France : LE P.S. COUPÉ EN DEUX

La vieille maison du parti socialiste français a longtemps abrité différentes sensibilités politiques, de la gauche marxiste aux centristes chrétiens, en passant le courant autogestionnaire (PSU-CFDT), les souverainistes chevènementistes et les européâtres deloriens. Mais François Mitterrand avait su faire de cette diversité une force de rassemblement.

Le futur Président de la République les avait unifiées autour d’un programme (le Programme Commun), principalement rédigé par “la gauche” du parti, et d’une stratégie à vocation majoritaire : l’alliance des socialistes, des communistes et des “radicaux de gauche” dans “l’Union de la Gauche”.
Stratégie qui allait triompher au troisième essai le 10 mai 1981, renvoyant Giscard d’Estaing à sa chaise vide et à son accordéon (olé!).
Mitterrand (je cite de mémoire) : “La majorité politique de la France a enfin rejoint sa majorité sociologique“.
Les métamorphoses et l’érosion de la “classe ouvrière”, le développement  du “précariat”, la construction européenne sous hégémonie libérale, la chute du Mur de Berlin (1989) et l’effondrement des communismes d’État, allaient toutefois rapidement obliger les partis de gauche à réinterroger leurs fondements théoriques et à redéfinir leur place dans la société.
Sans contre-modèle planétaire, l’économie de marché s’imposerait désormais, pour nombre de sociaux-démocrates, comme le seul vivarium “naturel” de la démocratie.

Après son échec humiliant à la présidentielle de 2002, qui avait envoyé Chirac et Le Pen (père) au second tour, Lionel Jospin, le “successeur” désigné de Mitterrand, faisait acte de contrition et se retirait de la vie politique (amen).
Le Parti se cherche un nouveau centre de gravité, et Fabius, Rocard et Emmanueli se succèdent brièvement à sa direction. Puis François Hollande était élu premier secrétaire du parti en 1997.
Mais monsieur “Petites Blagues” avait un tout autre projet pour le PS : le transformer en un “parti démocrate” à l’américaine, certes “progressiste”, et qui pourrait prétendre à l’alternance du pouvoir, mais sans plus jamais remettre en cause les fondements du “capitalisme”.
Sauf évidemment pendant les campagnes électorales, puisqu’on n’attrape pas les classes populaires avec des coups de matraques, ni avec des promesses de stocks options. Ce qui ouvre de vastes perspectives à la schizophrénie politique.
François Hollande se fait ainsi élire président en 2012 en proclamant au meeting du Bourget : “Mon seul adversaire, c’est le monde de la finance !“, avant de choisir comme Ministre de l’Économie un certain Emmanuel Macron, banquier d’affaires venu de chez Rothschild, et pour premier Ministre Emmanuel Valls, situé à l’extrême-droite de la gauche. Quel blagueur, ce Flamby !

Entretemps, Mélenchon et ses ami·es ont quitté le P.S. en 2008 après le Congrès de Reims, dégoûté·es par cette hégémonie Hollando-Barcelonnaise sur le parti, pour aller fonder le Front de Gauche avec le PCF.
Mais il devait rester des socialistes au PS, puisque ses militants choisissent finalement… Benoit Hamon, représentant de “l’aile gauche” du Parti, pour les représenter à la présidentielle de 2017. Au second tour du scrutin interne, il est vrai, il était seul face à Manuel Valls. Et beaucoup de militants socialistes auraient préféré voter pour une chèvre basque que pour l’ancien Premier Ministre, qui a d’ailleurs aujourd’hui rallié la droite, après un passage touristique à Barcelone.
Sans vraiment démériter, Benoit se prend une tôle à 6,3 % (Mélenchon et La France Insoumise sont alors à 19%). Et c’est Emmanuel Macron qui est élu président face à Marine Le Pen, après avoir rallié les plus centristes (ou les plus opportunistes) des élus du PS (comme Gérard Colomb, Richard Ferrand, Bertrand Delanoë et Christophe Castaner), en même temps que plusieurs leaders de la droite (comme François Bayrou, Edouard Philippe, Bruno Lemaire et Gérald Darmanin). Dans la foulée, Benoit Hamon et ses ami·es quittent à leur tour le P.S. pour aller fonder “Générations”.
Eh! bien, le croirez-vous ? Le lendemain, le canard était toujours vivant, et il restait toujours des socialistes au PS ! Démembré à la fois sur sa gauche et sur sa droite, il avait certes une très petite mine.

