L’AGRICULTURE, CA SE MANGE ?

Excideuil (Dordogne), correspondance.

un tableau de Guiseppe Arcimboldo

Étrange campagne législative en France. Il y a quinze jours, en passant par Metz et Nancy, je m’étais étonné de ne voir aucune affiche électorale en ville.
Trop tôt“, me suis-je dit, “ils économisent leurs seaux de colle“.
Mais là, nous sommes à dix jours du scrutin, les panneaux électoraux “officiels” sont dressés devant tous les bureaux de vote, et mis à part une liste dite “citoyenne”… pas une bouille de candidat·e sur les murs !
Or il y a pourtant un enjeu politique majeur à ces élections législatives.
Macron aura-t-il, oui ou non, une majorité parlementaire pour poursuivre sa politique antisociale ?
Ou, en prenant les choses par l’autre bout, la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES), alliance nationale inédite des socialistes, des communistes, des écologistes et des insoumis, pourra-t-elle arracher une majorité parlementaire et appliquer son propre programme de “bifurcation écologique” ?
Pour l’électorat populaire, l’enjeu est de taille.
Le programme de la NUPES annonce en effet un SMIC à 1500 euros nets, la pension à 60 ans, les 35 heures hebdomadaires, le blocage des prix, et un revenu minimum aligné juste au-dessus du seuil de pauvreté, soit actuellement 1103 euros par mois (petites pensions, chômeurs, revenus étudiants). Trop beau pour être vrai ?
Ces réformes sont pourtant chiffrées et financées par une “révolution fiscale” qui, sans toucher aux revenus inférieurs à 4000 euros par mois, devrait progressivement mettre à contribution les plus riches, par tranche d’imposition croissante. Dans un pays où les cinq plus grosses fortunes possèdent autant que vingt-sept millions des Français les plus modestes, et où les revenus des plus riches ont doublé après cinq ans de macronisme.

Ce jeudi soir, les deux candidats de la NUPES pour la 3ème circonscription de Dordogne, Cyril Girardeau et Marlène Marty, présentaient leur programme dans la salle du Château d’Excideuil. J’ai voulu en savoir plus.
Il y a quelques jours, j’avais assisté sur Youtube au lancement de la campagne de la NUPES en région parisienne.
Des dirigeants du parti Socialiste, du Parti Communiste, de Générations, d’Europe Écologie Les Verts et de la France Insoumise, y présentaient les 650 propositions de leur Nouvelle Union Populaire, bras dessus dessous et souriants.
Un peu crispés, parfois, les sourires, mais on sentait aussi un vrai bonheur de lancer ensemble cette campagne commune, que plusieurs sondages placent en tête des intentions de vote.
Et cela, devant une salle debout scandant “On va gagner!” (bis).
Vue de Dordogne, comme d’autres régions de France, la NUPES a toutefois un visage quelque peu différent.
D’abord, parce que dans les quatre circonscriptions de la Dordogne, comme dans quelques dizaines d’autres circonscriptions en France, des socialistes dissidents se présentent à la députation face aux candidats de la NUPES (1).
Il faut dire que depuis un mois, François Hollande et Anne Hidalgo semblent n’ouvrir la bouche que pour torpiller cette Nouvelle Union Populaire, et que Bernard Cazeneuve en personne, l’ancien premier ministre socialiste, est venu soutenir les dissidents périgourdins. Cela crée un certain “climat”, disons peu propice aux initiatives communes.
C’est pourtant le maire socialiste d’Excideuil qui nous souhaite ce soir la bienvenue. Il semble lui-même parfois un peu surpris d’être là, en train de présenter deux candidats “insoumis” à ses propres électeurs.
La principale personnalité communiste du coin, âgée et malade, s’est fait excuser. Ce n’est pas une “maladie diplomatique”. Mais on sait aussi qu’à l’image de Fabien Roussel, qui avait fait de l’anti-mélenchonisme secondaire un des axes de sa campagne présidentielle, certains communistes ont été à “l’union populaire” en traînant un peu des pieds (2). En tous cas, ils ne sont pas ce soir parmi les organisateurs.
Entre les Insoumis et les écologistes, par contre, les relations semblent nettement plus fluides, plus constructives et plus cordiales.

