28 mai 2023
Interview de Bruno Belvaux : CHEVETOGNE, LES GENS ET LES CASTORS
Bruno Belvaux a longtemps commencé ses journées par une course de 15 kilomètres. Histoire de se mettre en jambes. J’ai toujours eu l’impression qu’il mettait dans sa vie deux ou trois fois ce que je mettais dans la mienne – qui suis pourtant aussi un habitué des empilements de casquettes.
Depuis plus de vingt-cinq ans, on connait surtout Bruno comme directeur du Domaine Provincial de Chevetogne, dont il a fait l’un des plus poétiques et ludiques parc récréatif d’Europe, avant de confier la gestion de ses ruisseaux à trois couples de castors.
Mais cela ne l’a jamais empêché de continuer à écrire et à monter des spectacles théâtraux avec son vieux compère Jean Lambert, avec qui il animait aussi des stages estivaux, ou de tester un deux-roues sur les pistes poussiéreuses du Maroc pour je ne sais quel Magazine Moto, ou d’écrire nuitamment les discours d’une députée provinciale en mal d’inspiration.
C’est aussi un vieil ami de Benoit Poelvoorde, ce qui implique, outre un foie en titane, une certaine aptitude au noctambulisme.
Les Belvaux sont une fratrie.
Il y avait Rémi, qui nous a quitté en 2006, le brillant cinéaste qui fut la cheville ouvrière de “C’est arrivé près de chez vous“, cet OVNI cinématographique qui révéla Poelvoorde à Cannes et au monde entier.
Il y a Lucas, le comédien et réalisateur inspiré et engagé, qui est aujourd’hui à la tête d’une impressionnante filmographie – et qui vient de signer un bien beau premier roman (“Les Tourmentés“).
Et il y a Bruno, qui a fait de sa propre vie un film d’aventures aux dialogues étincelants.
Pour son départ en retraite, qui sonne plutôt comme une charge de cavalerie, les “Amoureux du Domaine de Chevetogne” lui font la fête au village ce vendredi 14 avril (1).
Il y aura sans doute un peu de mélancolie dans l’air, des chansons à partager avec quelques boissons rafraîchissantes, et ce ne sera certainement pas triste.
Interview de cet homme de culture et de littérature, désormais rendu à l’état de nature.
Claude : Bruno, explique-nous pourquoi la Province de Namur a acquis le domaine de Chevetogne, comment il est devenu un “parc paysager”, et pourquoi et comment tu en es devenu le directeur ?
Bruno : Dans la période de l’après-guerre, les provinces flamandes, qui étaient souvent codirigées par le Parti Socialiste, ont acheté plein de domaines qui étaient pour la plupart d’anciennes propriétés aristocratiques, des châteaux de nobliaux avec tous leurs terrains. L’idée étant de permettre aux travailleurs d’y avoir accès pour leurs loisirs. On offrait des possibilités de verdure à des gens qui vivaient le reste de l’année dans des métropoles très urbanisées. Rien que la Province d’Anvers en avait ainsi acheté une bonne dizaine. Une opportunité s’est présentée – un paquet de pognon en “compensation économique” de l’installation de l’accélérateur de particules à Lausanne, alors qu’il avait été pressenti en Wallonie – et la Province de Namur a fait pareil.
Mais on s’est vite demandé ce qu’il fallait en faire, parce que chez nous, il y a déjà de la verdure un peu partout, et ouvrir un simple Parc avec trois étangs, cela ne semblait pas suffire. Même si c’était un acte symbolique d’offrir un “luxe d’aristocrate” – la jouissance d’un parc – à l’ensemble de la population.
