DES « SONDAGES » POUR MANIPULER L’OPINION par Gwenaël Breës

Pour ceux qui n’ont pas vu le souci de la médiatisation récente, via une dépêche Belga, d’un “sondage” commandité par la STIB (en réalité une “enquête en ligne” réalisée par une société de conseil) en l’absence de toute information sur sa méthodologie, la représentativité de son panel, ni sur les questions posées…

Il n’y a rien de surprenant ou de choquant à ce qu’une personne ou une organisation cherche à pousser ses idées et ses intérêts.
Le problème n’est pas de relayer une communication, mais de la faire passer pour une information sans la vérifier, la questionner, la contextualiser.
Le problème, c’est qu’aux yeux des agences de presse, la vitesse de transmission d’une dépêche prime sur sa qualité.
Qu’aux yeux des médias, mieux vaut rentabiliser l’abonnement payé aux agences que de payer des journalistes à vérifier et contextualiser leurs dépêches.
Qu’aux yeux du public, il n’est pas forcément facile de distinguer une information ayant fait l’objet d’un traitement journalistique d’une communication ayant atterrit dans les médias sans aucun filtre.
Et qu’au final, ce sont les communicants qui sortent gagnants de cette apathie médiatique, prenant l’habitude d’instrumentaliser la presse et l’opinion, avec des effets concrets sur le réel.
Pourtant, il n’est pas nécessaire de consacrer forcément beaucoup de temps pour effectuer quelques vérifications, analyser une communication et lui mettre un minimum de formes avant de la relayer aux rédactions et aux lecteurs.

En octobre dernier, quand la Fédération des cinémas de Belgique annonçait l’instauration de protocoles communs à “tous les cinémas de Belgique”, il aurait suffi d’un coup de fil ou de quelques clics pour comprendre que cette organisation représente uniquement les grands complexes commerciaux, et que son communiqué faisait partie d’une stratégie de défense du commerce de confiseries en période de restrictions sanitaires.
Mais l’agence Belga n’a pas vérifié, les médias ont suivi comme un seul homme, et les cinémas qui vivent de la projection de films et non de la vente de confiseries se sont retrouvés au pied du mur.

En janvier, ma curiosité avait été titillée par des articles annonçant que l’Association Belge des Contribuables préconisait d’importer en Belgique une mesure appliquée à Singapour : faire payer aux non-vaccinés leurs frais médicaux.
Là encore, une dépêche Belga avait relayé cette prise de position. Je n’avais jamais entendu parler de l’Association Belge des Contribuables. Mais ce nom ronronnant donnait immédiatement l’impression qu’il y avait pléthore d’adhérents derrière son Président et porte-parole, un certain Geoffroy Coomans de Brachène. Alors j’ai voulu en lire les statuts.
Pas de bol : aucune trace au Moniteur belge. Un site internet ? Inexistant. Une page Facebook ? Oui, mais elle affiche que “0 personnes sont abonnées”. Une recherche Google m’a rapidement indiqué que cette ASBL aux statuts introuvables et aux abonnés absents ne semble guère représenter que son Président, par ailleurs conseiller communal et député MR à Bruxelles (une précision que les articles n’ont pas faite, d’ailleurs)…
À l’image de cette photo trouvée sur Pinterest le montrant, seul, lors d’une action symbolique menée par ladite association en 2012 (soyons de bon compte : il fallait bien quelqu’un pour prendre la photo, on peut donc supposer qu’ils étaient au moins deux).

Je ne dis pas que Geoffroy Coomans de Brachène, la STIB, la Fédération des cinémas de Belgique ou qui que ce soit d’autre n’a pas le droit de faire valoir médiatiquement ses opinions ou ses intérêts. Mais se cacher derrière une association bidon, se prévaloir d’un sondage dont on ignore tout sauf le résultat favorable brandi par le commanditaire lui-même, ou prétendre représenter “tous les cinémas de Belgique” quand c’est loin d’être le cas, c’est du marketing de bas étage qui ne devrait pas se retrouver tel quel dans les médias.
Ce ne sont que trois exemples, et le phénomène est tellement entré dans les mœurs qu’il est probable qu’on puisse en dresser un florilège chaque semaine.
Mais dans chacun de ces cas, il aurait suffi de donner au moins une quinzaine de minutes à un journaliste pour effectuer un minimum de vérifications et de contextualisation, ramener l’information à sa juste proportion, et ainsi éviter de réduire le rôle d’une agence de presse ou d’un média à celui de passe-plat.

Gwenaël Breës (sur Facebook et dans l’Asympto)

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