Nous sommes une soixantaine dans cette belle salle où j’ai vu l’été passé quelques films et concerts. Public majoritairement âgé, même si Francis, qui coordonne la “mailing-list” des insoumis locaux, m’annonce avec des étoiles dans les yeux un rajeunissement des militants et des cadres.
Le candidat titulaire de la NUPES, il est vrai, a 29 ans.
Cyril Girardeau, graphiste-illustrateur et créateur d’une Société Coopérative de Production à Hautefort, revendique la double étiquette “France Insoumise” et “Parti Ouvrier Indépendant” (une organisation néo-trotskiste qui soutient Mélenchon depuis la campagne présidentielle de 2017).
Et à vrai dire, cette soirée n’est pas vraiment “un meeting” électoral.
Plutôt un moment d’éducation populaire, un exposé avec une demi-douzaine d’intervenant·es, autour du thème “Produire et consommer local“.
Ce soir, on va donc causer “agriculture”. Ou plutôt, on va causer nourriture et alimentation. Car comme le disait une petite fille : “Je ne savais pas que l’agriculture, ça se mangeait !”. Ou comment, en parlant de l’agriculture en Dordogne, on en est venu à complètement repenser le monde et notre rapport au vivant. J’ai studieusement pris des notes, et j’ai personnellement trouvé cela passionnant.

En dix ans, la Dordogne a perdu 1300 hectares de terres cultivables par an. Un hectare, c’est deux terrains de foot. Elle a aussi perdu la moitié de ses fermes petites ou moyennes. Et si l’on ne fait rien, ce n’est pas près de s’arrêter.
Car parmi les agriculteurs encore en activité, 66% ont plus de 50 ans, et 33% plus de 60 ans. 18% des paysans vivent en outre en dessous du seuil de pauvreté. Un paysan sur cinq est obligé d’avoir un second métier pour survivre. Le suicide est la seconde cause de décès chez les agriculteurs, après le cancer. Seule une ferme sur trois trouve aujourd’hui un repreneur.
Il s’est pourtant trouvé un responsable du RGA (3) pour se réjouir de la disparition des petites exploitations agricoles : “Tant mieux“, disait-il, “Cela laissera de la place aux grandes!”.
Car la seule chose que propose le libéralisme face à cette catastrophe humaine, c’est le développement effréné de l’agro-industrie : toujours plus grand, toujours plus pollué, toujours plus exporté, toujours plus chimique, toujours plus de pognon et toujours moins de goût.
Se nourrir, et qui plus est, se nourrir sainement, est pourtant un des besoins humains vitaux. Et mal se nourrir, c’est souvent tomber malade (diabète, obésité).
Les récentes ruptures de stocks d’huile et de farine, deux de nos denrées de base essentielles, viennent également de nous rappeler la fragilité de ces géants internationaux aux mains chimiques et aux pieds d’engrais.
Relocaliser les productions agricoles, c’est aussi assurer notre sécurité alimentaire.

En outre, cette agro-industrie produit des horreurs.
Les fermes-usines “élèvent” de 250 à 1000 veaux. Piqués aux antibiotiques, ils ne voient plus ni le jour ni un brin d’herbe. Á six mois, ils se retrouvent à six dans des enclos de trois mètres sur trois, où ils peuvent à peine bouger. Leur nourriture, évidemment artificielle, est carencée pour que leur chair reste bien blanche. Des tonnes de lisier sont ensuite quotidiennement répandues dans la nature environnante avant de polluer les nappes phréatiques.
L’installation d’une telle ferme usine est pourtant projetée à Saint-Mesmin, un village dans les gorges de l’Auvézère, qui venait d’investir dans le tourisme de proximité.
Venez respirer le bon air de la campagne !
Dernière folie en date de l’agro-business : “l’agro-voltaïque”. C’est dans mon propre village, à Saint-Sulpice d’Excideuil, qu’on envisage de transformer 200 hectares de bonnes terres agricoles en champ de panneaux solaires. Pour le volet “agro”, le propriétaire entend faire pousser sous les panneaux “des bonzaïs truffiers”. Voilà pour la note comique. Avec des truffes format petits pois ?
Du côté de l’industrie du bois, les coupes à blanc des forets ont souvent des conséquences catastrophiques. Et pas seulement pour la biodiversité.
Á Génis, tout un versant a été rasé au bord de l’Auvézère. Après quoi, le sol a glissé dans la rivière, laissant la pierre à nu, et le limon a durablement affecté en aval la qualité de l’eau et son oxygénation.

