La lettre de Laurent de Sutter aux forces de l’ordre (lue à la RTBF)

 le samedi 28 novembre 2020 à 10h30

Après les dernières violences policières et en particulier le passage à tabac d’un producteur à Paris, l’essayiste et éditeurs Laurent de Sutter a choisi de s’adresser aux policiers pour notre rendez-vous ” En toutes lettres ! “.

Chers flics,

Chers poulets, chers keufs, chers policiers, chers gardiens d’un ordre qui ressemble chaque jour davantage à une grimace.

C’est à vous que je m’adresse aujourd’hui car, comme beaucoup d’entre nous, je suis écœuré. Il s’agit d’un écœurement calculé, d’un dégoût accompagné d’une myriade d’images, de protestations et de commentaires- mais un écœurement tout de même, viscéral et fatigué. Il ne se passe plus une journée, désormais, sans que nous parviennent les nouvelles d’une brutalité, d’une bavure, d’un acte de violence aussi débile que gratuit, de la part d’un membre de votre confrérie. Vous frappez les enfants, les vieillards, les handicapés.

Vous frappez ceux dont la couleur de correspond pas à l’idée que certains se font de la génétique nationale. Vous frappez les témoins de vos exactions, les observateurs chargés de veiller à ce que vous respectiez la loi de votre mission, ceux qui ont l’outrecuidance de documenter vos abominations.

Vous frappez, avec la joie mauvaise de ceux qui n’ont que ce plaisir dans leur vie – mais qui comptent bien en jouir jusqu’à la dernière goutte, toute honte bue, toute dignité évacuée. Car vous le savez, chers flics – et c’est pour ça que vous frappez : vous savez que vous avez tort.

Vous savez que rien ne justifie vos gestes brutaux, vos ordres idiots, vos attitudes de matamores de kermesse, sauf le sentiment d’impunité qui constitue la prérogative que les autorités, envers et contre tout, et sans doute surtout par peur, continuent à vous reconnaître.

Un jour, chers flics, j’ai entendu un commissaire de police de mes connaissances déclarer lors d’un dîner : “Mais tu ne te rends pas compte ! Sous mes ordres, il n’y a que des cons !”

Je vous l’avoue, chers flics : cette phrase m’a glacé. Elle ne m’a pas glacé parce que, soudain, j’aurais réalisé ce qui ressemble de plus en plus à un truisme. Elle m’a glacé parce qu’elle sortait de la bouche de quelqu’un dont le travail était, aurait dû être, de rendre les cons impossibles. Un con naturel, ça n’existe pas. La connerie d’un con est toujours quelque chose de rendu possible par autre chose. Pour qu’un con puisse se manifester comme tel, il lui faut un droit, une politique, une économie, une esthétique.

Il faut un univers où la manière dont sa connerie s’exprime soit reconnue, soutenue, et même encouragée, fût-ce par le silence de ceux qui devraient l’empêcher ou la sanctionner. S’il y a des cons dans la police, chers flics, ce n’est donc pas tant parce que la matraque ou le taser démangent deux ou trois (ou, hélas, beaucoup plus) d’entre vous, mais parce que cette démangeaison est suscitée par vos supérieurs directs, par vos responsables politiques, par vos ministres, et par toute une société pour qui la peur du désordre est devenue pathologique. Lorsqu’un d’entre vous s’en prend à un passant, chers flics, c’est le monde entier qui lève le bras – ceux qui approuvent, ceux qui applaudissent, ceux qui haussent les épaules, ceux qui disent “il n’avait pas qu’à être là” ou “à son âge, on ne va plus manifester”.

Mais il est temps que ça cesse. Aujourd’hui, dans nos pays, le nombre des morts, des mutilés, des blessés graves qui sont de votre fait, et donc du fait direct, immédiat, irréfutable, de vos chefs, de vos représentants et de vos ministres, est devenu insoutenable. Oui, nous sommes écœurés. Nous ne le supportons plus. Donc, vous allez cesser cela. Vous allez cesser ou bien, la prochaine fois, c’est nous qui partirons à votre poursuite. C’est nous qui vous traquerons, vous et ceux qui refusent de prendre les mesures requises pour vous arrêter–bien que telle soit pourtant leur mission. Alors, vous comprendrez peut-être, quoiqu’un peu tard, à quel point, en effet, vous aviez tort.

Très cordialement à vous,

Laurent de Sutter

MP3 http://rtbf-pod.fl.freecaster.net/rod/rtbf/geo/open/E/EssCjrkjT0.mp3

Chaque samedi, dans “Dans quel Monde on vit”, un auteur-chroniqueur partage une lettre adressée à une personnalité qui occupe le devant de l’actualité, à un inconnu qu’il a repéré ou à une personne qui le fait rêver…

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