07 avril 2023
Ariège UNE DÉFAITE POUR LA GAUCHE
On revotait le week-end passé en Ariège, le résultat des législatives de juin 2022 ayant été annulé suite à une plainte du Rassemblement National. 130 bulletin du RN avaient en effet été affectés à la mauvaise circonscription (et donc logiquement annulés).
La députée Bénédicte Taurine (LFI-NUPES), qui avait été élue dans cette 1ère circonscription en 2017 (elle faisait partie des glorieux 17 premiers députés de la France Insoumise), avait été réélue en 2022 face à une candidate macroniste (avec 33% au premier tour, et 55% au second).
Elle avait ainsi dû remettre son second mandat en jeu, bien qu’elle ne fût personnellement pour rien dans l’annulation du précédent scrutin.
Derrière elle, en 2022, trois candidats se “tenaient” à 1% : la macroniste, avec 19,96 %, le Rassemblement National, avec 19, 94%, et une socialiste “dissidente”, Martine Frogier, avec 18%.
C’est cette dernière qui s’est cette fois qualifiée pour le second tour, en gagnant 6 points à 24%, même si Bénédicte Taurine est restée largement en tête à 31%. Sans parler des 62% d’abstentionnistes.
Pour l’occasion, Martine Frogier avait reçu le soutien de tous les “anti-NUPES” du PS.
Carole Delga, bien sûr, l’actuelle présidente “PS” d’Occitanie, qui mène la fronde anti-NUPES au sein même du parti, Bernard Cazeneuve, l’ancien premier ministre, qui a quitté le PS en opposition à cette alliance, mais aussi… Nicolas Mayer Rossignol, le “1 bis” du PS, qui, avec 49% en “interne”, avait failli ravir la présidence du parti à Olivier Faure lors du dernier Congrès !
Dans un tel contexte, on comprend que certains électeurs socialistes ont pu hésiter face au choix qui leur était proposé.
Or dans une configuration politique analogue, le député LFI-NUPES de l’autre circonscription ariégeoise, Michel Larive, lui aussi député insoumis en 2017, s’était pris un râteau en 2022 face à un autre “dissident” cazeneuvo-delgadien, Laurent Panifous.
Là aussi, le candidat LFI-NUPES était largement arrivé en tête du premier tour, avec 29% des voix, contre 21,79% au “dissident” socialiste.
Mais là aussi, cela n’avait pas suffit pour l’emporter au final, et il avait été assez sèchement battu au second tour par 43,29% à 56,71%.
C’est ce qui s’est reproduit ici avec Bénédicte Taurine, qui avec 40%, a été battue au second tour par Martine Frogier (60 %).
Ce qui est particulièrement pervers dans ces combats (à moitié) fratricides, d’ailleurs ici plutôt “sororicides“, c’est qu’ils laissent les électeurs de droite et d’extrême-droite devenir “les arbitres” d’un scrutin qui avait en principe été gagné par “la gauche”.
C’est pourquoi, en pareille circonstance, on a souvent pratiqué “le désistement républicain”, le candidat le moins bien placé se désistant “automatiquement” au bénéfice du gagnant du premier tour. C’est ce qui s’était régulièrement produit, si je me souviens bien, entre socialistes et communistes, en 1974 et en 1981, surtout en cas de “triangulaire” face à la droite. Mais cela nécessite un minimum d’accord programmatique et de réciprocité. Rien de tout cela ici. Bénédicte Taurine a donc été battue dans les urnes par une alliance entre la droite, l’extrême-droite et la droite du PS.
On constate ainsi que le courant “hollandais” du PS, qui n’a pourtant aucune alternative politique à la NUPES, si ce n’est un ralliement supplémentaire à la Macronie, a par contre gardé sur le terrain un réel pouvoir de nuisance.
Comment caractériser cette situation ? Un “tweet” de l’ancien premier ministre Raffarin (droite) nous offre peut-être une clé pour comprendre cette séquence politico-médiatique : “Il semble bien qu’un front républicain anti-NUPES est en cours de constitution”.