Mais il y avait en fait un vide de projet. On ne savait pas quoi y faire. C’est bien beau d’être velléitaire et d’avoir “des envies de…”, mais cela doit faire l’objet de propositions concrètes et d’aménagements, sinon cela reste une idée en l’air. Les mecs, à l’époque, ils ne vont pas voir les grands parcs allemands ou anglais qui avaient une certaine expertise et de vraies réussites en la matière, ils font ça “à la belge”, c’est-à-dire qu’ils font n’importe quoi : ils installent des toboggans aquatiques en plastique, des pistes de karting à moteurs, des cuistax dans tous les coins, et des plaines de jeux “à l’ancienne”, tout ça plic ploc dans le paysage, mais en défigurant aussi ce qui était à l’origine un beau parc paysager.
Quand l’écologie politique commence à émerger dans la Province de Namur, au milieu des années ’80, les ECOLO, qui sont dans l’opposition, commencent à interpeller la majorité à ce sujet : “Qu’est-ce que c’est ce bazar, on a aménagé ce domaine à grand frais, plus d’une centaine de personnes y travaillent, on a construit des routes et des piscines, installé un camping de trois kilomètres, mais on n’a rien respecté ni du paysage ni de l’environnement”. Ils reviennent avec ça à chaque Conseil Provincial : “Que comptez-vous faire de Chevetogne ?“. Et en 1995, la majorité politique PS-MR est tellement aux abois qu’elle me nomme directeur, avec pour mission de définir un projet, en me disant : “Tu trouveras bien quelque chose à faire avec ça”. A l’époque, je suis directeur-adjoint de la maison de la Culture, et je viens de monter “Modèle Déposé” à Paris avec Jean Lambert et Benoit Poelvoorde.
Ils auraient pu choisir quelqu’un qui venait de l’horticulture ou du tourisme, et cela aurait influencé tout autrement le projet, mais ce n’était pas idiot d’y nommer un “généraliste” de la culture.
La première chose que j’ai faite, c’est d’ailleurs de réunir autour de moi une équipe. Avec un paysagiste – Benoît Fondu, un anversois originaire de La Louvière, qui a restauré des Parcs du XIXème siècle à Londres –, et Marie-Françoise Degembe, une historienne des Jardins qui a fait l’École du paysage de Versailles.
On a commencé par faire une étude historique du domaine, en partant de ce qu’avait été la propriété depuis 1869, avec sa typologie de jardin anglo-chinois, cette alternance de milieux ouverts et boisés, et on s’est demandé comment restaurer cette fonction “paysagiste” en conservant parallèlement l’aspect “récréatif” du Parc.
Cette démarche était au départ plutôt “esthétique” qu’écologique et environnementaliste, ce qui était logique par rapport à nos propres parcours.
Et par ailleurs, entre 1969 et 1995, ce Parc, même “mal foutu”, attirait entre 200.000 et 250.000 visiteurs par an : c’était aussi un outil de développement économique et touristique de la zone, ce que nous devions aussi intégrer à notre propre projet.
Quand je monte le premier “schéma directeur” – un plan d’aménagement et de développement sur trente ans – on reste essentiellement dans cette optique “culturelle” : on veut restaurer un “beau parc” paysager, en supprimant les stigmates qui l’avaient défiguré. Dès la première année, on supprime les toboggans en plastique et les karts à moteurs, et on les remplace par de nouvelles activités plus en adéquation avec le lieu.
Et puis, après une douzaine d’années, je suis sensibilisé par mon garde des Eaux et Forest, qui est a une vraie inspiration “écologiste”, à la restauration des “milieux” naturels.
Il me reproche d’amener trop d’essences exotiques, de faire trop de transformations de l’espace. Pour lui, il faudrait retourner à une nature “férale” (ndlr : “se dit d’une espèce domestique retournée à l’état sauvage”), laisser certaines zones à l’état “sauvage”, pour permettre le développement d’une faune locale plus diversifiée.
Et ainsi, entre 2000 et 2010, le projet de Chevetogne acquiert une dimension plus “environnementaliste”.
Ce n’est plus “l’homme contre la nature”, mais “l’homme dans la nature”, parce qu’il en fait lui-même partie. Le castor revient dans le domaine en 2010, et il y a un déclic qui se fait en moi.
