ?
« Attention plus de place… voyez la police, elle manque d’effectifs »
Oui… la honte ! Honte à toi pays que j’aime et qui m’a aimée jusqu’ici, si cela devait s’avérer être vrai.

Janine Godinas

UNE INDISPENSABLE LIBERTÉ par Charlie Dupont

Madame la ministre,
Permettez-moi de m’adresser à vous au sujet de la diminution de subside que vous envisagez de faire subir au « Théâtre Le Public ». Bien sûr, en tant que comédien qui adore y jouer, je tremble, comme le reste de la troupe, sur scène, comme en régie, de voir le théâtre obligé de m’employer moins, voire plus du tout. Mais le plaidoyer que je vous adresse n’est pas celui là.
Il est celui d’un homme, d’un citoyen libre, qui entend le rester et voit dans la décision que vous pourriez prendre un danger pour la notion même de « culture » sans laquelle la liberté n’existe plus.
Ce danger provient simultanément de plusieurs fronts:

1) D’un point de vue politique.
J’ai le plaisir de travailler au Public depuis une dizaine d’années. Et je ne vous y ai jamais vu. Vous n’êtes pas la première ministre de la culture à ne pas avoir choisi cette fonction. Et la question n’est pas là. Vous avez également le droit de ne pas aimer le théâtre. Mais en tant qu’électeur, j’attends légitimement de mes dirigeants qu’ils s’intéressent à la matière dont ils ont les attributions. Comme on attendrait du nouveau conseil d’administration d’une entreprise, de s’intéresser, au moins un peu, au produit fabriqué.
Comment pouvez-vous, d’un point de vue politique, vous prononcer sur l’avenir budgétaire d’une institution à laquelle vous n’avez pas pris la peine de rendre fût ce une visite ?
A titre personnel, je me permets de souligner que je vous ai également attendu à Cannes pour défendre notre cinéma mais, là aussi, vous aviez mieux à faire.
Si vous délaissez le théâtre et le cinéma, ne vous étonnez pas que bon nombre de ceux qui font la culture dans ce pays quittent le rang de vos électeurs.
Pour ce qui est du théâtre «Le public », je précise, si c’était nécessaire, qu’il ne s’agit pas d’un tout petit théâtre de quartier mais du plus gros employeur de comédiens de la Fédération, ainsi que du théâtre le plus fréquenté part les spectateurs de ladite Fédération.
D’un point du vue du calcul purement politique toujours, s’en désintéresser et en limiter le financement me semble poser une question: pourquoi ?

2) D’un point de vue artistique:
Le théâtre est co-dirigé par Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen, couple sur scène comme à la ville . Et la programmation qui y est faite, tout en hétéroclicité, fait la part belle aux pièces dont le propos féministe est porté haut. Réduire la possibilité de mener ces combats ne me parait pas pertinent dans le monde d’aujourd’hui et parfaitement contradictoire avec la politique que vous et votre parti prétendez mener.

3) D’un point de vue moral.
Le Théâtre le Public est le seul de la Fédération a être dirigé par un duo qui « n’a pas besoin du salaire de leur théâtre » pour vivre. Cette autonomie financière leur donne une véritable liberté de programmation qui est absolument salutaire pour générer des spectacles très différents tout en fidélisant un public depuis près de trente ans.
C’est une ligne éditoriale, qui ne leur est dictée par personne, qui a fait ce succès. Sans vouloir nuire à personne, il est évident qu’un directeur de théâtre qui a personnellement besoin de vous pour manger, sera plus enclin à vous brosser dans le sens du poil.
Et je reviens donc avec la notion de liberté, essentielle à la naissance d’une culture. C’est à cet endroit là que vous avez décidé de frapper. Pourquoi ?

Belgique francophone, novembre 2023.
Notre pays, morcellé et pourtant tellement unique a besoin de se raconter.
Pour vivre et grandir le belge a besoin de se confronter à des histoires qui lui parlent et lui permettent donc de se définir.
A cet endroit là, il y a une différence majeure entre « entertainment » et « culture ».
Vous n’êtes pas « ministre du temps libre », vous êtes « ministre de la culture ».
Vous ne pouvez pas vous réfugier derrière le soutient « d’activité de loisirs » pour justifier l’oubli de certains théâtres incontournables.
Il s’agit tout bonnement (entre autre) d’aider à repondre à la question « qu’est ce qu’être belge/ wallon » ? D’Hergé à Magritte, de Hugo Vlaus à Maeterlinck, de grands artistes y ont contribué. N’amputez pas l’institution théâtrale qui porte ce flambeau aujourd’hui.
Merci.

Charlie Dupont

MON INCOMMENSURABLE INCOMPRÉHENSION par Pietro Pizzuti

Madame la Ministre de la Culture,

Chère Bénédicte Linard,
Permettez-moi de vous remercier de prendre le temps de lire ces quelques lignes. Je suis plus assidu sur les scènes de Belgique francophone (et d’ailleurs), depuis près de quarante-cinq ans, que sur les réseaux sociaux. Il n’empêche, grâce à mes camarades, j’ai été mis au courant d’une nouvelle qui s’est répandue comme une traînée de poudre, concernant la décision que vous vous apprêtez à prendre de diminuer drastiquement la subvention du théâtre Le Public.
Compte tenu des nombreux courriers que mes consœurs et confrères vous adressent, je m’en voudrais d’être trop long. Ainsi, je me limiterai à vous exprimer mon incommensurable incompréhension eu égard à une telle décision. J’avoue chercher les raisons qui peuvent vous la dicter sans en trouver la moindre.

Depuis la saison 1994-1995, j’ai le bonheur de travailler par intermittence pour ce haut lieu des métiers de la scène qu’est le théâtre Le Public, en tant que comédien, metteur en scène et auteur. J’ai connu les co-directeurs fondateurs de cette aventure théâtrale atypique et exceptionnelle, Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen, au Conservatoire d’Art dramatique de Bruxelles, où nous avons fait nos classes, en 1979, si mes souvenirs sont bons.
Cela me donne l’avantage de savoir leur ardeur à la tâche, la droiture de leur engagement et leur dévouement pour faire vivre un projet artistique exceptionnel.
Votre avis se fonde, sans nul doute, sur votre perception ainsi que sur votre évaluation sensible d’éléments concrets et des mentions émises par différentes instances et conseillers. C’est bien cela qui me jette dans un désarroi profond et aggrave mon incompréhension.

Il est, à mes yeux, incompréhensible, en effet, vous appuyant sur autant d’éléments pertinents, que vous décidiez de pénaliser une institution théâtrale, qui n’a cessé d’exercer la cadrature du cercle afin de maintenir en équilibre sa subvention et la qualité de l’offre artistique qu’elle peaufine et fait croître depuis le 9 novembre 1994, pour un nombre d’artistes contractualisés et de spectateurs heureux sans cesse en augmentation.
Quels objectifs une telle décision poursuit-t-elle? Selon quels critères?
En faveur de quel dessein culturel ? Encore des questions auxquelles je m’efforce de trouver une réponse valable, sans y parvenir. Comment ne pas céder à la tentation de lire dans une telle prise de décision un parti pris dicté par des motivations qui m’échappent ?

Madame la Ministre de la Culture, Chère Bénédicte Linard, si avant que votre décision ne tombe, le dialogue démocratique qui vous honore et que vous pratiquez est encore ouvert, permettez-moi de vous encourager à l’étendre, non seulement aux premiers intéressés, mais également aux porteuses et porteurs d’avis qui, à l’instar des nombreux témoignages qui vous sont adressés depuis le terrain, pourront le nourrir.

Avec ma très haute considération,

Pietro Pizzuti

POUVONS-NOUS VOUS PERMETTRE D’ASSASSINER LE “THÉÂTRE LE PUBLIC” ? par Anne Sylvain

Madame la Ministre de la Culture,
Mesdames et Messieurs du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles,
Chères et chers parlementaires,

J’aime le théâtre. Et donc j’y vais. En tant que spectatrice. J’aime le théâtre et je le pratique aussi. Le théâtre est mon métier. 30 ans que j’ai la chance de le pratiquer. Parmi les nombreux directeurs que j’ai rencontrés, les cofondateurs et directeurs du théâtre Le Public, Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen, m’ont profondément marquée.
J’ai envie de dire qu’ils ont donné à leur théâtre une triple fonction : Le divertissement ô combien important en gage de soupape dans ce monde compliqué. Le politique ô combien important pour réfléchir, se poser des questions et s’offrir une représentation critique de nous-même au cœur de notre société. Le social ô combien important pour tisser des liens entre les générations, les communautés, les publics divers.
Patricia et Michel dirigent trois salles. Chaque spectacle est programmé 6 à 10 semaines. Six à dix semaines ! Pas cinq, ou quelques jours, comme dans les autres théâtres. Non ! Six à dix semaines.