Arghl ! Voilà un joli détournement de vocabulaire !
Le vocable “front républicain” avait en effet été utilisé en France pour isoler l’extrême-droite (en Belgique, on aurait parlé de “cordon sanitaire”).
Il rappelait le combat commun des Gaullistes et de la gauche contre le nazisme et l’OAS. Il rappelait un attachement commun (même de façade) aux grands principes républicains.
Et il renvoyait l’extrême-droite à une autre histoire, son Histoire, où il n’y a pas de fraternité (mais le racisme institutionnalisé – ce dont témoigne encore aujourd’hui le programme du RN), pas d’égalité (mais un führer et des exécutants) et pas de libertés (mais la loi du plus fort et la batte de base-ball, comme mode d’action comme mode de gouvernement).
Bien entendu, un des combats idéologiques de l’extrême-droite a toujours été de rompre ce lien symbolique pour gagner en respectabilité, afin d’amener la droite “classique” vers ses thématiques propres (sécurité, immigration, préférence nationale). En Italie, elle y a réussi, et cela l’a conduite au pouvoir.
Or Frederic Lordon prévoyait déjà en 2021, dans une interview à “Là-bas si j’y suis” (1), que cette rhétorique du “front républicain” pouvait se renverser, et viser désormais Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise.
Car pour les milliardaires qui possèdent aujourd’hui 90% des médias, disait Lordon, le “danger”, ce n’est pas l’extrême-droite (dont le programme ne touchera pas au grand capital), mais la France Insoumise (dont le programme social est notamment financé par la taxation de ces immenses fortunes françaises). Selon ne classement récent du magazine Forbes, l’homme et la femme les plus riches du monde sont en effet désormais Français (Bernard Arnault, LVMH, et Françoise Bettancourt, Oréal). Merci Macron !
Comme le souligne par ailleurs l’éditorialiste de “Libération”, “même s’ils ne font pas l’unanimité à gauche, les insoumis sont une menace pour le capitalisme, pas pour la devise républicaine liberté-égalité-fraternité” (Jonathan Bouchet-Petersen, “Libé” du 4 avril, p. 3).
Par contre, le même quotidien “Libération” publiait dans son édition du lendemain une enquête effrayante sur le terrorisme d’extrême-droite, d’où il ressort que quelques milliers de cinglés préparent des attentats ciblés contre les arabes, des mosquées, des élus de gauche et des journalistes, en se refilant leurs adresses privées sur un compte crypté Telegram ! (“Libé” du 5 avril, p. 1 à 5).
Mais de cela, Darmanin, l’actuel Ministre de l’Intérieur, ne pipe mot. Ce qui l’intéresse, en couverture du Journal du Dimanche, la gazette du milliardaire Vincent Bolloré, c’est de dénoncer le “terrorisme intellectuel” de la Ligue des Droits Humains, à qui il vient, à demi-mot au Parlement, de menacer de couper les subsides !
N’est-ce pas lui aussi qui, dans un débat télévisé célèbre, trouvait Marine Le Pen “trop molle” par rapport à l’immigration ?
Son nouveau dada, c’est aujourd’hui une fantasmagorique “ultra gauche”, qui serait responsable, par ses “violences”, de tous les actuels débordements sociaux de la France.
Et quand je dis “ultra gauche”, cela devient vite, dans les punchlines du Ministre de l’Intérieur, la France Insoumise et la NUPES !
Or le film “Relaxe”, d’Audrey Ginestet, qui vient de sortir en France, rappelle à point nommé à quelles élucubrations policières cela peut parfois mener.
Arrêtés par 150 policiers cagoulés de la brigade antiterroriste en 2008, les huit membres du prétendu “groupe de Tarnac” avaient alors été poursuivis pour “association de malfaiteurs à visée terroriste”, faisant la “Une” de tous les journaux et de tous les JT, avant d’être totalement relaxés en 2018 au terme d’une longue procédure judiciaire ! (“L’enfer intime de l’affaire Tarnac”, “Libé”, 5 avril, p. 26).
