17 avril 2021

JE M’APPELLE ROZA, J’AI 20 ANS (TEXTE DIT DEVANT LE THÉÂTRE DE LA MONNAIE OCCUPÉ)

Discours dans le cadre de l’occupation Bezet La Monnaie Occupée

Rarement été aussi émue sur scène
Je m’appelle Roza
J’ai 20 ans
J’aimerais parler au nom de ma génération
J’aimerais parler au nom d’Artistes, musiciens et musiciennes
J’aimerais parler au nom d’étudiants
Mais je ne suis pas sûre que ma pensée soit juste, ni représentative
Je vais donc vous livrer mon intimité en espérant qu’elle puisse vous accueillir
Depuis un an
J’ai peur de ne pas être légitime
J’ai peur d’en oublier
J’ai peur d’être irresponsable
J’ai peur d’être déplorable
J’ai peur d’être égoïste
J’ai peur d’être un monstre
J’ai peur de tuer
Alors scrupuleusement,
Je me suis isolée,
Je me suis coupée du monde,
Et ai rompu des liens
Pas que j’aie peur de transgresser
Mais l’idée que mon comportement puisse en faire agoniser certains dans des couloirs d’hôpitaux m’a tenue immobile pendant un long moment.
Alors comme toute personne « responsable »
je me suis faite survivre au travers d’un écran
J’ai fait de la musique au travers d’un écran
J’ai étudié au travers d’un écran
J’ai fait ma vie sociale derrière un écran
J’ai appris derrière un écran
Je me suis divertie derrière un écran
Jusqu’à ce que que…
Jusqu’à ce que la réalité devienne quasiment impalpable
Jusqu’à ce que la réalité semble sans aucune prise, ni levier
Elle était dans mon écran,
Et moi, en dehors, dans ma chambre
Et les riches sont enrichis, et les précaires précarisés
Et moi dans ma chambre
Et les vieux isolés,
Et moi dans ma chambre
Et les centre fermés
Et moi dans ma chambre
Et les hôpitaux bondés
Et moi dans ma chambre
Et les forêts rasées
Et moi dans ma chambre
Et la police armée
Et moi dans ma chambre
Et les ministres qui débattent
Et moi dans ma chambre
Et le scientifiques qui cherchent la solution
Et moi dans ma chambre
Prendre part, n’était plus dans mon champ des possible
Finalement 2020 était la leçon de mon impuissance
La crise était difficile pour tout le monde,
Alors je ne me suis pas prise au sérieux
Jusqu’à ce que je devienne réellement le monstre que je redoutais devenir
Je m’appelle Roza
J’ai 20 ans,
Et je ne pensais pas que ce serait l’âge auquel on me prescrirait des anti-dépresseurs
Je ne pensais pas que ce serait l’âge ou une détresse viendrait cohabiter dans mon corps
Ou l’espoir s’en échapperait…
Il y a un moment que je scrute la déliquescence du monde,
Mais à présent, il est difficile de s’échapper
Je ne veux pas m’échapper de la réalité avec un abonnement Netflix
Je ne veux pas de vos télécrochets, dans lesquels musique ne rime qu’avec compétition
Dans lesquels aventures ne sont que Koh-lantesque
De vos débats creux, de vos buzz, de vos pubs…
S’échapper de la réalité,
C’est réinventer les possibles
C’est contrebalancer l’importance des choses tangibles
C’est expérimenter la multiplicité des mondes
C’est entrevoir la beauté, et se permettre de la créer.
C’est précisément tout cela que permet la culture
Je m’appelle Roza,
J’ai 20 ans,
Je revendique le droit à la beauté
Elle est essentielle.
Probablement bien plus que tout ce que l’on peut trouver à acheter dans cette rue derrière nous.
Je revendique le droit de réinventer le monde
Car leurs bulldozers sur nos zad sont des poignards dans nos rêves
Je revendique le droit de faire monde
Car atomisés comme nous sommes devenus,
Il est parfois difficile de simplement être.
Je revendique notre droit à prendre part à la réalité,
Car la liberté de façonner la vie ne doit pas être réservée qu’aux incompétents
Je revendique notre droit à contester
Car leur mépris est tout ce que nous récoltons après avoir fait exploser nos milles et une questions.
D’ailleurs, je revendique le droit d’exploser et non d’imploser
Je m’appelle Roza,
J’ai 20 ans
J’aime croire malgré tout que la vie vaut la peine d’être vécue,
Mais il faut qu’elle soit traversée de moments comme celui-ci.