GOGO ET POUF, MON GOÉLAND ET MON ÉLÉPHANT par Luc Honorez (sur Facebook)

Je buvais, sur la terrasse, mon café matinal. A cette heure brève où la lune soutient encore le ciel avant de se cacher dans son bleu, la cire du sommeil se craquelait dans ma tête. C’est l’instant où l’on est traversé par des instants, des séquences, des passages, des moments : qu’a-t-on fait, que fera-t-on ? On n’est pas en continuité avec le présent, les choses vont et viennent, veni, vidi, vinci, lucky.

Le jour se carre en moi comme un écureuil dont je suis la noisette…
Soudain, j’aperçois un grand oiseau qui atterrit sur le mur de la piscine.
Il me regarde et ouvre ses ailes qui font une ombre de deux mètres sur les dalles. Il est d’un blanc plus immaculé que la conception que j’ai d’un blanc parfait. Dans mon souvenir son long bec est jaune.
C’est un goéland. Go, go, lentement un pas de danse sur le muret.
Il me regarde. Écarte encore ses ailes, ses cris jouent un air de cornemuse. Cela tombe bien : je parle et comprends le cornemusien.
Il me dit : “Viens, envole-toi avec moi. Vole, vole, vole, c’est la seule chose à faire dans un monde où, partout, claque le bruit des revolvers. Alors, viens. Avec moi, vole vers… Vers quoi ? On verra bien. Tu regarderas les choses de haut. Les méchants seront tout petits et les gentils yodleront des chansons en te voyant dans les nuages. Si ton chien Luna était encore là, il te dirait d’accepter ma proposition. Toi dont le moral fait du 9, ton âme ferai du neuf, de la nouveauté“.
Gogo, lui répondis-je, je meurs d’envie de m’envoler avec toi. Mais je suis au deuxième étage, je vais, dans la chute, me tuer…
Il fit une grimace : “Ose. Réussis l’impossible. Te tuer, non. Quoiqu’il arrive tu sauras fièrement, dignement que tu es“.
Je ne fus pas convaincu et le lui avouai. Il déploya alors ses ailes, vint à ma hauteur et chuchota en cornemusien : “Tu vas avoir une seconde chance. Continue à boire ton café. Belle vie, mon gars”.

Gogo avait raison. Cinq minutes plus tard, je vis un éléphant franchir le portail de la maison. Je le reconnus. C’était Pouf, le pachyderme à qui, de mes quatre à vingt ans, j’offrais une pomme lors de mes visites régulières au zoo d’Anvers. On était très copains. Il était la racine de mon ciel, j’étais son paumé-pommier.
Pouf déploya sa trompe et barrit : “Allez, ris. Et tu seras gai-ris donc. Guéri”. Il se mit debout sur ses pattes arrière et imita Gabin partant vers une ivresse”.
Et je ris, je ris, je rigole, j’avais la gaule du rire. Le reste de ma vie commençait bien…

Luc Honorez (sur sa page Facebook)

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