En posant l’équation NUPES = France Insoumise = Ultra Gauche = Violences, Macron et Darmanin pensent avoir trouvé la formule magique pour s’extraire de l’impasse politique et sociale dans laquelle ils se sont eux-mêmes fourrés.
Par ce tour de passe-passe, les manifs intersyndicales pour les retraites, ou les actions de masse contre les méga-bassines, ne sont plus des questions écologiques et sociales qui doivent trouver des réponses politiques, mais des questions de maintien de l’ordre qui doivent recevoir des réponses policières.
Ainsi naît un fantasmagorique et immense champ de bataille où Macron, Darmanin et le gouvernement Borne incarnent le “Parti de l’Ordre” face à des “extrémistes” et des “terroristes” qui rêveraient partout de renverser la démocratie et ses institutions.
Ce processus de criminalisation de l’opposition et du mouvement social, déjà bien rodé face aux Gilets Jaunes (3200 condamnations par la justice, plus de mille peines de prison, 29 éborgnés, 5 mains arrachées) semble désormais la seule porte sortie des Macronistes.
Darmanin, qui songe à succéder à Macron comme candidat à la prochaine présidentielle, rêve ainsi d’incarner ce “parti de l’ordre”, qui pourrait largement rassembler autour de sa personne toutes les droites, des Marinistes du Rassemblement National jusqu’à la droite Macron-compatible du Parti Socialiste (Oui, oui, il y en a encore. N’oublions jamais que Macron fut d’abord Ministre de l’Économie de François Hollande !).
En attendant, après l’élection partielle en Ariège, le Parti Socialiste se retrouve encore une fois au cœur de la tourmente, coupé en deux entre une “gauche” fidèle aux accords de la NUPES, et ceux qui, une fois de plus, une fois de trop, finiront pas rallier les Macronistes – comme l’ont déjà fait avant eux quelques dizaines de cadres “hollandais”.
Par ricochet, cette fragilité touche évidemment aussi la NUPES, puisqu’un de ses principaux maillons, le PS, est profondément divisé autour de cette question stratégique.
D’autant qu’au PCF, qui tient son 39 ème Congrès ce week-end, Fabien Roussel continue lui aussi à prendre la NUPES à rebrousse-poil, et à jouer une étrange partition, parlant de “l’élargir à Cazeneuve” (l’anti-NUPES par excellence), ou jugeant utile de signaler… qu’il ne participerait pas à un gouvernement Darmanin (3) ! C’est gentil de nous le préciser. Comme le dit le dicton populaire, avec des “amis” comme ça, on n’a plus besoin d’ennemis (4) !
Terminons toutefois ce bilan catastrophe par une bonne nouvelle.
Contrairement à ce que tous les médias radotent en boucle du matin au soir, ce n’est pas le Rassemblement National qui a “profité” à cette “partielle” de l’actuelle crise politique et sociale. En Ariège, son candidat a été é-li-mi-né !
Si les abstentionnistes gonflent, si des candidats “dissidents” tirent ici et là leur épingle du jeu, les électeurs ne se jettent pas pour autant en masse dans les bras du Rassemblement National.
Rien n’est donc joué, rien n’est perdu, tout reste possible. Et on continue à sentir, dans les puissants mouvements sociaux qui mobilisent la jeunesse et le monde du travail, une formidable envie de justice et de changement.
Il nous reste donc, comme toujours, à continuer à vivre, agir et militer au présent, pour laisser au moins entr’ouvertes les portes de l’avenir (5).
Claude Semal le 7 avril 2023
(1)
(2) https://wedodata.fr/productions/mediapart-allo-place-beauvau
(3) https://www.lavoixdunord.fr/1313180/article/2023-04-07/fabien-roussel-sa-main-tendue-bernard-cazeneuve-ses-declarations-sur-la-nupes-et
(4) FABIEN ROUSSEL, LABEL ROUGE ?
(5) Je remercie feu le Vicomte de Champignac, qui semble m’avoir inspiré cette dernière phrase.
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