
26 février 2025
APRÈS LA BATAILLE par Bernard Hennebert
Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez sur le lien :
Lorsqu’un usager voit une plainte « reconnue » par une institution culturelle, il a intérêt à aller contrôler sur place si cette dernière a effectivement modifié ses pratiques.
Ainsi, le 7 janvier 2025, je suis parti vérifier si le Musée Royal de l’Armée de Bruxelles (MRA) avait bien concrétisé l’annonce faite par la Ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) à la députée fédérale Sarah Schlitz (ECOLO) au début du mois de novembre 2024 : la possibilité pour les visiteurs de payer leurs entrée en cash dès la fin décembre 2024, ce qui n’était plus possible dans cette institution depuis le début du mois de janvier 2016. Pour atteindre cet objectif, le combat de l’asbl « La Ligue des Usagers Culturels » a donc duré près de neuf ans. (1)
Ce 7 janvier 2025, j’ai effectivement pu vérifier qu’il était possible de payer en liquide. Mais comment savourer cette victoire lorsque j’ai découvert sur place un autre problème de taille? D’où une prise de photos avec un journal du jour : le quotidien « Libération » annonçant un dossier spécial pour les dix ans du massacre à Charlie Hebdo.
Je pose devant le grand écran à l’accueil indiquant en trois langues : « Paiement uniquement par carte bancaire ».
J’apprendrai plus tard que le cash a été mis en place le 20 décembre 2024. Voilà donc plus de deux semaines que toutes les indications à l’accueil du musée indiquent le contraire !
Je vais donc déposer plainte par écrit le 9 janvier 2025 sur ce nouveau sujet, ce qui permettra au Musée de découvrir son manquement.
La plainte envoyée le 09/01/2025
« Vous venez de mettre en place la possibilité technique de recevoir des paiements en liquide. Je l’ai constaté lors de ma visite, ce 7 janvier 2025. Je vous en remercie chaleureusement. Cependant je suis obligé de déposer par la présente une nouvelle plainte à vos services. Elle concerne un défaut d’information flagrant à l’égard de vos visiteurs, et de quatre façons complémentaires.
1 : Le 7 janvier 2025, j’ai constaté qu’alors que le paiement en liquide est désormais également admis, que le grand panneau lumineux de la tarification qui se trouve dans le hall d’accueil indique en trois langues : « Paiement uniquement par carte bancaire ».
2 : Il existe une autre indication d’interdiction de paiement en cash : le petit panneau d’interdiction qui trône sur votre comptoir à l’entrée. En moins de 30 secondes, vous auriez pu l’enlever et le ranger. Par exemple, dans l’armoire située juste derrière ce comptoir où, ce 7 janvier 2025, vous avez trouvé la place pour ranger une couronne de la fête des rois qui s’est déroulée la veille de ma visite.
3 : Dans votre dépliant promotionnel valable jusque fin 2024, il était indiqué : « Paiement uniquement par carte bancaire ou carte de crédit ». Sur votre comptoir, j’ai découvert le dépliant qui lui a succédé. Cette phrase a bien été supprimée. Mais elle n’a pas été remplacée par un autre texte qui détaille la situation actuelle. C’est le silence désormais sur ce sujet. Vous changez une habitude qui a perduré pendant huit ans. N’est-ce pas un droit minimum pour votre public d’en être averti ? Manque donc sur votre nouveau dépliant la phrase « Paiement en liquide, par carte bancaire ou carte de crédit » (2).
4 : Sur votre site internet, cette nouvelle information manque également. Vous vous contentez d’un : « Paiement – À l’accueil du musée ». Sans indiquer de quelles manières on peut désormais le faire.
Voici deux questions. Pourriez-vous m’indiquer donc :
1 : À quelle(s) date(s) précise(s), allez-vous rectifier (le plus rapidement possible) chacun de ces éléments faux ou manquants?
2 : Que comptez-vous mettre en place pour éviter à l’avenir ce manque d’information de vos usagers, qui m’apparait être structurel?
Que pensez-vous enfin de cette proposition concernant les autres musées fédéraux (dont vous ne faites pas partie, mais cette proposition pourrait vous inspirer, si vous êtes de bonne volonté) ?
