15 juin 2023
LE POINT DE NON RETOUR par Gwenaël Breës
Chère Elke Van den brandt,
Cher Sam Vandenberghe,
J’ai bien reçu hier votre invitation à me rendre demain matin en votre cabinet.
Ce délai est malheureusement un peu court, et le cadre de cette rencontre un peu flou. Mais si d’aventure vous êtes sincèrement intéressés à “recueillir mon feedback”, le voici en quelques paragraphes que je m’appliquerai à écrire le plus brièvement possible.
Il y a trois mois, vous avez déclaré dans la presse, à propos du scénario de démolition du Palais du Midi : “La décision sera prise en concertation étroite avec la Ville de Bruxelles ainsi qu’avec les riverains, associations, commerçants et autres usagers du Palais du Midi“.
Je retiens ces mots. Car les mots sont importants. Ceux-là se situent dans la droite ligne d’une vision de la politique qu’Ecolo et Groen ont défendu de longue date, porteuse auprès de nombreux électeurs d’un espoir que le pouvoir n’est pas condamné à s’exercer au service d’intérêts économiques, partisans ou privés, mais qu’il peut aussi consister en une recherche collective d’intérêts communs.
Aujourd’hui, une semaine après que vous ayez confirmé la décision de démolir le Palais du Midi, je retiens plus que jamais ces mots : “concertation étroite”.
Concertation étroite avec la STIB ? Certainement. Malgré l’opacité qui règne dans ce dossier et à laquelle Groen et Ecolo contribuent tristement, malgré la difficulté de comprendre précisément la situation financière, contractuelle, juridique et même judiciaire qui est de mise entre la STIB et les entrepreneurs ayant refusé de reprendre le chantier sous le Palais du Midi, il n’échappe pas à l’observateur attentif que le scénario retenu par votre gouvernement est celui que privilégiait ardemment la STIB.
Concertation étroite avec la Ville de Bruxelles ? Pas de doute. Le bourgmestre de Bruxelles se cache à peine d’avoir astucieusement anticipé votre décision et ses conséquences (plusieurs mois avant l’annonce publique faite par la STIB en février dernier), d’être en train de créer une situation de fait accompli en vidant au plus vite le bâtiment de ses occupants, et que cela représente pour lui une belle opportunité immobilière qui s’effectuera aux frais de la Région.
Concertation étroite avec “les riverains, associations, commerçants et autres usagers du Palais du Midi” que vous aviez promis d’associer à cette décision ? Hmmm… Ceux-ci ont-ils été avertis par des flyers, des séances de présentation où vos collègues et vous-mêmes êtes allés dans le quartier ? Leurs avis ont-ils été recueillis lors de consultations et rencontres publiques ? Leurs réalités et leurs opinions ont-elles été mises en balance avec les intérêts de la STIB et de la Ville de Bruxelles, lors de débats ou d’ateliers contradictoires…? Non. Il n’y a eu que quelques réunions en petits comités, et à présent des promesses d’indemnités pour les commerçants – qui ne seront jamais à la hauteur des dégâts et des pertes occasionnés et qu’ils subissent déjà (il n’y a qu’à voir ce qu’a donné l’application des “pactes” depuis 2019).
Dans ces circonstances, vous comprendrez que les paroles de ceux et celles qui ont pris cette décision ont un peu de mal à être digérées. Ainsi, affirmer, comme vous le faites ces derniers jours, que la décision du gouvernement a été guidée par la volonté d’éviter le pire au quartier de l’avenue de Stalingrad, cela n’est pas audible. Ce quartier frappé par un chantier extrêmement destructeur depuis 4 ans, et que vous venez de condamner à une décennie supplémentaire de travaux… jusque 2035 environ !
C’est d’autant moins audible que la question des responsabilités est soigneusement esquivée par votre gouvernement (la responsabilité de ceux qui ont mené à cette situation en voulant créer une station de métro à cet endroit et en estimant qu’il n’y aurait pas de problème à creuser dans l’ancien lit de la Senne). Et que l’analyse des faits, du moins de ceux qui échappent à l’opacité de ce dossier, démontre qu’il y avait d’autres options. Que tout n’a pas été entrepris pour éviter ce désastre. Que les dimensions sociales, humaines, urbaines, patrimoniales, ont fort peu pesé dans la balance.
Il est sans doute trop tôt pour se rendre compte de l’ampleur des effets de cette décision. Si vous la maintenez, les traces risquent d’être profondes.
A propos du métro 3, vous avez déclaré que “le point de non retour a été atteint”. Vous avez sans doute raison. Ce n’est pas seulement des centaines de millions d’euros qui sont ainsi gâchés, un bâtiment menacé d’être démoli et un quartier d’être transformé brutalement. Ce sont aussi, pêle-mêle, des communautés et des activités humaines malmenées. Des espoirs abusés. Un précédent inquiétant qui signe le retour d’un urbanisme qu’on pensait révolu. Des idéaux de justice sociale qui s’envolent. Des mots vidés de leur sens. Des raisons supplémentaires qui s’ajoutent à celles pour lesquelles des citoyens se détournent massivement de la politique.
Ce n’est pas seulement la crédibilité de ce gouvernement qui s’est écrasée sur le Palais du Midi. C’est aussi celle des partis qui promettaient de “faire de la politique autrement”.
Bien à vous,
Gwenaël Breës
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