Imaginez le confort que cela laisse au spectateur pour programmer sa venue au théâtre, le confort à l’équipe artistique pour faire grandir le spectacle, le confort financier aux interprètes qui se débattent sans cesse avec leur statut d’artiste. Ils ont construit une communauté avec leur public et leurs artistes. Le théâtre est un véritable lieu de dialogue. La relation au public est un enjeu central pour eux. Ils adressent aux spectateurs une réelle proposition sur la liberté et la parole.
Pas un soir où Patricia ou Michel ne viennent saluer les comédiens avant la représentation. Nulle part ailleurs je n’ai connu ça. De telles attentions, ça crée des liens. La confiance, le respect, la fidélité.
Je travaille régulièrement au Théâtre Le Public depuis juin 2013. Une complicité s’est construite depuis ces vingt années. Ce qui distingue le Théâtre Le Public des autres théâtres, c’est le rapport qui s’y noue.
Le théâtre m’emploie en tant que comédienne, assistante à la mise en scène, metteuse en scène. Ce sont Michel et Patricia qui m’ont donné ma chance en tant qu’autrice. Michel a monté trois de mes textes, c’est une chance inouïe pour la jeune autrice que je suis. Et une vitrine incroyable auprès de milliers de spectateurs relais de bouche à oreille.

30 ans donc que je fais ce métier. J’ai donc connu la valse des ministres.
Nous découvrons sur les réseaux sociaux, sur la page Facebook du directeur du Parc, Thierry Debroux, que les nouveaux montants des subventions seraient attribués et que des diminutions sont prévues avec une telle ampleur pour le Théâtre le public que cela signerait sa disparition… et à cette annonce, me voilà plongée en pleine frayeur éveillée !!!!!
La Communauté française ferait la plus grande bourde en appliquant aveuglément cela.
Je ne m’abîmerai pas dans le mutisme. Il faut que l’on sache !
Voilà un assassinat ! Pas besoin de nous rappeler les arcanes toutes de conspirations et le mode perverti du monde politique. Les grands auteurs de théâtre en parlent si bien. Pensons à Shakespeare par exemple. Le mot « assassinat » est-il trop fort…
Non ! Il s’agit bien d’un meurtre commis avec préméditation.
On peut lire dans la presse que la ministre veut « réduire la voilure » de certains théâtres. Certaines sources bien informées, comme dirait Thierry Debroux, parlent de réduire la subvention du public de 800.000 euros. Mais que croyez-vous faire en réduisant une subvention de 30% madame ?
Dans un théâtre dont les subsides sont déjà inférieurs à son « ordre de marche »… Vous assassinez un théâtre. Vous assassinez tout son fonctionnement.
Peut-être vous dites-vous que le théâtre pourrait fonctionner avec 30% de subvention en moins ? Non ! Si le Théâtre Le Public est confronté à une diminution de la subvention de l’État de 30% dès janvier 2024, les solutions qui se présentent à Michel et Patricia sont variées, ils ont vraiment le choix… !!!

* Un dépôt de bilan. Une fermeture. Car le théâtre devrait terminer sa saison avec des budgets engagés sur la subvention précédente qui ne correspondraient plus à la subvention qu’ils recevraient désormais. Le déficit serait donc déjà de 400 000 € avant même de pouvoir envisager la prochaine saison.
* Envisager de fermer une, ou deux salles
* Réduire l’équipe administrative
* Engager moins d’artistes
* réduire le nombre de créations
* Réduire le temps de création
* Réduire l’exploitation des créations
* Fermer le restaurant et licencier le personnel qui y travaille
* Ne pas ouvrir à Uccle.

Le saviez-vous tout cela en prenant votre décision ? Si oui, alors il s’agit bien d’un assassinat. Et si non… alors… c’est encore plus grave que je ne le pensais.
Michel et Patricia avaient pourtant le mérite de prendre le théâtre au sérieux, et ce depuis trente ans, sinon, ils n’auraient pas mis toute leur énergie à créer leur théâtre, à soutenir les artistes et à se battre pour tout le secteur culturel.
Voyez-vous Madame Linard, il m’est plus essentiel de défendre le théâtre où je travaille que de vous chercher des excuses et des justifications à la décision que vous avez prise.
La question est donc : qu’est-ce que la Fédération Wallonie-Bruxelles va fêter ? La mort du théâtre qui engage le plus d’artistes ? Autrement dit : pouvons-nous consentir, nous artistes, nous spectateurs à permettre la Ministre Bénédicte Linard d’assassiner le théâtre Public ? Moi, je ne peux y consentir. Et je me battrai.

Anne Sylvain

DE FORMIDABLES PARTENAIRES ARTISTIQUES par Magali Pinglaut

Aux responsables politiques de la Culture,

J’apprends ce 1er novembre sur Facebook, sur une publication du directeur du Théâtre Royal du Parc, que la ministre de la culture a l ‘intention de réduire drastiquement la subvention du Théâtre Le Public.
Sidérée par l‘annonce, j ‘ai eu le besoin de refaire un petit historique quant à mon parcours dans ce lieu, cette maison de Théâtre à St Josse. Je travaille dans ce théâtre depuis 1999.
J’y suis entrée après avoir passé une audition pour « Après la répétition » d’Ingmar Bergman mis en scène par Michel Kacenelenbogen.

J’ai eu le privilège, en tant qu’actrice, de partager les différents plateaux du Public avec :
Anne Chappuis, Pierre Laroche, Patrick Descamps, Olivier Massart, Patricia Ide, Yannick Duret, Marie Bach, Frédéric Dussenne, Alexandre Trocki, Rosalia Cuevas, Sibel Dincer, Maryse Dinsart, Léa Capraro, Sébastien Waroquier, Serge Demoulin, Janine Godinas, Olivier Coyette, Laurence Vielle, Pietro Pizzuti, Catherine Graindorge, Jo Deseure, Gaétan Lejeune, Anne Sylvain, Emile Falk, Benjamin Boutboul, Chloé Struvay, Benoit Verhaert, Jeanne Kacenelenbogen, Frédérick Haugness, Cachou Kirsch, Inès Dubuisson, Simon Wauters…
J’y ai été mise en scène par : Michel Kacenelenbogen, Hélène Gailly, Patrick Descamps, Isabelle Pousseur, Serge Demoulin,  Lorent Wanson, Michel Pinglaut, Virginie Thirion…
J’ y ai mis en scène :
Nathalie Cornet, Laurence Vielle, Benjamin Boutboul, Emilienne Tempels, Caroline Kempeneers, Chloé Struvay, Mirabelle Santkin, Baptiste Blampain, Jeanne Kacenelenbogen, Pascale Oudot, Aylin Yay, Gaétan Lejeune, Xavier Delacolette, Anne Claire, Babetida Sadjo, Laurence d’Amelio, Sarah Lefèvre…
J’ai eu la chance de jouer ou mettre en scène les textes de : Ingmar Bergman, Alexandre Dumas, Eugène Ionesco, Philippe Myniana, Karl Valentin, Olivier Coyette, Blaise Pascal, Véronique Olmi, Lorent Wanson, Pietro Pizzuti, Tenessee Williams, Howard Butten, Patricia Ide, Horace McCoy…
J’ai travaillé en collaboration avec des créateurs lumières, scénographies, costumes :
Jean Gilbert, Maximilien Westerlinck, Anne Guilleray, Sarah de Battice, Laurence Hermant, Chandra Vellut, Renata Gorka, Laurent Kay, Vincent Lemaire, Gaétan van den Berg, Philippe Henry…
Vous conviendrez de l‘exceptionnelle chance que j ‘ai de vous partager cette formidable et conséquente liste composite de partenaires artistiques.

Grâce au Théâtre Le Public, et grâce à cette confiance fidèle depuis toutes ces années, j’ai pu développer ma pratique théâtrale. J’ai rencontré nombres de gens au sortir des représentations. J‘ai discuté, débattu, partagé de hautes émotions citoyennes et intimes avec chacune, chacun. Défendu ou questionné différents points de vue.
Ma liberté de création, de pensée, et celle de ma circulation autonome au sein de divers théâtres en Belgique a toujours été respectée par la codirection du Théâtre Le Public.
En saine évidence. En curiosité attentive. Je ne me suis jamais sentie assignée au Théâtre Le Public. Mais solidement liée à celui-ci. Comme beaucoup d’autres personnes je le sais.
Je ne comprends pas la possible décision de la madame la Ministre et de la FWB.
Et me tiens prête à en échanger avec vous, et avec qui le souhaiterait.

Magali Pinglaut

VOUS ALLEZ FAIRE DISPARAÎTRE UN THÉÂTRE, C’EST CRIMINEL ! par Laurence d’Amelio

Madame la Ministre,
J’apprends à ma plus grande stupéfaction que vous allez diminuer la subvention du théâtre Le Public ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Le Théâtre Le Public ne peut pas disparaître, parce que même si vous ne faites que diminuer leur subvention, le théâtre Le Public tel qu’on le connaît disparaîtra.
Voilà 30 ans que je fais ce métier. Il serait criminel de faire disparaître ou même simplement
d’entraver la mission du théâtre Le Public : un théâtre qui est en vie, pour la vie, par la vie, à travers la vie, porteur de vie, diffuseur de vie ! Et son nom n’est pas qu’un nom, tout y est pensé POUR le public. Un théâtre ouvert sur le monde, le réel.
La subvention d’autres théâtres doit restée inchangée j’imagine ou parfois même être augmentée, soit. On s’y attend … certains le méritent peut-être à vos yeux et vous travaillez à un équilibre, d’accord, mais ne touchez pas au théâtre Le Public.
Un théâtre en pleine expansion, et c’est assez rare pour le préciser.
Peut-être d’ailleurs est-ce la raison pour laquelle vous voulez les arrêter, ?! Au moment où ils récoltent leur semis, le fruit de tant de travail! Ah oui, j’imagine que c’est comme pour la direction d’un théâtre. … Il y a une date de péremption. Au moment où on est riche de toute une vie de théâtre et qu’on peut la transmettre, on doit partir.