J’avais été voir des “forêts intégrales” en Macédoine et en Slovénie, et c’est vrai que la nature, telle que le castor la transforme, change spectaculairement d’aspect.
Trois couples de castors ont, en quelques années, restauré sept hectares de “zones humides” ! Cela donnait un paysage dantesque, un paysage “d’origine du monde”, c’est comme si le castor nous montrait la voie suivre.
On a écrit à ce moment-là un nouveau” schéma directeur”, avec Marc Dufresne, qui est prof d’écologie à la Faculté de Gembloux, sous le titre “Réconcilier Humanité et Biodiversité“.
Cela rejoint la réflexion de Descola, un anthropologue français, qui affirme que tout le mépris que nous avons montré vis-à-vis de la nature depuis 200 ans, vient d’une conception anthropocentriste qui fait de l’homme le centre du monde.
Alors que, biologiquement parlant, il fait partie de la nature : c’est un animal comme les autres. Comme une taupe, comme une souris, comme un héron cendré.
Et dès que tu arrêtes d’opposer la culture à la nature, tu t’inscris dans une démarche tout-à-fait différente.
Claude : Votre premier couple de castor, il s’est invité comment dans l’affaire ?
Bruno : Les castors ont été ramenés en Belgique par certains écolos “fondamentalistes”, dont un monsieur qui s’appelait Olivier Rubbers (2). Il les a ramenés dans la région de Gedinne et Bièvre dix ans avant qu’ils n’arrivent à Chevetogne. “Bièvre”, cela vient d’ailleurs du radical celte “beaver”, qui veut dire castor en anglais. Donc tous les noms qui incluent cette racine (comme Beveren en Flandres) témoignent de la présence des castors autrefois dans nos régions. Avant le XIXème, dans certains coins, c’était même un animal très commun. Et Bièvre est à vingt-cinq kilomètres de Chevetogne.
Claude: Il y a un réseau hydrographique qui les relie ?
Bruno: Évidemment. Mais à partir du moment où ce n’était pas le “castor canadensis“, mais le “castor fiber“, d’origine européenne, les Eaux et Forêts ont été obligées de les accepter. Espèce protégée. Alors qu’ils y étaient tout à fait opposés au départ. Ils ont même attaqué Olivier Rubbers en justice, et il a dû vendre sa maison pour payer sa défense !
Avec l’appui de la communauté scientifique, on a fini par faire admettre que le castor avait sa place en Belgique. Mais le débat n’est pas fini, puisqu’on sort d’une période où ceux qui faisaient la loi, en Ardennes, c’étaient les chasseurs et les exploitants forestiers. Et évidemment, quand tu as une exploitation forestière en bordure de rivière, le castor, il te nique tout jusqu’à vingt mètres, ça c’est sûr. Mais grâce à ses barrages sur les ruisseaux, en recréant des zones inondables, le castor lutte contre le stress hydrique, et crée de larges zones humides où l’eau stagne et peut progressivement s’infiltrer dans la terre pour alimenter les nappes phréatiques. Ces barrages et ces zones régulent aussi les cours d’eau en période de crue.
J’ai écrit un bouquin là-dessus, “Reconstitution d’une Zone Humide historique au Domaine de Chevetogne“, je te le filerai vendredi. Aujourd’hui, dans le domaine, on a cinq zones humides pour un total de 18 hectares. On a des échassiers qui reviennent, qu’on n’avait plus vu depuis cent ans, c’est une modification profonde du milieu.
Claude : Comment avez-vous concilié l’aspect “récréatif” du parc, celui qu’il avait au départ, avec ce côté “retour à la nature” ? Et quel impact est-ce que cela a eu (ou non) sur le nombre de visiteurs ?
Bruno: Marc Dufresne, qui est reconnu comme un des plus grands profs d’écologie en Europe Occidentale, qui va photographier des ours dans les Asturies ou des loups dans les Abruzzes, constate que nous avons su préserver, à côté de notre tourisme intensif, des zones de nature préservées – on dit “férales” – qui sont donc laissées à l’état “sauvage”.
