BAISER par Bruno Ruiz (sur Facebook)

Me voici ici en classe de sixième à l’école Paul-Bert d’Arcachon (le troisième à gauche contre le mur, le seul qui se marre…) Le babyboom ayant engorgé l’accès au lycée, l’Académie avait décidé d’ouvrir des classes de sixième puis de cinquième dans les écoles communales. C’est ainsi que je suis resté à la Communale jusqu’à l’entrée en quatrième. C’était les instituteurs qui assumaient tous les cours. Ils faisaient comme nous ce qu’ils pouvaient, mais c’est sans doute pour cela que beaucoup d’entre nous arrivèrent au lycée en quatrième, sans avoir vraiment le niveau. De très bon élève que j’étais à cette époque, je devins un élève très moyen sans trop comprendre ce qui m’arrivait. J’arrivais, complètement perdu dans un lycée gigantesque, parmi des élèves rompus à cette vie nouvelle depuis deux ans. Les professeurs étaient de vrais professionnels. La chaleur familiale de la Communale s’était mué en un anonymat froid et impersonnel. En tout cas, c’est comme cela que je le percevais. Cela fut pour moi une vraie souffrance.

Dans cette classe de sixième, nous avions une institutrice qui venait de l’école des filles et qui assurait le cours d’Anglais. Elle s’appelait Madame Capot. Cela ne s’invente pas, elle était mariée à un carrossier. Très sévère, l’ignorance de notre jeune âge ne nous permettait pas alors de la comparer à une kapo des camps de concentration. Mais il n’y a pas de hasard. Comme elle était petite, elle portait des talons très haut et surmontait sa tête d’une haute choucroute brune improbable à la Brigitte Bardot en moins fifou. Elle portait également des minijupes qui n’étaient pas sans troubler notre libido balbutiante. Notre blague préférée (et néanmoins pourrie) était évidemment : “Baisse le capot, on voit le moteur !”

A cette époque, j’avais un copain, Christian, (il est juste derrière moi sur la photo), avec lequel je me posais beaucoup de questions. En particulier d’ordre sexuel. Nous regardions tous les soirs le seul feuilleton qui passait à la télé. C’était “Chambre à louer” avec Henri Serre (disparu le mois dernier) et surtout la très belle et très sexy Geneviève Grad qui nous tourneboulait la tête. L’histoire était complètement cul-cul mais dans le dernier épisode, Henri Serre prenait dans ses mains la tête de la belle Geneviève et après l’avoir giflé l’embrassait sur la bouche. Notre seule préoccupation était de savoir si, quand ils s’embrassaient, ils ouvraient ou non la bouche. Et s’ils l’ouvraient, que faisaient-ils alors de leur langue ? Tout cela évidemment ouvrait des perspectives complexes qui ne manquaient pas de perturber notre apprentissage de l’anglais avec Madame Capot, toujours mariée à un carrossier, qui s’asseyait nonchalamment sur son bureau avec ses jambes tellement nues, tellement nues. A défaut de la forme progressive, nous apprenions le présent transgressif, ce qui bousculait quelque peu notre approche de la langue de Shakespeare.

Ce jour-là, pour parfaire nos recherches buccales, Christian m’avait apporté la photo d’un pompier qui pratiquait le bouche-à-bouche. Bien entendu, Madame Capot, femme de carrossier aux jambes tellement nues, tellement nues, ne manqua pas de l’intercepter.
Que faites-vous avec cette photo ?
– C’est mon père. Il est pompier.
– C’est ton père en train de faire du bouche-à-bouche ? sur une page de Paris-Match ? C’est ça que tu es en train de me dire, Christian ?
Cela amusa la classe qui ricana un bon moment. Pas nous. Mais Dieu merci elle n’insista pas.
Nous avions évité la honte d’avoir à nous expliquer en public.
Mais les lèvres et la langue de la belle Geneviève Grad devaient demeurer pour nous et pour quelques années encore une délicieuse énigme…

Bruno Ruiz (sur Facebook)

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