CULTURE : PETITS ARRANGEMENTS AVEC LA GRANDE BOUFFE par Bernard Hennebert

Les petits plats dans les grands… bénéfices ? Je détourne cette expression populaire pour parler de la vente de nourriture et de boissons aux spectacles ou aux expos, qui vient sensiblement compléter les rentrées financières des seuls tickets d’entrée.

Et cela ne date pas d’hier ! Au milieu du vingtième siècle, dans les salles de cinéma, après la projection de courts métrages ou « d’actualités cinématographiques », et avant le « grand film », chaque séance était interrompue pour laisser place à un entracte.
Pendant une bonne dizaine de minutes, les « ouvreuses » et les « ouvreurs », qui avaient accueilli et “placé” les gens, se promenaient du premier au dernier rang avec un panier, en criant « chocolats glacés, pralines glacées » … pour vendre glaces, friandises ou boissons aux spectateurs.
Trois quarts de siècle plus tard, ce « bon filon », s’est depuis élargi à tous les grands événements sportifs, musicaux ou de divertissement. Parfois jusqu’à l’indigestion !

6 ou 13,30 euros pour un burger ?!

Le site belge « 7sur7 » a publié le 25 juin 2024 une enquête de Sven Ponsaerts et Matthias Bertrand : « 13,30 euros le burger ordinaire : pourquoi manger en festival coûte aussi cher ».
Guy Verkindere est le directeur de « Verkindere Catering ». Il est l’un des leaders des « partenaires alimentaires » des grands événements, actif dans ce secteur depuis plus de 65 ans.
À propos des organisateurs, il dénonce : « Ils veulent leur pourcentage sur tout. Et cela ne cesse d’augmenter. Autrefois, nous payions des frais d’emplacement et déterminions nous-mêmes les prix en fonction de nos coûts. Maintenant, c’est l’organisateur qui décide du prix des produits ».
Tout dépend donc de l’organisateur avec qui on doit traiter, et la règle : « plus tu vends, plus tu peux baisser tes prix » n’a plus cours. En situation de monopole dans un espace où le public est souvent captif, l’organisateur fait ce qu’il veut et impose « ses » tarifs.

Verkindere affirme ainsi pouvoir souvent pratiquer une tarification moins élevée lors de petits événements : « Nous sommes présents au Club Bruges, et les supporters ne paient pas 7 euros, mais seulement 5,5 euros pour un paquet de frites avec sauce. Mais là aussi, les prix sont déterminés en concertation avec le club ».
L’un de ses confrères, qui dispose d’une cinquantaine de camions-fritkots, Kris Verboven, directeur de « Senor Snacks », compare les prix de deux festivals : « Un Bicky Burger XL coûte 13,30 euros au Graspop, contre seulement 6 euros au Gladiolen, situé seulement 20 km plus loin. Cela nous fait donc une différence de 7,3 euros pour le même produit. Soit une surtaxe de 120%. Ça n’est pas facile à avaler ».

L’enquête de « 7sur7 » s’achève par le témoignage de Floris Benoit, le porte-parole du « Rijvers Festival » de Zomergem, une activité dont la croissance est fort rapide en Flandre. Pour les frites, hamburgers et autres saucisses, la politique des prix est inversée : « Nous avons été contactés à plusieurs reprises par de grands acteurs, mais nous louons nous-mêmes les installations nécessaires et travaillons avec des bénévoles formés. Ainsi, nous éliminons l’intermédiaire et pouvons offrir des prix plus abordables à nos festivaliers (près de 50.000). Une frite avec sauce coûtera 6 euros avec des bons achetés en prévente, et un hamburger 9 euros ».

Résister au popcorn ?

Dans le secteur du cinéma, de nombreuses salles d’art et essai se développent alors qu’elles ont renoncé aux bénéfices de la vente de pop-corn.
Elles respectent ainsi la partie de leur public qui considère que cet engloutissement sucré en salle pendant les projections constitue, pour les autres spectateurs, un désagrément sonore et olfactif. Et pourtant, le prix d’entrée de ces cinémas reste souvent modeste. Certains m’objecteront que plusieurs de ces établissements sont aidés par des subventions. Mais n’est-ce pas également le cas pour d’autres salles « popcornisées » ?

