LA TRAHISON DES GEEKS par Marc Jacquemain

Durant les trente dernières années, la « Silicon Valley » nous a été vendue comme le tournant « cool » du capitalisme. Les créateurs de logiciels, nouveaux héros de la technologie, qui se baladent en pull et baskets, refusent les hiérarchies rigides et pratiquent la « disruption » avant même que Macron ne popularise le mot, tout cela nous promettait enfin un capitalisme sympathique et décontracté.
Internet devait, par ailleurs, réaliser la « grande connexion » entre tous les êtres humains, le partage instantané des idées et des savoirs, l’utopie ultime qui allait en finir avec les tropismes parfois fort peu amènes des humains (voir Steven Pinker).
Bien sûr, au fil des années, on a commencé à déchanter et à constater qu’au fur et à mesure de leur montée en puissance, les nouvelles technologies finissaient, comme les anciennes, à être utilisées pour les usages les plus glauques, domaine où l’inventivité humaine est inépuisable (malgré des réalisations indéniables, comme Wikipédia). On s’est aperçu que, derrière tout cela il y avait surtout l’investissement par le monde marchand d’un domaine qui lui échappait encore en partie : notre subjectivité et notre intimité, sources de profit incompréhensiblement négligées jusque-là.
Mais qui avait imaginé que tout cela finirait par ramener au-devant de la scène la pire des barbaries, celle qui a dominé l’Europe pendant la moitié du siècle dernier ? Qui avait vu que le monde de la « tech » pouvait se rallier à une sorte de nouveau fascisme ? Tout se passe comme si, inévitablement, le capitalisme nous ramenait toujours au même point. Comme si son mouvement était une mauvaise lecture des alchimistes : toujours travailler à transformer l’or en plomb. Et là, même si le dernier mot n’est jamais écrit, on va vers le plomb !

Marc Jacquemain (Liège)

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