17 octobre 2021
JULOS EN ÉTÉ par Jacques Bonnadier
Grand ami de la chanson, le journaliste marseillais Jacques Bonnadier était naturellement devenu l’ami de Julos.
J’ai souvent croisé Jacques et sa famille aux Semaines Internationales de la Chanson, qui se tenaient alors chaque année sur le magnifique site du Monastère de la Sainte-Baume, dans l’arrière-pays marseillais. Un lieu magique, à quelques sentiers de la Grotte où, dit-on, Marie-Madeleine avait vécu.
Pour la petite histoire, c’est dans ce monastère que je m’étais réfugié, un hiver provençal sous la neige, pour écrire les premières chansons de “Odes à ma douche”.
Avant de reprendre le train pour Bruxelles, sa fille Isabelle, et mon ami Jean-Michel Mouron, qui habitaient alors ensemble à Marseille, furent les premiers auditeurs de “Né pour Mourir”.
Pour dire au revoir à Julos, Jacques a sorti une bouteille de Rosé et l’aïoli pour quelques souvenirs ensoleillés. Fermez les yeux, et écoutez les rires, les poèmes, les guitares et les cigales.
(C.S.)
« Les vrais amis quand ils trépassent/N’en finissent pas de fleurir/Dans nos mémoires opiniâtres/Même coupés les arbres prient »…
Chez nous, les Bonnadier, comme chez la plupart de ses amis, Julos est un trésor familial. Et ce depuis le mois de mai 1976, quand il vint chanter pour la première fois au théâtre Toursky de Marseille, pour notre plus grand bonheur.
Quarante-cinq ans d’amour et de tendresse partagés, de rires et d’émotions échangées ont suivi, dont les innombrables souvenirs nous reviennent sans cesse à l’esprit et au cœur.
Les mots de Julos nous remontent aux lèvres comme des leitmotivs ; les mots de ses poèmes, de ses chansons, de ses étiquettes, élevés au rang d’adages ou d’aphorismes : « Mon métier, c’est de vous dire que tout est possible », « Plus on aimera trop, moins ce sera assez ! », « Ne disez pas disez, disez dites ! », « L’homme et la femme sont des chefs d’œuvre en péril » ; « Nous sommes les oiseaux d’une île nouvelle, tout est toujours à recommencer » ; « Les vrais amis sont comme des arbres » ; « Ce qu’on garde pourrit, ce qu’on offre fleurit »…
Des dizaines, des centaines d’autres qui nous reviennent « par intermittence ». Et tant de refrains entêtant : « La p’tite gayole », « Mon oncle a tout repeint », « Le mouton tondu »… Et ses contes, et ses sketches (« Le Lac ! », « Périclès », « La Cil Limited Company »… ; ses vire-langue et autres amuse-bouche (« Madame Coutufon », « Décathédraliser la cathédrale de Toul »…). Julos toujours recommencé !
Et ses lettres, et ses cartes postales, souvent ornées d’un large trait d’arc-en-ciel, ses courriels, précieusement rangés et classés, emplis de choses drôles et douces : « Je me présente, Julos, jaseur boréal, thermostat d’ambiance, rigoureux oiseaux des îles…, que vos regards soient tendres pour le baroudeur au cœur vagabond ; l’avenir est écrit dans le bleu du ciel »… « Je pense souvent à vous quand le vent vient du sud »… ; « Que vous broutiez l’herbe de l’harmonie en ces temps agités et incendiaires, c’est ce que secrètement, en ma naïve volonté, je vous souhaite le plus ! » … « J’ai tant de choses à te dire, mais tu les sais déjà ; la vie finira par prendre les hommes par la main ».
Ses chansons, ses écrits ! Et je n’oublie pas ses billets du « Flo-Flaf » !… A quoi s’ajoutent pour moi, quelques interviewes inoubliables et une préface mémorable pour une « Cantate de l’huile d’olive ».
Et puis, ses coups de fil ! Souvent en forme de canulars, Julos se voulant méconnaissable en prenant l’accent marseillais ou toulousain… Et ses rires ! Julos acteur comique disant « Les Poils dans l’nez », dans un duo impayable avec son ami Philippe Garouste.