D’après moi vous choisissez le mauvais camp ! De quoi avez-vous peur ? Qui protégez-vous ? Qui favorisez-vous ? Pardon mais nous sommes nombreux à nous poser ce genre de questions.
Je viens de jouer une série de 40 représentations au Théâtre Le Public, deux mois à l’affiche d’un théâtre, mais vous êtes bien incapable de vous rendre compte de ce que ça représente, de la chance RARE qui nous est offerte par ce théâtre de jouer tant de fois, d’avoir le temps de parcourir un réel chemin, incapable de vous rendre compte de ce que les spectateurs reçoivent grâce à ça, du climat de confiance qui y règne, de l’humanité avec laquelle Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen dirigent ce théâtre, du respect et de l’amour que leurs spectateurs leur portent, puisque vous n’y avez jamais mis les pieds !
Comment pouvez-vous décider de vie ou de mort d’un théâtre sans le connaître ?!
Moi, je vais faire une grève de la faim ! Voilà ! Je serai alors comme les spectateurs, citoyens que vous priverez de nourriture, comme mes collègues que vous priverez de travail.
C’est criminel ! On dirait que vous occupez ce poste sans avoir de vue réaliste de ce métier, de ce secteur. Vous encouragez le court terme et entravez le long terme. Vous êtes la « Zap-ministre ». Mais il faut entrer en résistance madame la Ministre. Si nous ne nous réveillons pas, ne nous soutenons pas, ne nous encourageons pas à lutter contre l’intérêt personnel, le jeunisme, le favoritisme, la peur, l’ego, le rapport de force et j’en passe, nous sommes perdus.
Le Théâtre Le Public est stigmatisé, accusé injustement. Venez-voir ! Rendez-vous compte par vous-même comme votre subvention est bien utilisée, redistribuée, investie, sans profit personnel.

Je vais vous confier une chose, et je ne crois pas être la seule dans ce cas : en travaillant au théâtre Le Public, j’ai retrouvé ce petit endroit de foi d’où tout peut naître, cet endroit de foi qui m’animait à mes débuts, la raison pour laquelle je fais ce métier, le sens qu’il donne à ma vie. C’est précisément ce que sème le théâtre Le Public… Du sens, de la foi, de la fraternité, de la force, de la résilience… Et aujourd’hui, plus que jamais, il en faut pour vivre dans notre monde tel qu’il est.
Je n’ai jamais constaté à ce point, dans aucun autre théâtre, que le but était atteint, que les spectateurs sont réellement, durablement, mis en mouvement intérieur, bousculés, vivifiés… Après le spectacle encore, ils s’expriment, restent dans le lieu pour échanger avec les acteurs, les uns faisant évoluer les autres dans un climat de confiance et de fraternité.
Non, vraiment, c’est criminel. Vous allez faire disparaître un théâtre qui, plus qu’un autre, tisse des liens entre les citoyens, transmet des savoirs, donne vraiment à chacun sa place active, développe l’esprit critique, aide à la découverte culturelle, artistique, est le plus grand employeur du secteur. INCOMPRÉHENSIBLE !
Qu’est-ce qui se cache derrière tant de suspicions ? D’acharnement ? De discrimination ? Mais madame la Ministre, le théâtre Le Public est un phare ! Et un phare à qui on supprime sa lumière provoque beaucoup de désagréments aux petits bateaux qui trouvent leur chemin grâce à lui. Et bien moi, petit bateau parmi beaucoup d’autres petits bateaux prêts à se battre pour leur
phare (et je ne parle pas que des acteurs, mais aussi des spectateurs), je vous avertis que si votre décision est de blesser le Théâtre Le Public, nous serons là pour le défendre et nous serons nombreux ! Toutes voiles dehors ! Tenez-le-vous pour dit.

Bien à vous.
Laurence d’Amelio .

C’EST TOTALEMENT ABSURDE ! …C’EST QUOI, VOTRE PROBLÈME ? par Itzik Elbaz

25 années de survie dans ce métier, trois nominations aux prix de la critique, un prix, 10 ans d’enseignement, 60 rôles et me voilà à nouveau en danger, à nouveau presque rien, à nouveau un cliché de l’artiste belge francophone qui ne semble pouvoir exister que parce qu’il est en déséquilibre.
J’ai travaillé “partout” (dans beaucoup d’endroits) et cela fait 8 ans que j’ai en partie posé mes bagages au théâtre le Public.
A titre exclusivement personnel (mais je ne suis pas le seul, loin s’en faut), le théâtre le Public m’a offert une stabilité d’emploi et ce faisant, j’ai vu déserter la peur trop fréquente du lendemain et le recours anxiogène aux services fédéraux du chômage ; services auxquels sa diminution drastique va me renvoyer.
J’insiste sur le fait de perdre mes emplois, j’insiste sur le fait de devoir désormais compter sur la manne fédérale pour survivre alors que mes compétences étaient ici au service de ce pour quoi j’ai été formé, j’insiste sur le fait que je n’ai pas été formé à répondre aux demandes administratives des services du chômage mais pour œuvrer en tant qu’artisan des arts de la scène et que je pratique ici mon métier, j’insiste sur le fait que les deniers publics alloués au théâtre le Public sont à destination des emplois et que si “économie” il y a dans le chef du ministère de la culture, cette économie aura un coût au fédéral.

Je ne comprends pas la “gargarisation” du ministère de la culture qui se vante depuis des années d’aider et soutenir les artistes, alors que tout tend à une paupérisation, à un plafond de verre de plus en plus bas et écrasant, coincés que nous sommes entre des séries trop courtes et l’inflation qui nous étrangle.
Je ne comprends pas que le ministère ait mis en place une telle violence à l’égard d’un acteur majeur des arts de la scène en Belgique francophone, qu’on l’apprécie ou pas, qu’on le connaisse ou pas.

Nous, les artistes, avons-nous mal agi ? Avons-nous mal joué ? Avons-nous porté haut des œuvres répréhensibles ? Avons-nous raté le train de la modernité ? Si oui, quelle modernité ? Sommes-nous aveuglés, corrompus ou idiots ? A chacune de ces questions, la réponse est non. Un non ferme.
Le théâtre le Public offre une diversité de proposition proprement gigantesque dans le paysage culturel de la fédération. Je n’y ai jamais joué de classiques de la littérature française, ni même de grands classiques de la littérature mondiale.
J’ai défendu et vu défendre des textes aux échos résolument actuels tels que le racisme, l’antisémitisme, l’écologie, le colonialisme, les guerres aux portes de l’Europe. J’ai vu des comédies, des drames, des vieux et des jeunes ; j’ai aimé certains spectacles et d’autres pas.
J’ai vu bien avant que cela ne devienne une mode (car c’en est une) une profonde volonté de remise en question des schémas de création ultra traditionnels et toxiques.
Une remise en question complexe, difficile et imparfaite mais une remise en question qui n’a pas souffert de compromis.
Ce que j’ai vu, c’est la réelle volonté d’emmener un très large public vers une modification des paradigmes de lecture des œuvres et de la façon d’amener celles-ci sur un plateau de théâtre.
Tout ceci ne se fait pas en un jour, tout ceci ne se fait pas en gavant les publics de bonnes intentions. Tous les publics ne sont pas convaincus d’avance et c’est un immense travail de se remettre d’abord soi-même en question puis d’œuvrer à discuter posément et intelligemment avec lui, quitte à le confronter parfois.

Un réel travail est engagé, j’ai engagé un réel travail , nous avons engagé un réel travail.
En diminuant le budget du théâtre, vous sapez une démarche démocratique à laquelle nous, artistes, pouvions dignement croire.
Cette démarche n’est pas “à la pointe” de la modernité des langages théâtraux (il y a des lieux plus pertinents pour cela) mais elle est honnête, elle est pensée, elle est active, elle travaille, elle a son importance et plus que cela, elle est en fait rare.
Cette démarche est sans doute trop lente pour vous mais il est terriblement dommageable que vous préfériez la détruire plutôt que de l’encourager.
La diminution des fonds alloués à ce théâtre est une volonté de coupure totale avec un public très large qui ne fera que durcir le ton entre celui-ci et vous dans un avenir proche.
Cette diminution est un acte de politique politicienne, pas une démarche sensée.

Nous les artistes, sommes-nous sourds aux rumeurs permanentes qui concernent la direction du théâtre ? La réponse ici est encore une fois non.
J’ai agi toute ma vie dans des formes de militance et à des endroits pas particulièrement simples, j’ai mis en péril mon intégrité physique face à des groupes d’extrême-droite, j’ai été menacé anonymement et gravement parce que moi et d’autres nourrissions des réfugiés à la Gare du Nord, j’ai quitté avec pertes et fracas mon emploi de professeur dans une école de théâtre quand j’ai acté que l’institution ne disposait pas des outils à même de protéger l’intégrité morale et parfois physique des élèves, j’ai dénoncé à visage découvert dans la presse, j’ai bougé mon cul comme on dit, j’ai perdu des amis, j’ai perdu des batailles mais je n’en regrette aucune.
Si je vous parle de militance, c’est pour insister sur l’intransigeance.
Me pensez-vous imbécile, corrompu ou trompé quand je dis qu’aucune rumeur concernant le théâtre le Public n’a vu de preuves se manifester devant moi ?
Pensez-vous que par intérêt personnel j’hésiterai à “mordre la main qui me nourrit” si je découvrais des activités répréhensibles?
J’ai cherché, j’ai demandé, j’ai voulu voir, j’ai voulu vérifier.
Avez-vous des preuves de ce que vous avancez, de ce que vous répandez ?
Si oui, fournissez les car moi je ne les ai pas vues.
Si j’ai été trompé, montrez le moi parce que jusqu’à présent, c’est rumeurs, rumeurs et rumeurs.

