LUMIÈRES OBSCURES par Rudy Demotte (sur Facebook)

Le plongeon dans l’obscurantisme: quand de puissantes élites repensent le monde en appauvrissant ses valeurs universelles.

Le siècle des Lumières a été un phare pour moi. Un vivier d’humanisme, de progressisme, de raison. De tout ce qui élève l’homme au-dessus de sa brutalité. Aujourd’hui, ces valeurs sont ébranlées. Le monde glisse doucement, mais sûrement, dans une folie réactionnaire d’une laideur ahurissante. Et ne croyez pas que c’est juste une histoire de courants d’idées farfelus. Non. C’est concret. C’est organisé. C’est financé. Et les conséquences sont déjà là.
Les Lumières obscures : de la théorie à la destruction organisée. Vous avez entendu parler du Dark Enlightenment ? Moi, c’est un lecteur dans un commentaire d’un précédent article qui me l’a appris. C’est le juste opposé des idées du siècles des lumières. On pourrait traduire ça par « Lumières obscures ». L’expression a des relents sataniques, mais l’idée est encore pire. C’est un mouvement réactionnaire qui se construit en opposition radicale aux Lumières. Une attaque en règle contre la démocratie, l’égalité, la solidarité. Pour eux, ce sont des concepts de faibles. Leur programme ? Remettre les clés du pouvoir à une poignée d’élites supposément éclairées. Une gouvernance totale par des technocrates. Des patrons. Des despotes éclairés.

Deux noms reviennent constamment : Curtis Yarvin, alias Mencius Moldbug, et Nick Land. Pour eux, la démocratie, c’est une catastrophe ambulante. Une machine de décadence. Leur géniale alternative ? Diriger les États comme des entreprises, avec un CEO omnipotent. Les Lumières ? Ringardes. La liberté ? Une idiotie qui empêche l’ordre.
Et c’est là qu’on commence à comprendre que tout ça n’est pas seulement théorique. Peter Thiel, fondateur de PayPal, est leur grand prêtre. Il ne cache même plus son mépris de la démocratie : « Je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles. » Thiel a d’ailleurs joué un rôle déterminant en prenant sous son aile J.D. Vance, devenu vice-président des États-Unis. Oui, vice-président. Le même Vance que Thiel a financé à hauteur de 15 millions de dollars pour le faire élire sénateur en 2022. L’argent achète tout, même le pouvoir.

Les conséquences ? Désastreuses, bien sûr.
Le néo-réactionnarisme, ce n’est pas qu’un délire philosophique de geeks fortunés. Ça se traduit en politiques concrètes. Donald Trump, malgré lui ou non, en est devenu l’illustration parfaite. Sa guerre commerciale avec la Chine en 2018 ? Rien à côté de l’attaque frontale de son second mandat. On augmente les taxes douanières sur les importations chinoises à 60 %. Oui, 60 %. Une déclaration de guerre commerciale d’une brutalité inouïe.
L’objectif ? Détruire la coopération internationale, imposer une domination brutale sur les échanges mondiaux. Résultat ? En février 2025, le déficit commercial américain explose de 60 %, atteignant près de 150 milliards de dollars. Quand on fait tout pour se couper du reste du monde, il ne faut pas s’étonner que l’économie implose. Les prix flambent, l’inflation grimpe, les exportations s’effondrent. Mais peu importe, tant que l’électorat applaudit.

Et l’Europe ? Tout aussi perdue.
Le virus de la régression idéologique a traversé l’Atlantique. Viktor Orbán en Hongrie, Marine Le Pen en France, Herbert Kickl en Autriche… tous chantent la même rengaine : « Sauver notre identité. Défendre notre culture. Renvoyer les étrangers. » Ils bâtissent des murs. Pas forcément physiques. Mais des murs d’indifférence, de rejet, de haine.
Mais ce n’est pas tout. Ces pays, qui se prétendent en guerre contre l’immigration, sont les mêmes qui laissent mourir leur économie faute de main-d’œuvre. L’Europe vieillit. L’Europe manque de travailleurs. Mais l’Europe renvoie ceux qui pourraient aider à faire tourner ses usines, ses hôpitaux, ses exploitations agricoles. Logique ? Aucune.

