04 janvier 2022
TRAVAILLER MALGRÉ LE COVID LONG interview de Françoise Mignon
Cela faisait quelques mois que je suivais les publications du groupe “Facebook” animé par des malades du “Covid long”, quand j’ai soudain vu passer un nom que je connaissais. Formée à l’INSAS, Françoise Mignon est comédienne. Après avoir fréquenté nos scènes et nos écrans pendant une dizaine d’années, elle s’est surtout consacrée ensuite à la pédagogie, et enseigne depuis une vingtaine d’années aux Académies de Woluwe Saint-Lambert et de Woluwe Saint-Pierre.
C’est peu dire que sa rencontre avec le SARS-COV-2 a bouleversé sa vie.
Plusieurs fois, elle a cru s’en être débarrassé, et à chaque fois, le virus la rattrapée au tournant.
Françoise a accepté de raconter son histoire à l’Asympto. Ou comment une femme active et sportive, qui se définit elle-même comme “work addict”, a pu songer un moment en finir avec la vie, même si elle n’a au final pratiquement jamais arrêté de bosser.
Claude: Cela fait combien de temps que tu es malade ?
Françoise : Juste après la fermeture des écoles, en mars 2020.
Au début, j’avais fait un Covid assez léger, avec pourtant des symptômes très caractéristiques. Moi qui suis plutôt sportive (je faisais de la “zumba”, ce genre de trucs), j’avais soudain l’impression d’être devenue asthmatique. Un peu de fièvre, un état grippal, des douleurs articulaires. Et un sentiment d’oppression pulmonaire.
Mais à l’époque, rappelle-toi, les médecins ne recevaient plus dans leur cabinet.
La consigne, c’était : téléphone, aspirine et quarantaine.
Tu te retrouvais toute seule avec ces drôles de symptômes, sur fond de nouvelles alarmantes à la radio, c’était assez flippant. Bon, cela a duré une dizaine de jours, et puis cela a brutalement disparu. J’étais évidemment soulagée.
Je me souviens même avoir sorti une publication sur Facebook, du genre : ” Il faut arrêter de faire flipper les gens, ce n’est pas grave, cette affaire !”.
Claude : Tu avais mis le virus à la porte, mais il est revenu par la fenêtre.
Françoise : En fait, il n’était sans doute jamais sorti de la maison, ou du moins, il y avait laissé des traces. Parce que quelques jours plus tard, les symptômes sont revenus avec plus de force. Une très grosse fatigue, de fortes céphalées, des douleurs pulmonaires et articulaires aigües. Mais jamais de quoi aller à l’hôpital.
Je me suis traînée comme ça jusqu’en mai, et là, j’ai quand même fini par me retrouver aux urgences à Saint-Luc. J’avais des douleurs abdominales aigües, une inflammation des ganglions du ventre, tellement forte que je ne savais plus marcher. Ils m’ont gardée un jour en observation, ils m’ont mise sous anti inflammatoire pendant trois semaines et ils m’ont renvoyée à la maison. Par rapport à d’autres Covid long, j’ai quand même eu la “chance” d’avoir eu des signes cliniques visibles. Car le pire, c’est quand tu crèves de mal, et qu’on te dit “que tu n’as rien”.
A l’hôpital, ils m’ont dit que oui, “il y avait des symptômes inflammatoires”, que c’était sans doute “une réaction virale, mais que ça ne pouvait plus être le Covid, parce que cela faisait trop longtemps”, et que cela “devait être autre chose”.
Mais à l’époque, et pour cause, personne n’avait encore entendu parler du “Covid long”.
Claude : Comment définit-on aujourd’hui médicalement le “Covid long” ?
Françoise: Cela dépend des pays et des publications. Généralement, on parle de “covid long” si, plus de trois mois après la phase initiale, tu gardes un ou plusieurs symptômes de la maladie, ou tu en développe de nouveaux. Cela concerne surtout des personnes jeunes, en bonne santé auparavant, sans co-morbidités connues, qui ont fait un Covid léger ou moyen et n’ont pas été hospitalisées . On n’en connaît pas encore la cause exacte et aucun traitement n’existe à ce jour. Les symptômes les plus fréquents sont une grande fatigue, des difficultés respiratoires et des troubles neurologiques (comme le fameux “brouillard cérébral”, qui est très handicapant). Il y a aussi la perte du goût et de l’odorat (mais pas chez moi), des douleurs musculaires et articulaires, de fortes céphalées, des douleurs abdominales, des problèmes cardiaques. Et en plus, souvent, tu cumules plusieurs de ces trucs.
En juin 2020, j’ai enfin pu voir mon médecin. J’ai fait une première sérologie, qui était “négative”, mais il m’a confirmé que c’était probablement le Covid.