Est-ce que vous vous rendez compte que jouer trente fois minimum est presque unique chez nous ? Est-ce que vous vous rendez compte que nous gagnons nos vies ? Est-ce que vous vous rendez compte que vous nous stoppez ? Est-ce que vous réalisez que vous explosez notre outil ? Est-ce que vous vous rendez compte que vous nous intimez l’ordre de nous taire, de parler moins fort et moins longtemps ? Mais qu’est-ce que ça peut bien vous faire si nous jouons autant ? C’est grave de jouer longtemps ? Ça vous coûte des sous ? C’est quoi votre problème ?

Comment le théâtre qui engage le plus de monde et donc qui dépense le plus pour la vie des autres pourrait détourner, même légalement, des deniers publics ? C’est totalement absurde. Comment un théâtre qui remplit trois salles avec des séries de minimum 30 représentations peut-il être accusé comme cela ? Comment un théâtre qui draine autant de spectateurs pour entendre des textes parfois difficiles peut-il être suspecté de facilités ? C’est absurde. Comment un théâtre qui réussit depuis 30 ans à amener un large public dans un quartier réputé difficile peut-il être pointé du doigt pour flatterie envers son public ? C’est absurde. Comment un théâtre qui participe si activement depuis si longtemps à des activités avec des écoles dans le quartier peut-il être accusé d’entre-soi ?
C’est absurde. Comment un théâtre qui a engagé autant de personnes issues de tant de sensibilités artistiques différentes peut-il être taxé d’entre-soi ?
C’est absurde. Comment un théâtre qui paye correctement toutes les personnes qu’il engage peut-il être accusé de faire des économies sur le dos de ses employés ?
C’est absurde. Pensez-vous réellement parvenir à nous faire croire qu’il y a mauvaise gestion en analysant les chiffres dont tout le monde dispose ? Tellement de fantasmes…

Tout n’est pas rose au théâtre le Public.
Tout n’est pas merveilleux. Ce n’est pas Disneyland.
Mais rien de ce qui s’y vit et de ce qui s’y est passé ne mérite une telle gifle.
Une gifle politique, vengeresse et émotive.
Une bonne baffe humiliante après les procès que vous perdez systématiquement face à ce théâtre (qui a acheté la justice et les jugements d’après vous ?).
Une gifle exclusivement dirigée vers une direction que vous contestez et qui ne blessera au final que les artistes qu’ils engagent et les spectateurs qui vont les applaudir.
Toute honte bue, j’ose espérer que votre acharnement sera aussi virulent quand il s’agira de défendre le maintien de nos droits lorsque l’ONEM verra débarquer des dizaines de nouveaux aspirants au statut d’artiste.

Bravo, vous vous êtes retiré une épine du pied.
Peu importe si ça nous coupe les jambes, pas vrai ?

Itsik Elbaz

Photo Bracchetti

NOUS FAISONS LE MÊME MÉTIER : L’ALTRUISME par Frederik Haugness

LETTRE OUVERTE A BENEDICTE LINARD, Ministre de la Culture

Chère Bénédicte,
Nous faisons le même métier et, comme entre camarades dans le milieu tout le monde se tutoie, je me permets cette intimité avec toi.
Quand je lis ta biographie, je n’ai aucun doute, nous faisons le même métier, nous consacrons notre vie à notre vocation, à notre besoin viscéral de servir le plus grand nombre. Ton parcours professionnel parle pour toi. Tes choix de vie, même aux prémices de l’âge adulte, témoignent de ton engagement à être utile à l’autre, dans sa plus grande diversité.
C’est certainement pour cette raison que tu as traversé l’Atlantique pour accompagner des créateurs dans la réalisation des rêves qu’ils souhaitent partager. Être productrice de films est un rôle difficile, je ne t’apprends rien, et c’est dans l’ombre que tu as dû te battre pour trouver d’improbables solutions qui permettront aux rêves de voir le jour et briller dans une multitude de cœurs.
Choisir d’être productrice de films était déjà un acte politique.
Mais sans doute cela te semblait manquer de concret, de palpable. Tu as voulu voir, toucher, être au plus près de cet autre à auquel tu as décidé de consacrer ta vie : tu as choisi d’enseigner la langue française à Anderlecht. Cette langue si riche, par son histoire, par sa littérature, par sa poésie, qu’elle permet le développement d’une pensée complexe et émancipatrice.
Choisir d’être enseignante était encore un acte politique.
Mais ce n’était pas suffisant, tu voulais faire plus, tu t’en sentais capable, et c’est parce que tu as compris que la vie même était en danger que tu es devenue militante écologiste. Faire du politique n’était pas assez pour te réaliser, tu voulais agir au cœur de notre société et faire de la politique. Voilà comment je te lis, et je ne pense pas me tromper.

Photo Tangy Bertin

Je t’admire. C’est un chemin semé d’embuches que tu as choisi d’arpenter, et nombreux sont ceux qui s’y sont perdus, oubliant le feu qui les animaient au commencement, et sont devenus des politicards, ceux qui ne servent plus qu’eux-mêmes, ou éventuellement quelques faux amis : ceux qui font de la politique politicienne.
Par cette lettre, je souhaite rejoindre celles que tu as déjà reçues de nombreux artistes inquiets du choix que tu t’apprêtes à poser.
Je voulais être concis… Je sais que ton temps est précieux, qu’il t’en manquera toujours, surtout avec le nombre de missions qui te sont assignées. C’est inhumain. A priori infaisable et pourtant tu le fais, tu as dit oui et tu te donnes entièrement à ce oui.
Mais ce qui devait arriver, arrive : tu t’es égarée.
C’est pour cette raison que je me permets de te rappeler d’où tu es partie : l’altruisme.
C’est en cela que nous faisons le même métier. Il est donc question que tu réduises drastiquement les subventions de certains théâtres, pour des raisons que je ne parviens pas à saisir. Je parle, entre autres, du Théâtre Le Public, du Parc et des Galeries. J’ai eu l’occasion de travailler dans les trois, ils ont chacun une couleur qui leur est propre et un rôle évident à jouer : ils offrent une merveilleuse palette d’émotions, de rires et de réflexions à nos citoyens. Tu le sais, je ne te ferai pas l’injure d’en faire la démonstration ici.
Quand j’ai appris qu’il était question d’une baisse de subventions, je n’y ai pas cru, j’étais convaincus que c’est l’exact contraire que tu allais nous annoncer !
Actuellement, je joue dans Le Fils, au Théâtre Le Public, qui met en lumière le désespoir dans lequel se trouve une partie trop importante de notre jeunesse : la perte du sens de la vie, le suicide.
Elle parle aussi de la détresse des adultes, perdus et sans réponses à ces questions existentielles.
A l’issue de chaque représentation, je vois des spectateurs qui pleurent, d’autres qui se parlent, qui nous parlent, qui témoignent, qui nous remercient.
Une chose me saute aux yeux : jamais notre métier n’a eu autant d’importance, sa fonction est devenue capitale.
Le théâtre est le dernier endroit où des gens qui ne se connaissent pas ont l’occasion unique de partager, de ne plus être que des individus, solitaires, de se parler, de ressentir ensemble, de faire société.
Le théâtre est l’un des derniers lieux où le politique peut se partager physiquement.
Et c’est en cela que tu fais fausse route.
Il faut que tu augmentes les subventions, partout où c’est possible. Et si l’argent manque, tu as été productrice, tu es ministre aujourd’hui, je compte sur toi pour en trouver encore et encore. C’est ça ta mission. En la réalisant tu accompliras ce à quoi tu t’es destinée dès ton plus jeune âge. Ne cède pas aux règlements de comptes entre petites personnes. Pense grand. Continue à rêver le Beau, à construire le bonheur de notre multitude.

J’ai besoin de toi. Nous avons tous besoin de toi.
Concrètement, je ne partage pas la même conclusion que Thierry DEBROUX [1].
Si tu cédais à la politique politicienne et décidais de baisser ces subventions, je ne diminuerais pas le nombre de spectacles programmés, ni le nombre d’artistes engagés, j’augmenterais le prix des places. Certes, cela exclurait l’accès au théâtre aux moins chanceux, mais cela aurait le mérite de mettre en lumière tes choix politiques, bien de droites, qui répercutent les coûts de productions sur le consommateur.
Parce que la demande est là, que les théâtres menacés d’une baisse de subventions sont pleins, il serait absurde de réduire l’offre. Non ?
Parce que la fonction d’une subvention est bien de baisser le prix d’accès aux contribuables, en partageant son coût par les contributions, justement, comme tous les services publics. Non ?
Je serais curieux de voir la tête des contribuables quand on leur proposera une place de théâtre à 75€… Tout en précisant que c’est le résultat d’un choix politique. Le tien.
Si tu le souhaites, je serais ravi de partager un verre avec toi, et de chercher, avec toi, aux meilleurs moyens pour réaliser notre rêve commun, notre vocation, notre profession de foi : contribuer au bonheur de l’autre, de tous les autres.
Je t’embrasse.