On a une zone de forêt de cent hectares qui n’a plus été coupée depuis soixante ans. C’est une expérience très intéressante, qu’on mène avec les Eaux et Forêts, où quand un arbre tombe, on le laisse pourrir sur place. Un arbre de 50 centimètres de diamètre, cela prendra cent ans.
Mais 40% de la faune vit dans le bois mort. Quand tu fais une “forêt d’exploitation”, où tu enlèves en permanence le bois mort parce qu’il va soit disant t’amener des misères, tu te prives en fait de 40% de ta chaîne alimentaire.
Notre force, cela a été d’avoir été une équipe interdisciplinaire de six sept personnes, avec une grande écoute réciproque, et une approche d’inspiration holiste globale, où il doit y a voir de la place pour la nature, où on doit pouvoir ramener du saumon, où il n’est pas impossible d’avoir des loutres, mais avec aussi une activité économique et une présence humaine, pour apporter du bonheur aux gens.
Claude : C’est marrant, parce que la dernière fois qu’on a vraiment parlé de Chevetogne – et c’est vrai que nos gamins étaient beaucoup plus jeunes, et qu’eux-mêmes étaient branchés là-dessus ! – tu me parlais surtout de l’aménagement des espaces de jeux et de loisirs… Tu me semblais vraiment plus préoccupé des gens que des loutres et des castors (rire).
Bruno : C‘est vrai, mais en même temps, ce qui m’a intéressé dès le début, et mes premières esquisses en témoignent, c’est cette osmose entre l’activité humaine et la nature. Ces plaines de jeux étaient conçues comme des “terrains d’aventures”, où les gamins étaient en contact avec les éléments naturels : l’eau, la boue, la terre, les morceaux de bois, les gravillons. C’est un autre pédagogue, Louis Espinassous, celui qui a écrit “Pour une éducation buissonnière”, qui préconise que l’enfant puisse développer son amour pour la nature en passant par la rencontre avec ces matières brutes.
Il fallait aussi, au cours de leurs jeux, que les gamins puissent croiser une épinoche, un têtard, une grenouille.
J’étais fort influencé par des images à la “Lara Croft”, ces palais et ces temples khmers envahis par les fromagers et les plantes grimpantes, ce qui rejoignait aussi les tableaux d’Hubert Robert, comme “la grande galerie du Louvres effondrée”, une inspiration terriblement romantique, où la végétation envahit la culture, et a toujours le dernier mot sur l’ambition humaine.
Et je voulais que les plaines de jeux témoignent un peu de tout ça.
Tous les gosses veulent être Indiana Jones, tous les gosses sont fouilleurs, sont creuseurs, doivent pouvoir jouer avec un morceau de bois ou s’asperger d’eau et de boue. Bref.
On s’est rendu compte en avançant qu’on avait six ruisseaux qui traversaient le domaine, alors que toute la région est en stress hydrique, que toutes les communes manquent d’eau.
Or chez nous, elle est omniprésente.
Une des choses qu’on pouvait donc faire, c’est favoriser son stockage.
J’ai vu dans l’Asymptomatique que tu avais parlé des manifs contre les méga-bassines. La connerie là-dedans, c’est d’aller pomper dans la nappe phréatique pour la faire s’évaporer en surface, cela n’a aucun sens. Nous, avec les zones humides, on fait exactement l’inverse. On crée des prairies et des zones inondées où l’eau peut lentement s’infiltrer dans la nappe phréatique, et ainsi la renouveler.
Claude : Au lieu de s’écouler vers la mer.
Bruno : Voilà. Or la stratégie de la Belgique, depuis le décret de 1975, c’était exactement l’inverse : envoyer le plus vite possible toute la flotte dans l’océan !
Maintenant, tout le monde est revenu là-dessus. Cette eau, il faut bien sûr la garder en sous-sol, dans les nappes phréatiques.