Avec la candidature d’Anne Hidalgo aux présidentielles 2022, il poursuivait donc sa descente aux enfers. Et la Maire de Paris terminait cette fois la campagne à 1,7 % (Jadot et les Verts à 4,6 % et Mélenchon à 22%).
Mais sur la ligne d’arrivée, coup de théâtre ! Actant de ce nouveau rapport de forces, Jean-Luc Mélenchon proposait au reste des partis de gauche un programme anti-libéral “de rupture” et des listes communes aux élections législatives qui suivent. Et, encore plus fort, il s’est trouvé une majorité à la direction du PS, rassemblée autour d’Olivier Faure, pour l’accepter !
Ainsi est née la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale), dans la douleur et l’enthousiasme, après dix jours et dix nuits de négociations acharnées, qui devient ainsi la première force d’opposition à Macron à l’Assemblée Nationale.
Bingo ! Mais à l’intérieur même du PS, l’opposition interne à l’accord avait été virulente, conduite par François Hollande et un troupeau de vieux éléphants (Cazeneuve, Le Foll, Hidalgo, Cambadélis, et surtout Carole Delga, la puissante patronne de la région d’Occitanie). Car si le PS avait, grâce à cet accord, sauvé son groupe parlementaire, des dizaines de députés PS avaient dû céder leur place à un candidat LFI ou aux Verts. Autant de graines de discorde, éparpillées sur tout le territoire, qui allaient finir par pourrir le climat, alors même que tant d’autres militants redécouvraient sur le terrain la joie et la force de l’unité d’action.

L’art du grenouillage dans les congrès, c’est un métier

C’est dans ce contexte tendu que s’ouvre ce week-end le 80 ème Congrès du Parti Socialiste à Marseille, qui pourrait bien être celui de la scission.
Lors du vote des fédérations sur les textes d’orientation qui préparaient ce Congrès, Olivier Faure a certes rassemblé plus de 49 % des voix au premier tour, loin devant les 20% d’Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin et candidate affichée “anti-NUPES”.
Mais au second tour, il n’a devancé que d’une poignée de voix le maire de Rouan, Nicolas Mayer-Rossignol, qui avait rassemblé 30% des voix au premier tour sur une ligne qui se voulait “médiane”, mais auquel le ralliement d’Hélène Geoffroy a donné une tonalité plus “anti Nupes”. Le parti est désormais coupé en deux. De plus, seule la moitié des 40.000 militants encartés au PS ont participé à cette consultation, ce qui n’est pas un très bon signe de démocratie interne.
Mais il y a plus grave. Selon l’enquête de Sarah Brethes et Pauline Graulle, sur le site d’information Médiapart (1), 25 candidats socialistes soutenus par Delga, Le Foll et Cazeneuve se sont secrètement affiliés au PRG (Parti Radical de Gauche) avant les élections, détournant ainsi plus de 900.000.000 euros de financement public des caisses du PS ! La plupart étaient clairement des “dissidents” anti-NUPES, mais au moins deux d’entre eux (Brigitte Vaïsse et Joël Aviragnet) ont néanmoins été élu·es … sous l’étiquette NUPES ! Cette affiliation clandestine au PRG est interprétée comme une manoeuvre scissionniste, l’ancien Premier Ministre Bernard Cazeneuve ayant par ailleurs déjà quitté le PS. Sans compter les autres parfumés qui ont plus discrètement continué à rallier la Macronie et ses promesses de strapontins. Pour des politiciens professionnels, la lutte des places est souvent plus attractive et plus payante que la lutte des classes.

Ces deux blocs sont-ils encore réconciliables ? On pourrait aujourd’hui en douter.
En plein mouvement social historique contre la réforme des retraites, revoilà le PS à nouveau totalement paralysé par ses contradictions internes, et donc incapable d’être un des ferments de la mobilisation.
Or quand on ambitionne de rouler à deux dans le même véhicule, mieux vaut savoir si l’on veut tourner à droite ou à gauche (2). Au risque, sinon, de se prendre à chaque fois un platane marseillais dans le pare-brise.

Claude Semal le 26 janvier 2023

(1) https://www.mediapart.fr/journal/politique/110123/des-socialistes-anti-olivier-faure-ont-offert-un-million-d-euros-au-parti-radical-de-gauche
(2) A une échelle plus réduite, il vient d’arriver la même chose au Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), qui s’est scindé en deux lors de son dernier congrès. Les uns prônaient une alliance privilégiée avec les trotskystes de Lutte Ouvrière, les autres, avec Besancenot et Poutou, une alliance critique avec la France Insoumise et la Nupes. Ce qui paralysait en permanence tout le mouvement.

EDIT DIMANCHE 29 JANVIER : UNE DIRECTION PLUS COLLÉGIALE

Il semblerait que le Congrès du PS soit parvenu à “sauver mes meubles” et à se mettre d’accord sur une redistribution des rôles au sein d’une direction plus collégiale. Oliver Faure est confirmé comme premier secrétaire, mais il est flanqué de deux “premiers secrétaires délégués” : Nicolas Mayer-Rossignol (son principal opposant) et Johanna Rolland (la maire de Nantes, qui le soutenait). Quand à Hélène Geoffroy, elle devient présidente du conseil national (le parlement du parti), tout en restant dans l’opposition. Il reste que les divergences stratégiques qui se sont exacerbées ces derniers mois demeurent, et qu’elles continueront certainement à s’exprimer à l’avenir.

https://www.mediapart.fr/journal/politique/290123/congres-du-ps-des-militants-soulages-d-avoir-sauve-les-meubles

Valls s’était expatrié pour “faire de la politique” à Barcelone. Mais on ne semble pas plus l’aimer là-bas qu’en France, et il est rentré depuis la queue entre les jambes. Ce qui est visiblement devenu un sujet de plaisanterie en Catalogne.

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