Fred, le 6 novembre 2023.

DIX MILLE ABONNÉ.ES ! SI JE NE DEVAIS TRAVAILLER QUE DANS UN SEUL LIEU… par Miriam Youssef

Mesdames, messieurs,

Bonjour

J’ai appris par les réseaux sociaux, et avec stupeur, que le Théâtre Le Public se verrait plus que dangereusement amputé d’une énorme partie de ses subventions. Assez que pour que son pronostic vital soit engagé, se dit-il.

J’adorerais ne pas céder aux rumeurs, répondre à l’appel de la CCTA qui nous enjoint à ne pas réagir pour notre bout de gras avant d’avoir une vision globale et respecter ainsi le travail fastidieux des commissions. Vraiment. J’adorerais. Mais voilà, on le sait, pour ne pas qu’il y ait de réaction aux fuites, il faut d’abord qu’il n’y ait pas de fuite n’est-ce-pas. 

Comme nombre de mes camarades, je ne peux consentir par un silence docile et lâche concernant cette fuite précise (même si je ne suis pas insensible aux autres), parce que 1 tiers en moins, c’est trop énorme pour penser solidarité, partage des richesses et plan global. Ça sent la mise à mort d’un théâtre ciblé.

Qu’on aime où qu’on n’aime pas sa ligne artistique (et ce en y ayant goûté ou non), qu’on ait des a prioris négatifs sur ses co-directeurices (fondés sur quelle réalité tangible en fait?) ou non, bref, qu’on cède ou non aux on-dits qui pullulent dans notre peu brillant secteur, il est impossible de ne pas se poser la question du bien-fondé d’une telle décision. Impossible.

Personnellement, je n’ai travaillé à ce jour qu’une seule fois au Théâtre Le Public, et même si j’y œuvre régulièrement en tant qu’autrice non jouée, c’est en tant qu’œil presque extérieur que je me permets de vous écrire aujourd’hui. 

En tant que voisine tenoodoise, je sais ce que ma commune pourrait perdre dans l’affaire. Et cela me tétanise. En tant que professionnelle, je me sens méprisée.

En tant que spectatrice, l’insulte devient directe.

Je vais me permettre une petite confidence. Après 23 années de pratique, si je ne devais plus travailler que dans un lieu, je choisirais sans hésitation le Théâtre Le Public.

Et pas seulement pour le Théâtre Le Public (même si j’y trouve déjà assez de bonnes raisons), mais parce qu’au Théâtre Le Public, il y a le public du Théâtre Le Public. 

On parle beaucoup du nombre d’abonné·es de ce lieu. Parfois avec admiration, parfois avec mépris. Comme on parle du Théâtre Le Public. Le succès reste suspect, et constitue une part importante de la fracture sectorielle qui semble encore s’épaissir aujourd’hui.

Ce n’est pourtant pas parce que soupe lui est servie que le public vient et revient, spectacle après spectacle, saison après saison, même si telle ou telle proposition ne l’a pas convaincu. C’est parce qu’il se sent, et est, respecté. Profondément. Fondamentalement. Ça vous paraît banal? Tellement évident? Non. Une telle foule d’abonné·es pourrait facilement être banalisée, anonymisée, prise pour acquise. Et c’est loin d’être le cas. Je vous mets au défi de trouver un·e spectateurice fidèle n’ayant pas au moins une fois discuté avec l’un·e des codirecteurices.

La première marque de ce respect fondamental est la longueur des séries de représentations. Elles sont certes un marqueur fort de la considération accordée au travail fourni par les professionnel·les de la scène et des budgets qui leur ont été alloués, mais, surtout, elles déploient un discours implicite devenu par trop rare. Elles disent  “votre temps a de la valeur à nos yeux, vous ne devrez pas choisir entre nos spectacles et d’autres sorties théâtrales ou non, venez quand vous pouvez, quand vous voulez, on vous attend”. 

Personnellement, je trouve cette attention remarquable. Et précieuse. 

Au Théâtre Le Public, on prend le temps nécessaire à créer du lien durable, fondé sur un respect mutuel.

Le nombre d’abonné·es n’est pas seulement extraordinaire en termes de remplissage de salles. Cette fidélité permet de tisser un dialogue avec le public, sur le long terme. Spectacle après spectacle, le dialogue reprend où on l’avait laissé. Ce n’est pas qu’une question de remplissage mais un réel souci de lien. De conversation. 

Et cela, pour empoigner toute la valeur politique de notre fonction, pour déconstruire petit à petit certains a priori, pour reconstruire durablement de nouveaux inconscients collectifs, ce n’est pas seulement rare et précieux. C’est indispensable.

Au théâtre Le Public, on a la chance inestimable de ne pas parler avec un public acquis, mais avec un public présent.

Mon objectif n’est pas ici de jeter l’opprobre sur les institutions aux séries de courte durée et/ou au public ciblé, voire de niche, mais bien d’attirer simplement et une fois de plus votre attention sur la multitude de personnes qui pâtiront de votre décision si vous diminuez ainsi cette subvention précise. Pour mieux répartir, faut-il anéantir? Et si oui, au dépend de qui?

Si vous considérez que le fabuleux nombre d’artistes qui a la chance de trouver des semaines et des semaines d’emploi au Théâtre Le Public représente une simple somme de victimes collatérales, et qu’après tout il y a un nouveau statut d’artistes qui les rattrapera dans leur chute si iels n’ont pas de compagnie sous contrat, formidable. La blague est excellente et prouve une fois de plus que le cynisme n’est pas mort.

Si l’emploi de ces artistes-là ne fait pas partie de cette nouvelle politique culturelle que vous participez à mettre en place, la question du public ne devrait pas vous laisser de marbre, si?

10 000.

10 000 abonné·es.

10 000 personnes qui risquent fort de se sentir giflé·es en pleine face.

Ce geste vous semble-t-il juste? J’espère que non.

Bien à vous,

Miriam Youssef, 

actrice, autrice, metteuse en scène

UN THEÂTRE ESSENTIEL (EN MAJUSCULES) par Thierry Janssens

Mesdames et Messieurs du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles,
Madame la Ministre de la Culture,

Mon nom est Thierry Janssen. J’exerce la profession de comédien et d’auteur dramatique depuis 1995. Durant ces 28 années, j’ai eu la chance de travailler régulièrement un peu partout, dans les diverses institutions théâtrales principalement bruxelloises.

D’après les bruits de couloir, vous êtes sur le point d’acter une diminution des subsides des trois théâtres (Parc, Galeries et Public) qui engagent le plus d’artistes et qui peuvent se targuer de remplir leurs salles l’année durant. Il est vrai, je ne m’attendais plus à une augmentation (la dernière indexation date de quand? 20 ans?), mais certainement pas à une diminution de subsides pour de telles institutions ESSENTIELLES.
Ces trois théâtres peuvent se vanter de remplir à la perfection leurs rôles respectifs et ils ont plus que jamais une juste place dans notre paysage actuel où la Culture est ESSENTIELLE pour divertir, réfléchir, émouvoir et poser des questions sur le monde d’aujourd’hui. Raconter des histoires est ce qui fait de nous des Humains et nous éloigne de la barbarie. En ces temps troubles et agités, le Théâtre, une des formes les plus archaïques et les plus pures de la Narration, est ESSENTIEL à notre Humanité. (Désolé, chaque fois que j’écris le mot “ESSENTIEL”, il s’affiche en majuscules, je ne sais pas pourquoi!)

Le cas du Théâtre le Public est inadmissible et intolérable. Vous n’ignorez pas qu’en rognant 30% de sa subvention, ce lieu n’aura d’autre choix que de se déclarer en faillite et de fermer ses portes. Comment pouvez-vous en toute conscience choisir de fermer définitivement un tel lieu qui a prouvé par son histoire le rôle-clef qu’il affichait dans notre paysage culturel? Et ainsi précipiter au chômage plus d’une centaine d’artistes et salariés dont le métier est déjà si précaire?
Le Théâtre Le Public est un des théâtres dans lequel j’ai le plus joué (à 12 reprises, si je compte bien). Il est aussi, et pour cela j’en serai à jamais reconnaissant à Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen, le théâtre où fut montée ma première œuvre écrite. Trois de mes pièces ont eu la chance d’être produite dans ce lieu. (Je suis actuellement l’auteur de vingt-six pièces de théâtre dont presque toutes ont été créées en Belgique et à l’international).

J’aimerais tant que vous preniez conscience de l’importance de ce lieu culturel que vous vous apprêtez à rayer de la carte. Un lieu d’histoires émouvantes, riches en réflexion sur l’Humain et le monde, un lieu où on s’échappe du morne quotidien le temps d’une soirée, un lieu qui n’a cessé d’œuvrer pour communiquer et enrichir les échanges culturels avec les habitants au sein de la commune de St Josse-Ten-Noode.

Michel Kacenelenbogen parle fort. Il dérange. Fait des jaloux et des envieux. Mais c’est avant tout un homme entier, loyal, passionné par ce métier et respectueux de ses spectateurs comme de ses employés. Ne permettez pas qu’au nom de rumeurs et calomnies infondées, qui ont pris l’habitude de s’abattre régulièrement sur ses épaules comme autant de pluies d’orage, un navire si ESSENTIEL à notre communauté, l’œuvre de toute une vie, ne sombre.
Un théâtre qui ferme c’est une parole qui meurt.
Ah oui! Le Public s’apprête à souffler ses 30 bougies. 30 ans c’est l’âge de raison. Le moment où on entre de plein fouet dans la vie d’adulte, l’âge de tous les possibles, de tous les futurs!