Cela reste mystérieux et magique : tu accumules dans les nappes phréatiques en hiver, et en été, par effet de pression, tes ruisseaux continuent à donner !
Ca fait quinze ans qu’on “travaille” sur les nappes phréatiques.
Ces deux dernières années, il y a avait quatre ou cinq communes qui manquaient d’eau autour de Chevetogne, et moi j’avais encore des débits de 20 litres par seconde dans les plus petits ruisseaux ! Parce qu’on a aussi planté un kilomètre de haies chaque année depuis vingt ans . On estime qu’à Chevetogne, on infiltre 500.000 mètres cubes d’eau par an.
Claude : J’ai du mal à imaginer les volumes, parce qu’il y a trop de zéros. Mais je me doute que ça doit en faire un paquet.
Bruno : Ce que tu entends bien dans mon discours, c’est qu’il ne s’agit plus de faire seulement de la culture ou du tourisme, ou de faire venir des artistes qui vont chanter dans un beau jardin. Il est question de replanter des haies partout où elles ont été arrachées après guerre, de remplir la nappe phréatique, de favoriser des forêts résilientes avec quarante espèces d’arbres, etc, etc…
Quand tu as une forêt avec une seule essence, tu as un parasite qui se met sur le premier arbre, et il ne s’arrête que lorsqu’il a bouffé les trente hectares.
Si le prochain épicéa est à huit cent mètres, il s’arrête après le premier.
Comme illustration de tout ce que je te dis, va voir un site qui s’appelle “Les amoureux du Domaine de Chevetogne”. Il y a là 3500 personnes qui disent quotidiennement leur amour du parc.
Certains adorent nos musées en plein air, d’autres nos animations, d’autres encore nos paysages.
Concernant la fréquentation du domaine, on a peut-être perdu ceux qui venaient pour le karting ou les toboggans aquatiques, mais on en gagne tous les jours du côté de ceux qui aiment côtoyer une nature préservée. Une forêt “brute” de soixante ans d’âge, il n’y a que chez nous que cela existe.
Claude: Ta trajectoire de vie, comment s’inscrit-elle là-dedans ? Et pourquoi cela se termine-t-il ? Bon, bien sûr, tu as l’âge de la pension (rires), mais est-ce qu’il n’y a que ça ? Tu as l’air d’être encore plein de projets et de passions par rapport à tout ça…
Bruno : Le pouvoir politique, aujourd’hui à la Province de Namur, ce sont les libéraux alliés aux Engagés et à Défi. Ils veulent aller chercher de gros investisseurs qui installeraient à Chevetogne un paradis tropical de type “Center Parc” ou de gros opérateurs comme Pierres et Vacances qui construiraient un Village de Vacances avec 400 petites maisons. Evidemment, c’est le contraire du projet pour lequel nous nous battons depuis 28 ans.
J’ai bien sûr construit quelques plaines de jeux supplémentaires, mais en surface, l’emprise sur l’ensemble du domaine restait très modeste.
Et au contraire, j’ai arraché beaucoup de tarmac et de béton partout.
A présent, le “politique” se dit : “Maintenant que Belvaux est parti, on va enfin pouvoir refaire de l’économie”.
Mais c’est quoi, “l’économie” ? Aller chercher un Fonds de Pension qui va construire 300 petites maisons, avec du bois qui vient de Roumanie ou de Pologne, et qui mettra la clé sous la porte en licenciant tout le monde quand il aura trouvé un investissement plus lucratif ailleurs ?
Ou c’est, comme aujourd’hui, avoir 140 petits gîtes et B & B chez l’habitant qui vivent autour du domaine de ce tourisme de passage, doux et humain ? Car quand tu vas chez les gens, tu les rencontres, tu déjeune avec eux, ils t’expliquent leur jardin, etc…
Ce n’est pas la même chose que d’aller chercher ta clé dans une boîte à l’accueil pour aller au chalet 234 !