Pique-nique interdit

À Liège, dans les « conditions de vente » du festival des Ardentes 2024, « les boissons et la nourriture non-vendues sur le site du Festival » sont interdites dans l’enceinte où se déroulent les activités. Les règles sont différentes pour le camping.
Dans la longue liste des « comportements interdits », il est mentionné le fait de « vendre de la nourriture, des boissons sans autorisation officielle de la SA Les Ardentes ». Et bien d’autres activités culturelles agissent de même.
Relevons toutefois, pour l’usager, une conséquence parfois positive d’une telle mainmise des organisateurs sur la vente de nourriture et de boissons. Ces rentrées financières contribuent en effet parfois à rendre l’accès « gratuit » à des festivals musicaux comme le Verdur à Namur ou le Sfinks Festival de Boechout, près d’Anvers.
Cette pratique devrait toutefois absolument responsabiliser davantage les organisateurs, out particulièrement en ce qui concerne l’accès à l’eau.
Il existe d’ailleurs déjà des initiatives de « « fontaines à eau » gratuites dans certains festivals d’été (c’est parfois une des conditions pour être subventionnés). Mais il faut se déplacer plus loin pour y avoir accès.

Au concert de Taylor Swift de Rio

Le 17 novembre 2023, de nombreux fans se sont plaints de l’interdiction d’apporter des bouteilles d’eau, alors que la température ressentie avoisinait les 60 degrés à Rio de Janeiro, lors d’un concert que Taylor Swift donnait au stade Nilton Santos. Le patron de l’entreprise chargée de la production de la partie brésilienne de la tournée mondiale Eras a présenté, dans une vidéo publiée sur Instagram, ses excuses pour les problèmes d’organisation de cette activité marquée par le décès d’une spectatrice de 23 ans en pleine canicule.
Ce PDG de l’entreprise « Time For Fun », Serafim Abreu, a regretté de ne pas avoir « souligné davantage l’autorisation d’entrer avec des verres d’eau jetables ».
Il a ajouté : « Nous reconnaissons que nous aurions pu prendre des mesures supplémentaires, comme l’installation de zones d’ombre à l’extérieur du stade, ou même le changement d’horaire des concerts ».
Le concert du 20 novembre 2023 a effectivement commencé une heure plus tard (20H30 au lieu de 19H30).
Et, de conclure : « Nous savons qu’avec le changement climatique, ces épisodes seront de plus en plus fréquents. Nous sommes conscients que tout notre secteur doit repenser sa façon d’opérer face à cette nouvelle réalité ».
Ces propos ont été rapportés par l’Agence France-Presse et publiés par Le Devoir du 23 novembre 2023.
Le 27 décembre 2023, les résultats du rapport d’autopsie de la personne décédée ont été divulgués par divers médias brésiliens et rapportés en France par l’AFP : sa mort serait due à un épuisement thermique suite à une exposition diffuse à la chaleur, après un choc cardiovasculaire et une hémorragie des poumons.

Pas d’eau sans bouchon

La cafet’ d’un musée : un service au public et une  source de revenus (photo B. Hennebert)

Obliger le public à acheter ses boissons pendant l’activité culturelle elle-même, peut avoir pour l’organisateur des responsabilités qu’il ne doit pas fuir.
Le festival musical d’été « Live is Live », qui se déroule à Anvers, a été le sujet d’un reportage et d’un article de Marine Skinkel diffusés le 26 juin 2024 par RTL info. Il était ainsi titré : « Bernard accuse un festival belge de retirer les bouchons liés malgré les réglementations écologiques. Il contourne la loi pour des raisons purement commerciales ».
Ce témoin a constaté que les serveurs enlèvent les bouchons des bouteilles en plastique, une action contraire aux réglementations en vigueur. En effet, depuis 2019, l’Union européenne exige que les bouteilles en plastique aient des bouchons attachés pour empêche que ceux-ci ne se retrouvent dans la nature.
Mais pourquoi supprimer volontairement ce bouchon ? Selon le plaignant : « Personnellement, je pense que c’est pour vendre plus. Il est injuste qu’un festival qui se dit écologique contourne la loi pour des raisons commerciales ».

Un service de restauration ouvert à tous ?

Il est bien sûr positif que de nombreuses activités culturelles se dotent de cafétéria ou de restaurants (privatisés ou non). C’est un « service » utile au public, et leurs bénéfices peuvent mettre un peu de beurre dans les épinards dans la comptabilité de ces musées, bibliothèques, salles de spectacles, etc.
Par contre, il est indécent que ces lieux dévolus à la boisson et à la nourriture soient parfois réservés à la seule population aisée – notamment dans certains musées.
Il me semble qu’on devrait dans ce cas prévoir aussi un espace pour les autres usagers, avec un service comparable – peut-être moins luxueux, mais avec une tarification plus basse. Cela devrait être une obligation pour tout organisateur subventionné.
Une façon bien concrète de respecter l’article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Bernard Hennebert

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