Hélas, je redoute qu’une fois de plus, ce pays sans mémoire et sans véritable reconnaissance culturelle, soit sur le point d’enterrer un théâtre ESSENTIEL (Tant pour les spectateurs que pour les artistes) !
Madame Linard, de grâce, écoutez-nous! Ne commettez pas cette terrible erreur.

Thierry Janssens

UN THÉÂTRE CURIEUX ET VIVANT par Aylin Yay

Chère Madame la Ministre,

Pensez-vous vraiment, en toute sincérité, que pousser le théâtre Le Public à la fermeture en lui enlevant une part substantielle de ses subsides améliorera la situation financière des autres théâtres ? Permettra à la culture si spécifique de notre petit pays de rayonner mieux? De se renouveler? De créer plus et mieux ? Le Théâtre Le Public est le plus grand pourvoyeur d’emplois de la scène théâtrale belge francophone.

Le Public se permet depuis trente ans de naviguer entre des spectacles grands public de qualité et des œuvres méconnues et audacieuses, entre des pièces hilarantes et des tragédies. Il met à l’honneur nos auteurs belges contemporains. Il met à l’honneur des textes classiques et contemporains du monde entier.
Vous n’avez pas idée de l’inextinguible curiosité de Patricia Ide en la matière. Venez donc assister à une séance du comité de lecture. Et dans la foulée, venez donc assister à une représentation théâtrale. Si ça se trouve, vous risqueriez d’aimer…
Le Public crée en permanence. C’est une ruche. Avec trois salles. Six semaines de représentations en moyenne, vous imaginez ? C’est un théâtre curieux et vivant.

Michel et Pati aiment passionnément le théâtre. Et tous ceux qui le font exister: les acteurs, les metteurs en scène, les auteurs, les techniciens et… les spectateurs.
Alors oui, c’est vrai, ce n’est que du théâtre. Le théâtre c’est un instantané de nos sociétés, c’est un miroir et une intuition… Le théâtre c’est un risque.
Tout ce travail, cette création, vous comptez les faire mourir?
N’est-ce pas faire preuve d’une vision à court terme ? N’est-ce pas médiocre ?

Pourrions-nous, rien qu’une fois, prendre un peu de hauteur?
Recevez, Madame la ministre, l’expression de mes meilleurs sentiments,

Aylin Yay, comédienne

ON S’EN SOUVIENDRA par Philippe Blasband

Chère Madame la Ministre,

Vous risquez de causer la fermeture du théâtre Le Public. On s’en souviendra. À cause des auteurs.
Le théâtre est l’endroit où l’instant présent est célébré. Après la dernière d’un spectacle, après la mort des acteurs et des gens qui travaillent autour des spectacles, on oublie. Sauf les textes.
La moitié du théâtre élisabéthain, c’était des pièces jouées par des enfants. Qui se souvient encore de ces spectacles, sinon quelques historiens du théâtre ?
Mais on se souvient des auteurs : Marlowe, Tourneur, Ben Johnson, et surtout Shakespeare.
On se souviendra du théâtre le Public. Depuis trente ans, une grande partie des textes belges de théâtre y ont été montés. Dont les miens.
Quand j’ai commencé à écrire pour le théâtre, les institutions théâtrales belges francophones montaient une pièce belge par an, parce qu’ils y étaient obligés par leurs contrats-programmes.
Le Public a changé cela. Chaque année, ce théâtre a produit au minimum deux ou trois créations de textes belges francophones. Au minimum. Certaines années, près de la moitié des spectacles étaient des créations de textes belges. Et c’était chaque fois de longues séries de représentations. Avec, dans certains cas, des tournées. Ce qui est primordial pour les auteurs. Pas seulement pour les droits d’auteur, mais aussi pour leur permettre d’évoluer.

L’Histoire du théâtre de notre pays se souviendra du Public.
Et l’Histoire se souviendra peut-être de vous, Madame la Ministre, comme celle qui a détruit ce théâtre.
Celle qui a tué une vague d’auteurs de théâtre, alors qu’elle commençait juste à naître.

Mes sentiments les plus distingués,

Philippe Blasband

VOUS VOUS TROMPEZ DE CIBLE par Caroline Vanden Eyden

Madame la Ministre de la Culture,

S’il s’avérait que les informations qui circulent se confirment à savoir, la diminution drastique
de la subvention du Théâtre le Public, cela anéantirait la concrétisation du projet visant à
l’ouverture d’un nouveau théâtre avec deux nouvelles salles de spectacle à Uccle.
Au-delà d’un projet immobilier, nous véhiculions l’idée que le champ culturel puisse traverser
les frontières et que les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles puissent accéder à une plus grande sécurité d’emploi nécessaire à l’élan créatif.
Je n’ai jamais compté mes heures tant j’étais convaincue de la portée humaine et sociale du
projet.

J’ai été amenée à rencontrer bourgmestres, ministres, chefs de cabinet, comédiens, scénaristes et investisseurs pour présenter nos intentions, et suis parvenue à les convaincre tous du caractère indispensable du projet tant il l’était pour le monde de la culture et de la démocratie.
Tous, sauf vous Madame la Ministre, car je n’ai jamais pu le défendre ni devant vous, ni devant votre cabinet malgré mes sollicitations.
Je me refuse de croire que vous n’y avez pas pensé en arrêtant votre décision de diminuer la
Subvention du Théâtre le Public.
Je m’indigne de la prise d’otage politique qui est faite au nom d’une vendetta personnelle : les
travailleurs ne sont pas le patron.

Je ne me sens pas traitée avec humanité et justice, je ne me sens pas reconnue pour le travail
que j’ai fourni durant quatre ans pour la culture, je ne me sens pas citoyenne quand j’entends
que je ne suis qu’un dommage collatéral, voire un détail.
Peut-être aviez-vous supposé ruiner les chances du Théâtre le Public dans son élan d’extension mais seulement ce sont les miennes que vous avez assurément terrassées.
Oui, Madame la Ministre de la Culture, vous vous êtes trompée de cible. C’est moi, tous mes
collègues et beaucoup d’artistes qui perdraient tout.

Dans l’espoir d’être lue et entendue, je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, mes
respectueuses et sincères salutations.

Caroline Vanden Eynde.

UNE PRÉCARITÉ GRANDISSANTE par Michael Delaunoy

Madame la Ministre,
Chère Bénédicte Linard,
Une rumeur persistante suscite depuis quelques jours l’inquiétude du secteur des arts de la scène en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans le cadre des décisions que vous vous apprêtez à prendre en ce qui regarde les contrats-programmes et contrats de création prenant cours en janvier prochain, trois importants théâtres bruxellois – le Théâtre royal du Parc, le Théâtre royal des Galeries et le Théâtre Le Public – verraient leurs subventions réduites. Le Théâtre Le Public serait en particulier fortement touché par cette mesure.

Je n’ai pas pour habitude de commenter les rumeurs, mais le caractère apparemment fiable de celle-ci a de quoi alarmer. Ne siégeant dans aucune instance d’avis, j’ignore tout des dossiers respectifs déposés par ces trois structures de création.
Si, sur un plan subjectif, on peut être sensible ou non aux lignes artistiques défendues par chacune d’entre elles, on doit reconnaître qu’elles répondent toutes trois à une cohérence et à un projet clairement identifiables dans notre paysage théâtral.
Par ailleurs, trois facteurs demeurent objectifs et absolument indiscutables :
– ces trois maisons de théâtre proposent de longues séries de représentations,
– elles touchent de larges publics,
– elles sont de très importantes pourvoyeuses d’emploi, en particulier d’emploi artistique.

Pour toute une série de raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici et qui vous sont parfaitement connues, les artistes de notre communauté vivent dans des conditions de précarité grandissantes.
Si l’on s’en tient aux interprètes, celles et ceux qui n’enseignent pas, ne participent pas à des tournages ou ne pratiquent pas le doublage, sont dans de grandes difficultés pour boucler leurs fins de mois. Je tiens dès lors à manifester auprès de vous et auprès de vos collègues du gouvernement ma plus vive inquiétude quant à de potentielles décisions qui auraient pour conséquences directes de précariser encore davantage nos métiers artistiques.

On pourrait objecter à cela que les marges budgétaires dégagées par la diminution de ces trois structures seront affectées à d’autres structures elles aussi pourvoyeuses d’emploi. A cela je répondrai que déshabiller Paul pour habiller Jacques n’a jamais tenu lieu de politique culturelle ambitieuse. Vous n’en portez pas bien sûr la responsabilité, mais c’est l’ensemble du secteur culturel et artistique de notre communauté qui est depuis toujours sous-financé. Certes, des rééquilibrages s’avèrent nécessaires. Le secteur des compagnies dont, à tire personnel, je relève directement, mérite par exemple d’être plus largement soutenu. Pour ce faire, dégager de nouvelles enveloppes s’avère indispensable. Mais pratiquer ce rééquilibrage en amputant certaines subventions ne pourrait qu’attiser entre opérateurs des tensions dont nous n’avons pas vraiment besoin aujourd’hui.
En espérant que ces différents arguments seront en mesure de vous toucher, je vous prie de recevoir, Madame la Ministre, chère Bénédicte Linard, mes salutations respectueuses.