Non seulement, ce gros opérateur viendrait saccager tout ce qui fait aujourd’hui la beauté de Chevetogne, mais il priverait aussi toutes ces petites entités de leur activité économique.
Il y a trois ans, j’avais écrit avec Marc Dufresne un projet pour Chevetogne pour… les trois cent prochaines années. Pourquoi 300 ans ?
C’est le timing qu’on donne aux schémas directeurs des Parcs en Angleterre. Les anglo-saxons ont une gestion des forêts à plus long terme que nous. Ca peut paraître long, 300 ans, mais un arbre, ça peut vivre mille ans. Il faut savoir que l’arbre n’a pas de sénescence programmée. Au bout de quelques siècles, un hêtre va être victime de l’affaiblissement de ses racines, ou des pluies torrentielles vont le déraciner, mais il n’est pas inscrit dans sa structure biologique et cellulaire qu’il doit mourir.
On coupe chez nous les arbres à deux cent ans, mais uniquement pour des raisons “économiques”. Face au réchauffement climatique, il faut aussi inventer chez nous de nouvelles façons de gérer notre “capital nature”.
Claude : La fête qui est consacrée à ton départ en pension ce vendredi 14 avril au village de Chevetogne, elle est publique, ou bien privée ? On peut y inviter nos lecteurs ?
Bruno : Oui, bien sûr. C’est la fête du départ du directeur, mais c’est aussi organisé par le site des Amoureux du Domaine de Chevetogne, qui se constitue en mouvement qui défendra coûte que coûte l’ancrage écologique et environnemental du parc. Ils ne laisseront jamais faire , par rapport à des demandes de permis de bâtir qui viendraient modifier son objet, dilapider ce bien commun pour construire un village de vacances industriel.
Claude : Bientôt une ZAD à Chevetogne (rires) ?
Bruno : Sans déconner, j’ai envie de paraphraser Clémenceau qui disait : “La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires”, je pense que notre vie et notre bien-être sont trop importants pour les confier à des politiques.
Ce n’est pas que les politiques “veulent” mal faire, ou qu’ils seraient moralement suspects. C’est juste qu’ils ne connaissent rien, mais rien du tout, aux problématiques liées à l’environnement. Une “forêt intégrale”, ils ne savent pas ce que c’est.
Le rapport entre les castors, “une zone humide” et la nappe phréatique, encore moins. Au mieux, pour eux, c’est des histoires de grenouilles et de libellules.
Personne ne peut être “spécialiste” en tout : l’Ukraine, Delhaize, le COVID et les castors. Et c’est pourtant ce qu’on leur demande de faire. Moi j’ai mis vingt ans à devenir un spécialiste de l’environnement, et encore, en étant tous les jours présent sur le terrain!
Claude : Je te remercie beaucoup, et j’espère que tes compétences, pour le jeune pensionné que tu es devenu, trouveront un cadre où elles pourront continuer à se déployer (rires).
On se voit vendredi ?
Bruno : Si tu me chantes “Métallurgie Hoboken” (3) !
Propos recueillis par Claude Semal le 12 avril 2023.
NOTA BENE (15/10/2023) : J’ai reçu ce jour cette mise au point d’Olivier Rubbers :
Dans un de vos articles sur le directeur de Chevetogne, ce dernier dit que Olivier Rubbers a du vendre sa maison pour payer les frais du procès relatif au castor. On m’a réclamé en tout et pour tout 500 euros et cette somme a été “oubliée”. J’ai donc payé in fine 0.00 €. Juste pour la qualité de l’information. Olivier Rubbers
(1) “La Fête à Bruno“, avec des chansons et de la musique, à la Maison des Jeunes, 106 rue Grande, 5590 Chevetogne, ce vendredi 14 avril à 20 heures. Entrée libre.