Amérique latine : le cauchemar à ciel ouvert.
En Amérique latine, la recette est différente mais le résultat est le même. Hier, Jair Bolsonaro au Brésil. Aujourd’hui, Javier Milei en Argentine. Conservatisme social, ultralibéralisme économique, autoritarisme pur et simple. On démantèle l’État, on privatise tout ce qui peut l’être, on creuse les inégalités jusqu’à l’absurde. Et pourtant, ces dirigeants continuent de recueillir des voix en jouant la carte de l’homme fort. Le travail des enfants ? Oui, on y revient.
Vous voulez un exemple concret de l’horreur qu’ils préparent ? Regardez la Floride. Un État qui se dit « libre », mais qui rétablit le travail des enfants. Oui, vous avez bien lu. On envoie des gamins trimer dans les champs ou les usines, comme au bon vieux temps où l’humanité n’avait pas encore découvert l’idée même de dignité. Pourquoi ? Parce qu’un enfant exploité, ça coûte moins cher. Parce que l’égalité, pour ces gens-là, c’est un concept ridicule.

L’anti-gauchisme ? Une obsession maladive.
Leur obsession anti-gauchiste n’a pas de limites. C’est même l’un de leurs moteurs principaux. Tout ce qui rappelle de près ou de loin l’idée d’égalité, de diversité culturelle, de mixité sociale est voué aux gémonies. Ils veulent un monde homogène, purgé de ce qu’ils considèrent comme des « déviances ». La diversité, qu’elle soit culturelle, humaine ou même intellectuelle, est perçue comme un danger mortel à éradiquer. Et c’est là qu’on comprend que les politiques de protectionnisme, de repli sur soi, d’ultralibéralisme sauvage, tout ça n’est qu’un moyen pour parvenir à leur idéal : un monde dirigé par une élite restreinte qui impose sa norme, écrase les différences, rétablit les hiérarchies naturelles. Vous voulez une preuve de leur intolérance pure ? Allez voir ce qui se passe en Floride où on veut légaliser le travail des enfants. Parce que, selon eux, la dignité humaine est un obstacle à la rentabilité.

Les médias ? Manipulés ou complices.
Les gourous des Lumières obscures ne se contentent pas de théoriser. Ils savent qu’il faut contrôler le récit. Créer un monde parallèle où leurs idées semblent non seulement légitimes, mais nécessaires. Aux États-Unis, ils ont bâti tout un écosystème médiatique alternatif. Des podcasts, des blogs, des chaînes YouTube qui récitent leur catéchisme réactionnaire. En Europe, d’autres médias déversent le même poison en continu, jouant sur les peurs, déformant les faits.

Alors, on fait quoi ?
Parce que la question est là. On regarde ces idéologies réactionnaires se déployer, ou on les combat ? Parce qu’au bout du compte, l’économie est une affaire de choix politiques. Si on laisse des fanatiques du pouvoir imposer leur logique de prédation, il ne faudra pas pleurer quand le prix du lait coûtera une journée de travail. Les Lumières obscures et le néo-réactionnarisme, ce n’est pas qu’un truc d’intellos frustrés qui veulent faire la leçon au monde. C’est un projet politique qui avance vite, bien soutenu par des fortunes colossales et des influenceurs avides de pouvoir. On ferait bien d’ouvrir les yeux avant que ça ne devienne la norme. Et si on commençait par arrêter d’applaudir des charlatans qui vendent la fermeture du monde comme une solution ?

Rudy Demotte (sur Facebook)

Photo au-dessus : Curtis Yarvin, alias Mencius Moldbug

Lire également : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/matrix-monarchie-et-culte-du-qi-curtis-yarvin-le-gourou-du-trumpisme-qui-veut-eteindre-la-democratie-20250404_4DE665O4HNDM3BIOKV5EDNPIGA/

Pas de commentaires

Les commentaires sont fermés pour l'instant.