Je suis partie en vacances, et comme cela allait mieux, j’ai repris mes cours en septembre. Puis j’ai recommencé à avoir plusieurs symptômes. Par exemple, pendant trois mois, une inflammation cutanée au niveau des bras et des mains, qui a été traitée avec une crème à la cortisone (Eczéma).
A des moments cela allait, à d’autres je me sentais vraiment mal.
J’ai tiré sur la corde jusqu’en décembre, parce que je suis une fana du travail, mais aussi parce que dans ce climat anxiogène, j’avais le sentiment que mes cours étaient devenus essentiels au bien-être mental de certain·es de mes étudiant·es.
Puis, après les vacances de Noël, j’ai enfin retrouvé toute ma vitalité. Je me suis même dit que cette fois, cette affaire était enfin derrière moi.
Claude : Mais au printemps, le canard était toujours vivant.
Françoise : Voilà. C’est reparti de plus belle vers la fin mars. Mes tests PCR étaient pourtant toujours négatifs. Des picotements dans le bras gauche, des pertes d’équilibre, des céphalées infernales, et le fameux “brouillard cérébral” qui t’empêche de penser. Je ne savais plus lire, plus écrire, je ne trouvais plus mes mots. Cette saloperie s’attaque à la mémoire immédiate, un peu comme Alzeimher. C’est très effrayant. Ils ont même pensé à une sclérose en plaques. J’étais dans un état lamentable, intellectuellement méconnaissable, et je t’avoue que j’ai même pensé au suicide.
A nouveau, les urgences. Prise de sang, IRM, scanner. Mais mon PCR était toujours négatif. Mon neurologue a pourtant été catégorique : “Il faut vous mettre à l’arrêt”.
Cette fois-là, pendant trois semaines, j’ai vraiment dû arrêter de bosser, mais pour mes cours, j’ai eu de la chance, que ça tombait pile pendant les vacances de Pâques. Après cela, rebelotte. J’ai pu recommencer à travailler.
Pendant l’été, cela a à nouveau été mieux. J’ai repris mes cours en septembre 2021, et certains symptômes sont à nouveau réapparus.
Bon, aujourd’hui, j’arrive plus ou moins à gérer la maladie, je travaille à plein temps, mais j’ai du fortement réduire toutes mes autres activités sociales.
Claude : Qu’est-ce que tu as suivi comme traitement ?
Françoise : Je suis attachée à certaines formes de médecines “naturelles”, comme l’acupuncture et la fasciathérapie, parce que j’ai souvent constaté que cela fonctionnait bien chez moi. Mais pour le Covid, si cela m’a permis de soulager certains symptômes, cela n’a pas guéri la maladie.
J’ai aussi maintenu une certaine activité physique, continué à beaucoup marcher en plein air, car cela semblait me faire du bien.
Mais parallèlement, je me suis aussi tournée vers la médecine “classique”.
J’ai vu les plus meilleurs neurologues à l’UCL, qui ont investigué et fait des tas d’examens. Ils ont commencé à me parler du “Covid long”, tout en me disant que pour le moment, ils ne pouvaient pas faire grand-chose pour moi.
J’ai finalement été faire des tests en neuro psychiatrie chez le Dr Verbanck, qui traite le Covid long par stimulation du “nerf vague”. Je suis toujours son traitement, qui est par ailleurs assez coûteux.
J’ai aussi participé à une étude sur le “Covid long” à l’Hôpital Brugmann, chez le docteur Besse. Ils utilisent des techniques assez pointues qui permettent de montrer un dysfonctionnement du cerveau chez les malades du Covid, là où une IRM “classique” ne montre généralement rien.
Car la grande solitude et la grande souffrance du Covid long, c’est que si tu n’as pas de “marqueurs” scientifiquement décelables, on dit que “c’est psychologique”, et tu passes pour une dingo.
Claude : J’ai vu sur le site Facebook consacré au Covid Long, où les gens apportent très régulièrement leurs témoignages, que les réactions à la vaccination avaient été très contrastées. Chez les uns, cela semblait apporter une amélioration presque miraculeuse. Chez les autres, au contraire, cela aggravait brutalement les symptômes !
Françoise : Oui, cela fait partie du problème, chaque malade du Covid long semble réagir “à sa façon”. Plutôt que de parler “du” Covid Long, il faudrait peut-être plutôt parler “des” Covid Long. Chez une partie des malades, la vaccination apporte une amélioration sensible, mais chez une minorité d’entre eux, elle conduit au contraire à une aggravation des symptômes. Et on ne sait pas pourquoi.