Durant la dernière campagne électorale de 2024 au niveau fédéral, les six partis francophones démocratiques contactés par la L.U.C. l’ont accueillie favorablement ?
Voici cette proposition :
« (Au sein de chaque musée), opter pour la création de la fonction d’une personne-ressource dont le travail consistera à défendre en interne les droits des usagers de façon transversale, dans tous les départements, y compris auprès de la direction.
Si l’intérêt pour le public est évidemment dans toutes les pensées des membres du personnel de ces institutions, la surcharge du travail, la priorité prise désormais presque partout par le besoin de faire de la communication ainsi que la recherche, effrénée bien souvent, d’une rentabilité immédiate ne permettent plus vraiment de concrétiser, jour après jour, cet intérêt. Il convient donc de retrouver au sein des diverses institutions le moyen de rendre incontournable cette préoccupation ».(3)
La réponse du Musée de l’Armée
L’institution reconnaît son l’erreur et explique comment elle va y remédier dans sa réponse datée du 6 février 2025. Qu’elle en soit remerciée. Par contre, elle fait l’impasse sur la deuxième question de cette plainte. C’est dommage.
« Après consultation des différents services, je peux vous apporter les éléments de réponses suivants. Sur le fond du dossier, la mise en place du cash a suscité quelques aménagements qui n’ont pas été tous finalisés en décembre, le cash ayant été mis en place le 20 décembre 2024. L’essentiel étant la mise en place effective d’une caisse avec des procédures comptables et de mise en sécurité du personnel et des fonds, nous avons malheureusement négligé, à ce stade d’ôter les panneaux litigieux. Retirer la mention « pas de cash » aurait dû être simultané à la mise en service de cette offre.
Les mentions ont été retirées début janvier par l’équipe d’accueil (qui en a pris conscience après votre passage) et, comme mentionné par la personne qui vous a reçu, nos graphistes étaient déjà en train de travailler sur des nouveaux visuels pour remplacer les anciens (l’impression de nouveaux stickers ne pouvant se faire que par marché public, ceci explique le délai de remplacement).
Le fait de ne pas communiquer sur nos sites internet relève de l’importance que nous accordons à la sécurité de nos collaborateurs exposés, en plein milieu du Parc, à des risques de braquages et à ne pas attirer l’attention sur le fait que de l’argent liquide se trouve conservé à l’accueil.
Il faut en effet savoir que le Parc du Cinquantenaire connait actuellement une flambée des actes de petites criminalités avec notamment des extorsions d’argent pratiquées à l’encontre de passants. Actions qui ont obligé la police à multiplier ses interventions les dernières semaines ».
Mes commentaires
Malgré cette réponse négative à ma demande d’indiquer clairement la possibilité de payer en cash sur le site internet du musée, la phrase « Paiement en cash ou par carte bancaire » a finalement été ajoutée à sa tarification (4). Il faut noter que le MRA a répondu dans le délai de moins d’un mois, et sans qu’il ait reçu un rappel.
Lors de ma visite du 7 janvier 2025, j’ai pris une photo de la caisse enregistreuse mais, pour éviter que les éventuels voleurs ne découvrent où elle est placée en lisant le présent article, je me garderai bien de la publier.
Enfin, il existe parfois plusieurs raisons qui expliquent la position d’une organisation culturelle, mais il se peut que le public n’en soit informé que d’une seule.
Ainsi, oserais-je émettre ici une hypothèse complémentaire aux risques de braquages invoqués par l’institution militaire ? N’oublions pas que le cash nécessite davantage de travail pour le personnel : veiller tous les jours à disposer d’assez de monnaie pour faire le change (en 2025, la tarification étant de 12 ou 9 euros), devoir faire un bilan spécifique de cette caisse en fin de service, rapatrier l’argent reçu vers un coffre, etc.
Alors, finalement, c’est ouvert ou fermé ?
Au niveau fédéral, ce n’est pas la première fois que le public est ainsi mal informé.
D’où l’utilité pour les visiteurs d’observer attentivement si ses droits sont ou non respectés. Et de réagir pour mettre rapidement fin à de pareilles négligences.
Voici un autre exemple particulièrement significatif.