Michael Delaunoy

Metteur en scène,
Directeur artistique de L’Envers du Théâtre,
Professeur d’art dramatique au Conservatoire royal de Bruxelles et à ARTS2 (Mons),
Professeur invité au Centre d’Etudes Théâtrales de l’UCLouvain,

NE FAITES PAS DU THÉÂTRE BELGE UN ENFER par Bénédicte Chabot

Chère Madame la Ministre de la Culture,
Je vous écris pour vous partager mon trouble, ma stupeur et mon indignation.
Il faut dire que vous nous réservez de belles montagnes russes émotionnelles.
Tout d’abord je lis dans la presse et sur votre Facebook il y a six jours, que vous avez obtenu plus de moyens financiers pour les arts de la scène, et donc plus de culture pour chacune et chacun d’entre nous! Il va s’en dire que je m’en réjouis. Enfin un peu d’air dans un secteur souvent exsangue! Je m’en réjouis d’autant plus que je suis comédienne et que toute décision a un impact direct sur mon emploi et sur ma rémunération.

Ce weekend, sur ce même réseau social, je découvre avec stupeur la lettre de Thierry Debroux annonçant les coupes prévues pour trois théâtre dans lesquels je travaille et dont une drastique pour le Théâtre le Public. Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste, dans n’importe quel secteur une non-indexation des subsides revient déjà à une diminution du subside. Alors que dire d’une coupe drastique dans un contrat programme? La mort du théâtre? Sans doute.
En tout cas le deuil d’emploi artistique en premier lieu. Car l’artiste est la donnée d’ajustement d’un théâtre. On peut jouer des pièces à un acteur. C’est cela qu’on veut donner comme culture aux gens? Ou payer moins les acteurs ? Des pièces avec un nombre d’acteurs de plus en plus réduit sur scène?
Je suis comédienne professionnelle depuis 26 ans, jouant notamment au Théâtre Le Public pour la première fois en 1998 et de nombreuses fois ensuite. Quand j’ai commencé mon métier en 1996 au Théâtre Royal du Parc nous étions 27 comédiens sur scène avec une souffleuse, une habilleuse, une maquilleuse. Il va s’en dire que ces métiers disparaissent des séries depuis longtemps. Le métier évolue. Mais à quel prix ? De l’invention toujours pour jouer des Shakespeare avec sept comédiens pour trente personnages. Mais que se passe-t-il quand on est deux ou trois? La fin de cette culture.

J’ai depuis de nombreuses fois joué avec un grand bonheur au Théâtre Le Public, qui a une réelle direction bicéphale et je peux vous affirmer que la place de la femme y est soigneusement respectée et mise en valeur. Autrices, metteuses en scène, actrices, scénographes, régisseuses, costumières, la vie y est toujours foisonnante et passionnante. C’est un des seuls endroits où n’importe qui peut se faire écouter, avoir un rendez-vous, parler projet. Ils travaillent comme des fous, sont tout le temps là, à l’écoute, au soutient, enthousiastes et d’une énergie folle. C’est un lieu de découverte de jeunes auteurices, je fais partie du comité de lectures et les pièces y sont soigneusement lues et envisagées et souvent montées.
Un théâtre où acteurs et spectateurs se sentent bien et peuvent partager d’une manière unique, un lieu de vie et d’émotions capital ! Sa disparition serait pour moi non seulement dramatique, injuste mais aussi incompréhensible!

J’ai par ailleurs travaillé dans deux pièces l’année passée au Théâtre Royal des Galeries et je peux vous dire que l’équipe y est formidable aussi. Je me réjouis de jouer le Misanthrope, un classique en alexandrin, au Théâtre Royal du Parc et au Théâtre Jean Vilar au printemps prochain.
Donc dans trois théâtres où je joue, il y aura une diminution? Mais vous voulez la mort des acteurs? Des actrices entre deux âges en premier lieu…
Ces théâtres où l’on a le bonheur de jouer de longues séries. De développer et d’apprendre son métier. Des séries aussi importantes ne se pratiquent plus ailleurs.
Je trouve que cela pose d’énormes problèmes en terme d’emploi, de sens, d’économie et d’écologie.

J’apprends que vous voulez donner plus aux compagnies. J’en suis absolument ravie!
Cela permet de développer des projets, d’engager des acteurs aussi.
Mais où vont jouer ces compagnies? Dans des théâtres contra-programmés.
Et en Centre Culturel si le spectacle a pu voir le jour, rencontre du succès.
Ce n’est pas le Centre Culturel qui va payer ce que coûte réellement une pièce.
Si la compagnie n’est pas en lien avec un théâtre qui lui donne son étincelle, elle ne peut pas survivre. D’où vient le problème de l’économie d’un spectacle.
Quel est le sens de créer un spectacle, de répéter si le spectacle n’est joué par exemple que trois, cinq ou dix fois? Quel en est le coût humain, économique et écologique surtout?
Je suppose que ce dernier point ou moins devrait vous interpeller.
Jouer le plus longtemps possible est bien entendu la vocation de chaque spectacle.
Donner par petite dose revient parfois à tuer prématurément une carrière.
Comment accessoirement, mais vitalement pour moi, prolonger son statut d’artiste par exemple?

Je travaille en ce moment avec la Compagnie What’s up d’Héloïse Meire, on jouera une série au Théâtre Jean Vilar et au Rideau de Bruxelles. Dream Job(s) d’Alex Lorette, un auteur belge. Une pièce qui parle du monde du travail. Les théâtres s’organisent en co-production et cela prolonge la vie d’un spectacle, et le rend tout simplement possible.
Je suis enchantée quand les murs se décloisonnent, que les théâtres se répondent.
Mais il faut y voir aussi là une solution économique qui rend le spectacle viable, en plus du tax shelter qui a insufflé du vent frais dans des théâtres anémiés car non-indexés.
Les théâtres maintenant ont souvent besoin de l’aide d’une compagnie et d’une co-production pour développer un projet. Cela veut dire alors plus de création, je m’en réjouis culturellement, mais à titre d’acteur, si plusieurs séries ne s’emboîtent pas, comment gagner ma vie?

Dream Job(s)… j’espère que vous ne ferez pas du paysage théâtral belge un enfer, un lieu de clivage, qui dresse les uns contre les autres, où règne une loi arbitraire. Les compagnies face aux théâtres, aux centres culturels? Certains théâtres et d’autres pas? Cela n’a aucun sens.
Car à quel titre, s’il-vous-plaît, allez-vous baisser la subvention de ces théâtres? Parce qu’ils ont du succès? Parce que ce qu’ils programment rencontre un public?
J’avoue ne pas comprendre et j’aimerais beaucoup avoir votre avis.
Je vous prie instamment de reconsidérer ces décisions et de mesurer l’ampleur des artistes qu’elles va toucher directement.

Merci de m’avoir lue et de recevoir mes salutations inquiètes,

Bénédicte Chabot

JE SUIS DIRECTEMENT CONCERNÉE par Nicole Oliver

Madame la Ministre de la Culture,
Depuis que j’ai lu : « la mort programmée du Théâtre le Public » écrit dans le post de Thierry Debroux, je ne parviens pas à penser à autre chose. Je ne parviens pas à me remettre de ces quelques mots et je dois les lire à voix haute pour bien entendre ce que je lis.
Alors j’ai besoin de vous écrire car vous êtes celle qui pourra m’éclairer.
Ces mots me frappent violemment, Madame la Ministre, et j’espère que la source de Thierry Debroux n’est pas fiable.
Voulez-vous bien me rassurer ? Nous rassurer ? Voulez-vous bien nous dire qu’il ne s’agit là que d’une rumeur ? De quoi, s’agirait-il d’autre ? Et pourquoi voudriez-vous pénaliser un théâtre qui remplit ses missions bien au-delà de ce qui est attendu de lui ?
J’ai envie de croire, peut-être un peu naïvement, que si vous êtes sur le point de prendre une telle décision c’est que vous ne connaissez pas le lieu que vous vous apprêtez à condamner ou que vous ne le connaissez que par celleux qui le juge de l’extérieur.

Alors je prends l’initiative de vous inviter à y entrer pour mieux le connaitre de l’intérieur. Venez nous rencontrer, vous serez bien accueillie, et nous tairons notre colère pour instaurer le dialogue, je vous le promets.
Mais, je vous prie Madame la Ministre de n’être pas celle qui laisse mourir encore un peu de culture ; pas non plus celle qui renvoie au chômage de nombreux artistes, technicien·nes, personnel administratif, cuisiniers, serveurs, personnel d’accueil ; pas non plus celle qui méprise les commerçantes et restaurateurs de tout un quartier pour lesquels les spectateurs et spectatrices du Public sont aussi une clientèle fidèle et donc une source de rentrée financière importante.
Ne détruisez-pas, par une simple signature, 30 années de travail, alors qu’aujourd’hui, et malgré les crises que nous avons traversées récemment, le Théâtre le Public récolte les fruits de son endurance, de son engagement, de sa foi, de sa passion, de sa détermination et de sa belle énergie contagieuse.