Claude : De façon plus prosaïque, une maladie qui impacte tellement la vie quotidienne des malades, tout en masquant tellement ses “marqueurs” scientifiquement décelables, doit poser d’énormes problèmes administratifs et financiers à ceux qui en sont victimes. Comment dans ces conditions faire reconnaitre sa maladie par sa mutuelle et éventuellement par son employeur ?
Françoise : Moi, j’ai “la chance” d’être prof et d’avoir pratiquement toujours pu continuer à travailler. Et j’ai encore été retenue pour un casting la semaine prochaine. Mais je vois autour de moi des gens qui sont vraiment dans des situations épouvantables, notamment des indépendants et des femmes seules.
Car contrairement au Covid “court”, qui touche surtout “les vieux”, le Covid Long touche des gens plus jeunes, sans comorbidités visibles, et qui ont donc encore une vie professionnelle active.
La moyenne d’âge est de 45 ans, en majorité des femmes, mais cela touche aussi des jeunes filles.
Or pour que le Covid soit reconnu comme “maladie professionnelle”, à part chez les travailleurs de la santé, les critères sont vraiment très exclusifs. Ils semblent vraiment avoir fait “le maximum”… pour payer “le minimum” !
Aucun dossier n’est accepté si tu es tombé malade avant mai 2020 (ce qui est par exemple mon cas). Il faut avoir la “preuve” d’un test PCR ou sérologique “positifs”.
Et pour que ton Covid soit reconnu comme “maladie professionnelle”, il faut que 4 ou 5 autres malades aient été reconnus malades au même endroit en même temps que toi ! C’est terriblement complexe. Le personnel soignant y arrive parfois, pour les autres, c’est un véritable chemin de croix. Si tu as vraiment besoin d’un congé maladie, il vaut mieux “t’inventer” un burn-out ! (rires).
Malgré le soutien de certains médecins, malgré les promesses du gouvernement, pour le moment, concrètement, les choses semblent administrativement toujours bloquées. Certain·es d’entre nous se retrouvent pourtant depuis plusieurs mois dans des situations d’urgence et d’extrême précarité.
Interview réalisée par Claude Semal le 16 décembre 2021
(Le lendemain, Françoise m’a envoyé un mail qui développe un peu les critères nécessaires pour une “reconnaissance” officielle de la maladie. Je le reproduis ci-dessous, ainsi qu’un premier bilan du Dr Besse sur les patient·es de sa consultation).
Le mail de Françoise :
Coucou Claude,
Pour synthétiser la question essentielle de la reconnaissance médicale et professionnelle, le cas échéant.
1) La règle de l’effet rétroactif au 17 mai 2020 : les personnes Covid Long ayant contractées le virus avant cette date n’auront droit à rien. Or, en mars 2020, avant le confinement, beaucoup de personnes ont été contaminées sur leur lieu de travail.
On en retrouve énormément sur les groupes de soutien, et une partie n’a toujours pas pu reprendre le travail. Ces malades ont été dans l’errance médicale la plus complète. C’est l’époque où on n’avait pas de test, pas de masque, pas d’accompagnement médical pour les cas légers ou moyens, pas de sérologie avant fin mai 2020. Quand on sait que 20 pour cent de la population ne conserve pas très longtemps les anticorps (certains n’en produisent même pas), cela élimine aussi la reconnaissance médicale dans un cas sur cinq.
2) A partir du 17mai 2020 : Le cluster de 5 cas contacts confirmés sur le lieu de travail, ainsi que les autres règles, rendent la reconnaissance professionnelle extrêmement compliquée, surtout rétroactivement.
3) Avec le groupe “Covid long nous existons” nous pensons que la reconnaissance médicale devrait se baser avant tout sur les symptômes du Covid long. Les tests sérologiques ne sont pas toujours fiables, surtout plusieurs mois après la soosée primo infection. Et pour une reconnaissance comme “maladie professionnelle”, les cinq “cas contacts confirmés” excluent de facto une majorité des malades.
Cette difficulté, ajoutée au fait que beaucoup de médecins ne connaissent toujours pas la pathologie, rend les choses encore plus douloureuses sur le plan psychologique, mais place aussi beaucoup de malades dans des situations extrêmes au niveau financier. Certains, et disons le clairement certaines, souvent des femmes puisqu’elles sont nettement plus touchées par le Covid long (et par la précarité d’ailleurs) doivent choisir entre se nourrir ou se soigner.
Voilà, voilà…Sans doute plus clair et complet que ce que j’ai raconté hier 🙂
Kusjes
Françoise
Covid “long” : le résumé clinique du Docteur Besse (cheffe de service à l’Hôpital Brugmann)
On pourra aussi relire ceci dans l’Asympto :
Le groupe sur Facebook :
“Covid long nous existons en Belgique”
Pas de commentaires