11 janvier 2025
La culture pour les nuls : COMPLÈTEMENT BOUCHEZ
Marre. Qu’est-ce que j’en ai marre de vivre dans un pays qui semble ne vivre qu’au rythme des tweets compulsifs d’un crétin tatoué du bulbe, mi-Trump, mi-Musk, un « libéral » qui préfère consacrer ses subsides aux moteurs qui tournent en rond à Francorchamps.
C’est dans une interview au « Soir » que Georges-Louis Bouchez a cette fois lâché sa petite crotte puante : « Je ne vois pas pourquoi on a un ministre de la Culture. Il n’y en a pas aux États-Unis, et la culture américaine domine le monde, et pas seulement les blockbusters, ceux-ci financent le cinéma d’auteur » (4 janvier 2025).
D’abord, ce n’est pas exact. Il existe aux USA le National Endowment for the Arts (NEA), le Fonds national pour les arts, une agence culturelle fédérale chargée d’aider les artistes et les institutions culturelles du pays. Mais son rôle, il est vrai, est nettement plus modeste qu’en France ou en Belgique.
Au-delà de son aspect provocateur (« …un pavé dans la mare », sic), cette déclaration tonitruante est pourtant très « raccord » avec le projet global du MR (c’est-à-dire la privatisation de l’ensemble du secteur public). Il importe donc de tenter de lui répondre sur le fond.
La « culture » aux USA est une étrange « cuisine fusion » née d’une histoire violente et de ses multiples vagues d’immigration. Elle a commencé par le génocide des indiens et de leur culture « native », et doit autant à l’esclavage et de la traite des noirs qu’à la grande famine en Irlande au XIX ème siècle – qui poussa deux millions d’Irlandais à traverser l’Atlantique.
La musique populaire yankee s’est souvent construite dans la marge, avant de conquérir l’hégémonie mondiale, reflet de la puissance économique des USA – et bagage accompagné de ses soldats lors des multiples conflits mondiaux auxquels ils participèrent…
En quelque sorte, c’est la « bande son » rebelle de l’impérialisme américain.
Car à l’origine, cette musique est souvent née en opposition au capitalisme yankee lui-même : dans les champs de coton au temps de la Guerre de Sécession, portée par la rythmique des trains de marchandises des hobo’s pendant la grande récession, dans les clandés et les salles de bal de la prohibition, sous les calicots des grandes marches pour les droits civiques et dans le gospel des églises protestantes pendant la Guerre du Vietnam.
Elle est aussi née de la jeunesse révoltée des campus, dans la radicalité des clubs de jazz … ou dans les « garage band » de la vieille Angleterre prolétarienne (car tout ce qui est anglophone n’est pas nécessairement « américain » …).
Avant d’escalader les hits mondiaux, l’Amérique échevelée de Woodstock et sa musique frondeuse, c’est donc d’abord celle qui disait « merde » à tous les Jean-Louis Bouchez du monde. And « this land is your land », comme le chantait si bien Woody Guthrie.
Deux choses distinguent je crois encore fondamentalement la vieille Europe des USA : la « sécurité sociale » et la notion de « services publics ».
Deux expressions du « bien commun », conquises de haute lutte en Europe par les travailleurs et leurs organisations, mais auxquelles une certaine droite « humaniste et sociale » (oxymore ?) semblait jusqu’il y a peu elle aussi attachée.
Deux « piliers » de l’état social qui garantissent (en principe) l’égalité des droits et la sécurité d’existence, en opposition au seul pouvoir de l’héritage, de la propriété et de l’argent.
Ce sont ces « acquis sociaux », que nous espérons élever au statut de « droits humains » fondamentaux, qu’une certaine droite néo-libérale s’obstine aujourd’hui à détricoter, dépecer et vendre à l’encan – pour accroitre le seul périmètre du marché et du capital. Un choix purement idéologique, qui n’a d’autre « rationalité » que de rendre les riches encore plus riches et les pauvres encore beaucoup plus pauvres.
Et un choix d’autant plus absurde que ce capitalisme lui-même démontre aujourd’hui chaque jour d’avantage ses limites face à la crise conjointe du climat, des matières premières et de notre écosystème. Au bout de ce chemin-là, il n’y a définitivement que la misère et la guerre.