Affluent alors les souvenirs de rencontres et de fêtes avec ses amis de la galaxie julosienne de Provence : ceux de la première heure, les Borel, Mireille et André, à Venasque, les peintres Philippe et Nadia Garouste-de Clauzade à Cheval-Blanc, Knud Viktor, cueilleur d’images et de sons à Mérindol, Jo et Annie Pacini, vivant d’olives et de poésie à Caumont-sur-Durance, ses si chers amis, gens du Luberon et des monts de Vaucluse. Comme lui.
Car, Julos est chaque été le citoyen de Mallemort-du-Comtat. Et il y a pour nous une joie singulière à y aller excursionner, pour le retrouver en famille – c’est autour de la ruine qu’il releva à « Souleye » que nous avons connu ses enfants petits, Christophe et Boris – et d’y sacrifier au rite devenu sacro-saint de l’aïoli : tu apportes les ustensiles (mortier et pilon), les ingrédients tout cuits, et tu « montes » toi-même la pommade ! L’hôte du lieu, lui, préside la cérémonie et la dégustation, avant de jouir du privilège royal qu’il s’est arrogé, celui de lécher le pilon ! Un rite renouvelé à Marseille, à Peypin d’Aygues, à Roquevaire – chez les fidèles Marlène et Jacques Ingrand, bref à chaque repas pris en commun, accompagné d’un rosé frais de Provence.
Et quel spectacle, en ce soir étoilé du mois d’août, de voir Julos juché avec nous sur sa terrasse, diriger en gandoura blanche un orchestre imaginaire tonitruant à la radio je ne sais plus quel oratorio ! Quel festival ! Et quelle jubilation ! Comme celle de le retrouver plus tard au milieu de ses pagodes de Wahenge et de visiter avec lui l’exposition de ses objets détournés « à la silencieuse et forte présence ».
Je reviens aux mots de Julos – ne proclame-t-il pas : « Les mots sont très sympathiques, ils gagnent à être connus ! »… Notre ami commun, le comédien Jacques Hansen s’en est fait l’interprète magnifique dans deux spectacles successifs et je sais qu’il a enregistré quelques-unes de ses chansons sur des rythmes argentins. Ma fille Isabelle, elle-même très proche spirituellement de Julos, a mis dans un de ses spectacles fait de lettres, la fameuse et délicieuse « Gare de Fréjus-Saint-Raphaël ». Il m’arrive de dire moi aussi, de me dire surtout, certains d’entre eux : « La grande vie paysanne », « Le Bon Dieu », « Voyez comme il est doux… », « Le Chapeau »… ; des merveilles !
Encore un souvenir, particulièrement émouvant pour moi. Un jour de soupe au pistou à la maison, à Marseille peu après la Chandeleur 1975. Claude Nougaro est avec nous. Je lui lis la lettre que vient d’écrire Julos la nuit même de la mort de sa femme, Loulou, assassinée par un homme devenu fou. « Amis, bien aimés, ma Loulou est partie pour le pays de l’envers du décor… » Il en est touché au point de me dire : « « Je vais la mettre en musique ! » Puis on se quitte et il oublie la lettre ! Je la lui envoie aussitôt par la Poste. Quelques mois plus tard, avant le tour de chant de Nougaro au « Toursky », Jean-Pierre Brun, son impresario, m’interpelle dans les coulisses : « Claude a enregistré la lettre de Julos, avec Maurice Vander au piano jouant du Schumann ! ». Elle paraîtra dans le disque « Femmes et Famines ».
Julos a lui-même été un grand passeur de poésie ; il a fait entendre d’innombrables poètes : Apollinaire, Victor Hugo, Baudelaire, Obaldia, Musset, Liane Wouters, Max Elskamp, Tardieu, Cadou, Hikmet, Charles Cros… et tous ses amis québécois : Miron, Vigneault, Deschamps… Et Félix Leclerc dont je relis sans cesse le texte merveilleux : « Quand nous étions réunis à table et que la soupière fumait »… Et Raoul Duguay, qui fait si drôlement écho à son « Plus on aimera trop, moins ce sera assez… » avec un axiome que son cousin wallon aurait pu inventer – et ce sera ma conclusion : « L’amour est la totale totalité totalisant totalement le tout, tout l’temps » !
Julos dans nos cœurs à jamais !
Jacques Bonnadier
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