(2) Olivier Rubbers : Le castor ne fait des barrages que lorsque le cours d’eau est peu profond (il n’y a pas de barrage sur le Rhône, Rhin,…). En effet, il ne peut alors se cacher contre des menaces, l’entrée de son terrier n’est pas sous eau, par conséquent il construit un voire plusieurs barrages sur la rivière. Comme dit le proverbe : « A petit ru, grand bièvre » (bièvre étant l’ancien mot français du castor). Les barrages de castors bloquent le cours d’eau (par exemple sur la Houye) et celui-ci se divise en une multitude de petits cours d’eau contournant le barrage et replongeant dans le lit de la rivière en aval. Ce barrage permet donc la création de nouvelles zones humides ; bases fondamentales pour la biodiversité. En plus de cela, les barrages retiennent les terres et freinent l’érosion. Le mélange de terre et de vase s’accumule et est bloqué par le barrage. Cette terre retenue, c’est de l’érosion et elle aboutit normalement dans les grands cours d’eau où elle s’entasse et empêche donc la circulation fluviale. Tout le monde connaît les problèmes de dragage de cours d’eau en région wallonne qui met beaucoup d’argent dans le dragage de ces cours d’eau. Les étangs de castors créent des zones de lagunage (bassins pour l’épuration des eaux) comme à Etalle. Il faut favoriser le ralentissement dynamique de l’eau afin d’éviter un ruissellement trop important qui provoquerait des crues. C’est pourquoi les barrages de castors sont une excellente chose. Des travaux sont faits en ce sens sur la Meuse aux Pays-Bas où ils constituent de nouveaux bras de fleuve et y introduisent des castors pour la gestion. La ripisylve (en latin : ripes, la berge ; sylva, la forêt) est considérée comme un habitat stratégique entre le monde terrestre et le monde aquatique. Le castor est un gestionnaire de cette ripisylve.
En effet, en coupant les arbres, il évite le développement excessif de la ripisylve qui pourrait se refermer sur le milieu aquatique ; ce qui aurait pour conséquence d’avoir moins de lumière pour la rivière, donc moins de phyto et zooplancton, donc moins de poissons, moins de batraciens,… Si le castor n’avait jamais existé, la ripisylve aurait poussé de façon exagérée et nous aurions eu une biodiversité extrêmement pauvre le long de nos cours d’eau. La ripisylve gérée par le castor devient une strate arborescente qui présente un 2 grand avantage : un volume racinaire conséquent pour un faible poids ; ce qui stabilise les berges. Les castors luttent contre l’érosion des berges par la gestion de la ripisylve. De plus, cette ripisylve, riche en petits arbres tendres, est appréciée par les ongulés (cerf, chevreuils,…) qui mangent l’écorce. Cela devient une zone de gagnage pour le gibier ; particulièrement intéressante pour les chasseurs. Le futur des rivières passe par la restauration des ripisylves avec le castor comme gestionnaire pour empêcher l’homme de détruire celles-ci chaque année (champ cultivé, …). Le castor est créateur d’équilibre : il est capable de créer des habitats naturels de qualité et de les conserver : sans les castors, des déséquilibres écologiques se créent…
(3) J’ai écrit cette chanson en 1979, pour dénoncer la pollution par le plomb de la Métallurgie Hoboken. Cette entreprise traîna la chanson devant les tribunaux… où elle fut finalement acquittée pour cause de vérité. Bruno l’avait aussi mise dans la bouche de Robert, mon “personnage” dans “L’Hymne à l’amour”, un spectacle théâtral de Bruno et Jean, auquel j’ai participé comme chanteur et comédien.
Martine Vandemeulebroucke
Publié à 18:21h, 22 avrilUne Zad à Chèvetogne? Bonne idée, j’arrive, je cours
nicolas froment
Publié à 16:18h, 13 avrilEn 2010 on allait voir aux souces du Laval non loin du hameau de Acul et du village de Chisogne (Commune de Tillet) , le travail des castors dans un lieu très sauvage et humides.
J’y suis repassé en 2022. Plus aucune présence de castors. Je ne sais quand ils ont été ou se sont installés ! Je n’ai jamais rien pu apprendre sur leur disparition ou leur éradication ?