En Europe, nos institutions culturelles peuvent alors être considérées comme le versant « culturel » de ces « services publics » (même si nos activités artistiques dépendent aussi des industries culturelles, ou de pratiques culturelles plus artisanales). Pourrait-on néanmoins, comme le suggère Georges-Louis Bouchez, totalement supprimer le Ministère de la Culture ? Théoriquement, c’est possible – si l’on renonce parallèlement à toute forme de démocratie culturelle. Par exemple, si l’Opéra n’est plus accessible qu’aux bourgeois parfumés qui peuvent débourser 250 euros pour une place.
Ou si l’on se fout complètement des conditions de travail des travailleurs et des travailleuses de la culture – en ne comptant plus que sur le bénévolat et les activités « de loisirs » pour animer le secteur. Comme les musiciens amateurs dans les fanfares, qui étaient plus de 100.000 en Belgique au début du XXème siècle.
Mais si l’on pense que la culture est aussi essentielle à la liberté des citoyens qu’à la construction collective d’une nation …
Si l’on se souvient que le secteur culturel « pèse » aujourd’hui économiquement près de 5% du PIB…
Et si l’on sait que ce secteur contient en fait des dizaines de « vrais » métiers, spécialisés et précieux, qui tous méritent d’être reconnus, encadrés et financés…
Alors, on peut et on doit aussi s’interroger sur les conditions de sa viabilité économique en Belgique francophone – dans ce marché minuscule coupé en deux par une frontière linguistique, et qui vivote de plus à l’ombre de deux superpuissances culturelles (la France et l’Angleterre).
Comment financer une troupe de théâtre, un orchestre, un livre, un disque, une exposition ou un film en comptant sur les seules ressources de cet étroit marché ?
C’est souvent « mission impossible » – et toutes nos productions culturelles n’ont pas non plus vocation à « s’exporter » à l’international. Leur ancrage régional est même parfois fondamental (et je ne parle pas que du folklore).
Le secteur culturel, essentiel et vital, n’est donc chez nous professionnellement viable que s’il est cofinancé par les pouvoirs publics. Et « Ministère de la Culture » devient alors logiquement le pilote, le gestionnaire et le comptable des investissements publics nécessaires au secteur.
La Ministre-Présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Élisabeth Degryse (« Les Engagé·es »), qui a la culture dans ses prérogatives (…et le MR pour partenaire gouvernemental !), a défendu son « pré carré » sur X-Twitter en répondant ainsi à Georges-Louis Bouchez : « Il nous faut un ministère de la Culture comme chef d’orchestre doté d’une volonté qui garantit la défense de l’intérêt général et le respect de la diversité culturelle. (…) Au rêve américain, je préfère défendre notre originalité culturelle inhérente à notre histoire et à nos identités » (sur X-Twitter). Rien à redire à cette formulation.
Si ce n’est que la ministre cite ensuite longuement… Nicolas Sarkozy.
Or « quelqu’un m’a dit » qu’il n’était pas vraiment André Malraux, ni une référence en matière culturelle.
Je devine évidemment le choix de ce plaidoyer « ad hominem » par la ministre-présidente, et la discrète peau de banane ainsi glissée sous les pieds de GLOUB – qui est un grand « fan » de l’ancien président français.
Mais citer Sarkozy le jour où s’ouvre à Paris son spectaculaire procès pour le financement occulte de sa campagne présidentielle par Kadhafi – c’est… comment dire … pour le moins une erreur de « timing » !
Claude Semal, le 8 janvier 2025.
jacqueline lecomte
Publié à 17:51h, 11 janvierMerci, Claude, pour ce texte qui décrit très justement le petit président du mouvement dévastateur… Je suis en colère depuis très longtemps, triste et anxieuse comme beaucoup d’entre nous. J’ai peur de ce qui nous attend dans le proche avenir. J’ai peur que la solidarité d’état soit détruite par ces profiteurs… et que la population s’agenouille et les accompagne dans leurs délires destructeurs! Quoi qu’il en soit, je vous souhaite la santé pour vous et vos proches.