Vous me direz que je ne suis pas objective et que je défends mon bout de gras puisque j’y travaille régulièrement et que Patricia, Michel et moi avons construit une fidélité qui me permets d’encore exercer mon métier (car j’approche de la cinquantaine et c’est un gros problème dont je voudrais aussi vous parler, Madame la Ministre) et qui d’un point de vue financier m’aide à élever seule mes deux enfants.
Je vous dis ça en mettant ma pudeur de côté car je voudrais que vous compreniez très exactement l’impact que votre décision aura sur les vraies gens comme moi par exemple. Et je suis loin d’être la seule dans ce cas de précarité financière.
Je sais que Patricia et Michel sont sensibles à ma situation en tant qu’employeurs et c’est à cet endroit-là précisément, à l’endroit de leur humanité, que je voudrais que vous les connaissiez.

Alors oui, je suis directement concernée et donc vous jetterez peut-être ma lettre à la poubelle, mais permettez-moi de vous renvoyer aux chiffres et aux statistiques, vous verrez ainsi par vous-même qu’il ne s’agit pas seulement de moi mais bien du nombre d’emplois, de la durée d’emploi, du nombre de spectateurs et spectatrices, du nombre de spectacles proposés, du nombre d’auteurs et d’autrices, ….ces nombres parlent pour notre défense si toutefois nous en sommes là, à devoir nous défendre de bien faire notre travail.
Madame la Ministre, je vous prie de toutes mes forces de renoncer au grand déséquilibre culturel et social que provoquerait la diminution annoncée de la subvention au Théâtre le Public.

Nicole Oliver (Comédienne)

NE NOUS PRIVEZ PAS DU THÉÂTRE LE PUBLIC par Shérine Seyad

Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles,

Je vous écris suite au post Facebook de Thierry Debroux, Directeur du Théâtre du Parc, nous informant de la diminution colossale de la subvention accordée au Théâtre Le Public.
Si ce fait s’avérait exact, ce serait une tragédie pour le secteur culturel belge. J’entends par là pour les acteurices ainsi que pour les spectateurices.

Je suis comédienne, metteuse en scène et professeure de théâtre.
J’ai 38 ans, j’ai fondé ma Cie, et je joue maintenant depuis plus de 11 ans au Théâtre Le Public.
C’est le premier opérateur culturel en région Wallonie-Bruxelles qui m’a engagée, qui m’a ouvert la porte du métier et qui ne l’a jamais refermée !
Grâce à ce théâtre :
– J’ai rencontré une dizaine de metteureuses en scène.
– J’ai eu le plaisir de travailler avec plus de 50 acteurices différent.e·s
– J’ai eu la chance de partir en tournée dans de nombreux centres culturels et de voyager jusqu’en Suisse.

Chaque année, ils continuent de me proposer des auditions et des lectures, opportunité précieuse et essentielle, sachant que nous sommes infiniment nombreux et nombreuses dans le métier et qu’une fois qu’on ne profite plus des auditions du CAS, cela devient très difficile, voire impossible d’avoir encore accès à des auditions, et ce, d’autant plus quand on est une femme, métisse de surcroît.
Face à mes projets de mise en scène, les directeurices du Public m’ont toujours écoutée, soutenue que ce soit par des conseils avisés ou en me proposant des résidences gratuites.
D’ailleurs, cette saison, le Théâtre Le Public va programmer l’une de mes mises en scène qui a reçu le prix de la province de Liège, aux rencontres de HUY, en 2018.

Depuis deux ans, j’anime des ateliers-théâtre dans l’école primaire Henri Frick de Saint-Josse. C’est un projet qui existe depuis 15 ans et dont le Théâtre le Public est à l’initiative.
Le but est de créer des liens, de faire de la médiation culturelle dans le quartier dans lequel le Théâtre Le Public est implanté depuis plus de 30 ans.
Ces ateliers appelés ” Ecole sur scène” sont une expérience magnifique et enrichissante qui permet d’amener le théâtre à l’école, à des populations qui n’ont pas l’habitude d’assister à des spectacles théâtraux ou n’ont pas la possibilité d’y accéder.
Dans ce cadre, je donne cours à différents élèves, de diverses origines, âgés de 10 à 12 ans, notamment à des primos arrivants qui se dépassent, qui s’émancipent et s’épanouissent à chaque cours et qui, à la fin de l’année, jouent le spectacle qu’ils ont élaboré, avec joie et fierté sur la grande scène du Public.
Plusieurs sorties éducatives et culturelles sont organisées au sein de ces ateliers comme la visite du théâtre et l’explication de son fonctionnement ainsi qu’une sortie théâtre où les élèves assistent à la représentation d’une pièce.

Pour ma part, Le Public est mon principal employeur. Grâce à eux, j’ai acquis une stabilité d’emploi, je peux manger et payer mes factures, vivre de mon art, de mon métier ce qui n’est pas le cas de tant de mes collègues acteurices qui peinent à obtenir de l’emploi.
A mon échelle, je me bats pour rendre ce monde meilleur, plus tolérant, plus inclusif, plus juste, plus beau… Et mon arme, c’est le théâtre !
Le théâtre pour raconter le monde et sa complexité, insuffler de l’espoir aux jeunes générations, qui demain qui sait, seront peut-être meilleures que nous…
Mais cela ne peut être mené toute seule, j’ai besoin de mes collègues acteurices du monde théâtral, j’ai besoin d’un théâtre qui m’accompagne dans mon combat et qui permette de faire entendre ma voix comme le Théâtre Le Public me l’a toujours permis.

Le Théâtre Le Public et tous ceux qui y évoluent, sont ma famille théâtrale ; quand j’y entre, je m’y sens en sécurité, en paix, entourée de bienveillance, bref, je me sens à la maison.
Je connais toutes les personnes qui y travaillent, l’homme d’entretien (Momo), l’homme à tout faire (Taieb), les barmen (Gokan, Samy et Seb),
l’habilleuse (Iman), les secrétaires de direction (Nele et Deborah), les régisseurs/régisseuses (Galaté, Aurélien, L-P, Coralie, etc), les ouvreurs et ouvreuses (Tanguy, Julie, Constant, Taslime …etc )…ainsi que la totalité du staff administratif, les cuistots et enfin les directeurices (Patricia et Michel).

Toutes ces personnes incarnent le Théâtre Le Public car elles y travaillent depuis des années et si l’impensable se produisait, j’entends la fermeture du théâtre dûe à votre décision de diminuer les subventions, ce sont toutes ces personnes (entre 30 et 40) qui se retrouveraient au chômage (y compris moi).
Ce serait une catastrophe culturelle dévastatrice car vous n’ignorez pas que le Théâtre Le Public est le plus gros employeur de la fédération Wallonie Bruxelles. Il est aussi l’un des seuls théâtres que je connaisse qui est aussi accessible à la jeune création, peu importe qui vous êtes ; iI suffit d’écrire un mail pour obtenir un rendez-vous et proposer son travail ou son projet.
Ce n’est absolument pas le cas de tous les théâtres en région bruxelloise.

De plus, le Théâtre Le Public est le seul théâtre qui offre une telle diversité de spectacles dans sa programmation. Il y en a pour tous les goûts : du théâtre engagé, du théâtre à texte, du théâtre classique, contemporain, du théâtre de divertissement, du théâtre familial, du théâtre à grande distribution… Un panel aussi incroyable est précieux, quand on sait qu’aujourd’hui, de moins en moins de gens viennent au théâtre. En cause, la vie harassante que vivent la plupart des gens, le coût élevé de la vie et la réputation indigeste ou hermétique du théâtre (malheureusement encore vivace) incitant de nombreuses personnes à lui préférer Netflix .
Malgré cela, Le Public, a toujours réussi à maintenir l’intérêt de spectateurs fidèles grâce à sa programmation mais également car ce public est convaincu que le théâtre occupe une place essentielle dans notre société (même si, pendant le COVID, le secteur de la culture a été qualifié de “non essentiel”).

Mes collègues acteurices et moi, lorsque nous créons et mettons en scène un spectacle, c’est pour qu’il soit joué dans un théâtre.
Comment ferons-nous si vous condamnez ceux-ci à la fermeture ? Ce serait un acte anti-solidaire vis-à-vis de notre profession qui nous amputerait d’un chaînon essentiel dans notre cursus de création artistique ; cela reviendrait à travailler contre nous !
C’est pourquoi, je vous le demande, Madame La Ministre et Mesdames et Messieurs du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ne vous privez pas de moi ni des autres acteurices de la FWB. C’est un milieu difficile et, après tant d’années à avoir fait ses preuves et à pouvoir compter enfin sur un théâtre qui soutient et œuvre avec les acteurices pour l’avenir du théâtre belge, ne vous, ne nous privez pas du Théâtre Le Public !

Plus que jamais, aujourd’hui, face à la folie du monde, nous avons besoin de personnalités qui, dans la vie réelle, comme les héros et héroïnes de nos pièces de théâtre, luttent pour des idéaux de justice, de liberté et de solidarité.
Soyez, Madame la Ministre et Messieurs du Gouvernement, les héros et les héroïnes qui se battent pour notre survie ! Nous avons besoin de vous !
Soyez nos héros et nos héroïnes du quotidien et changez le destin de personnes comme moi, de personnes comme nous, en prenant les bonnes décisions ; vous êtes les seuls, aujourd’hui, à pouvoir sauver le Théâtre Le Public et garantir l’emploi d’une grande partie du secteur théâtral belge.
Permettez-moi, permettez-nous d’avoir encore confiance dans les politiques qui nous représentent.

Très cordialement,
Shérine Seyad

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