les faucheurs d’OGM, une école de la désobéissance civile

Il existe pourtant un modèle agricole opposé à cette destruction programmée de la nature et des hommes. Un contre modèle à cette folle agro-industrialisation libérale.
C’est “l’agriculture paysanne”, telle qu’elle est défendue par la Confédération Paysanne depuis plusieurs dizaines d’années (4).

On peut la décliner en six principes.
1. Produire avec la nature, et non contre elle.
2. Développer l’autonomie des fermes : la ferme doit produire tout ce dont elle a besoin.
3. Développer la qualité et le goût des productions agricoles. Le mieux plutôt que le plus.
4. Mieux répartir les productions.
5. Être un acteur de la vie locale, développer la solidarité, ouvrir les fermes au public.
6. Organiser la transmission et le partage des savoirs avec les nouvelles générations.
En appliquant de tels principes, on m’a cité l’exemple d’une ferme qui avait pu dégager quatre salaires plein-temps avec seulement 50 vaches (en fabriquant aussi les produits dérivés).
Un million d’emplois agricoles pourraient ainsi être créés en France dans l’agriculture paysanne.
La filière de l’enseignement agricole devrait être complètement repensée autour de cet objectif et de ces principes.
Les 9 milliards de subsides européens de la PAC, qui sont aujourd’hui concentrés sur 9% des terres, devraient être plus justement répartis. Au lieu d’être accordés “à l’hectare”, principalement au profit de l’industrie agro-alimentaire, ils devraient l’être en fonction de normes sociales et environnementales.
Dans l’immédiat, la NUPES voudrait tripler le budget d’installation des jeunes agriculteurs, et doubler le budget de conversion vers la filière “bio”.

Cette “bifurcation écologique” est aujourd’hui d’autant plus nécessaire et urgente que, suite au réchauffement climatique, la France est en état de déficit hydrique depuis plus de dix ans. Les nappes phréatiques s’épuisent un peu plus tôt chaque année.
Or toute l’agro-industrie est une grande consommatrice d’eau, quand l’agriculture paysanne peut apprendre à l’utiliser avec parcimonie.

La destruction des forêts et des espaces naturels, comme le gigantisme des élevages industriels, favorisent en outre l’apparition et le développement des zoonoses (maladies qui se transmettent de l’animal à l’homme).
Autrefois, on en croisait une tous les quinze ans. Aujourd’hui, on en rencontre jusqu’à cinq nouvelles par an.
De la maladie de la vache folle jusqu’à la variole du singe, en passant par “la-maladie-dont-on-ne-veut-plus-prononcer-le-nom”. Celle qui nous a pourri la vie pendant deux ans.

Tout nous pousse donc à changer de mode de production dans l’agriculture : la raison, le plaisir, la santé, la nécessité. Oui, ma chérie, l’agriculture, ça se mange. On va du moins tout faire pour ça.
Mais le 12 juin, il faudra d’abord passer aux urnes.

Claude Semal le 2 juin 2022 (à Excideuil)

(1) A noter que, dans ce département pourtant historiquement “à gauche”, les quatre députés sortants sont pourtant macronistes (3 LREM et 1 Modem).
(2) France : LE CIMETIÈRE DES ÉLÉPHANTS
(3) Recensement Général de l’Agriculture
(4) https://www.agriculturepaysanne.org

 

 

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