Depuis une vingtaine d’années, à Ixelles, le Musée Antoine Wiertz et le Musée Constantin Meunier, qui dépendent tous deux des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (avec le Musée d’Art Ancien, le Musée Magritte, etc.) sont inaccessibles à la population active car fermés chaque week-end et tous les jours de congés légaux. Et lorsqu’ils sont ouverts du mardi au vendredi, de 10H à 17H… ils sont clos pendant le temps de midi !
Chacun peut encore actuellement signer une pétition qui a été initiée sur ce sujet pointu en octobre 2016, et qui a recueilli jusqu’à présent plus de trois mille signatures (5).
En 2019, un bus touristique passe deux fois, chaque dimanche, devant le Musée Meunier à Ixelles, pour montrer à ses passagers qu’il est fermé tous les week-ends.
C’est le TURPITOUR, le « Tour des turpitudes bruxelloises », animé par le comédien Jean-Michel Briou. Son objectif est de montrer ce qui ne va pas dans la capitale européenne, et le Musée Meunier en est un des exemples sélectionnés.
Le 8 avril 2023, une petite indiscrétion publiée par Julie Huon dans Le Soir (aucun autre média ne relaiera cette information) annonce, en moins de cinq lignes, que ces deux musées vont ouvrir leurs portes les samedis et dimanches de 11 à 13H et de 13H45 à 18H. Mesure temporaire ou définitive ? Jusqu’à quand ? Il est impossible de le savoir.
Ce dimanche 9 avril 2023, jour de Pâques, je rends visite aux deux institutions pour m’assurer que l’information du Soir est exacte. C’est bien le cas.
Mais au Musée Meunier, à l’extérieur de cette maison où habitait et travaillait le sculpteur, notre « Rodin » belge, aucune modification n’a été faite à la plaque qui indique toujours que le musée est fermé chaque week-end aux visites individuelles. La porte d’entrée n’est même pas entrouverte.
La situation est pire encore, ce dimanche-là, au Musée Wiertz, institution dont une photo illustra la couverture d’un dossier spécial de la revue « Géo » consacré aux musées en Europe. Elle le considérait comme étant particulièrement « kitch ».
Sur la partie gauche de la grille à l’entrée, il y a une plaque qui détaille les anciens horaires devenus caducs, et sur la partie droite, un panneau d’affichage qui aurait pu accueillir les nouveaux horaires. Mais rien. Même pas une simple feuille où la bonne nouvelle aurait pu être écrite à la main, puisque l’institution semble manquer tellement de moyens.
À deux groupes de passants, j’ai signalé que le musée était bien ouvert. Ils n’ont pas voulu me croire et puis, finalement, après hésitation, ils furent ravis d’y entrer.
Il m’a fallu adresser plusieurs plaintes aux Musées Royaux (qui n’ont pas répondu), au Médiateur Fédéral, à la direction de BELSPO et au cabinet du ministre Dermine en charge des musées fédéraux… pour que, plusieurs semaines plus tard, des avis soient enfin placés aux entrées pour indiquer que le Wiertz et le Meunier étaient ouverts chaque week-end!
La raison majeure invoquée pour « justifier » cette fermeture le week-end est que, ces jours-là, le personnel coûte davantage. On a donc préféré laisser croire pendant deux mois, aux entrées de ces institutions, qu’elles étaient fermées les samedis et les dimanches !
À partir de juillet 2023, le Meunier et le Wiertz, sans aucune explication, ont d’ailleurs repris leur mauvaise habitude d’être fermés aux visiteurs individuels le week-end. Des visites guidées pour les groupes sont par contre autorisées, mais il faut réserver et c’est cher.
Bernard Hennebert
(1) : Voici l’historique de ce long combat : https://www.asymptomatique.be/larmee-liquide-le-liquide-par-bernard-hennebert/
(2) Chat échaudé craint l’eau froide! Ce point 3 a été inspiré par la mésaventure suivante :
En décembre 2018, après travaux, le Musée de l’Afrique Centrale (dit musée de Tervueren) réouvre sous l’appellation « Africa Museum ». La presse couvre de façon conséquente cet événement et ne mentionne pas que cette institution a, dans sa nouvelle tarification, discrètement mis fin à sa gratuité du premier mercredi du mois qui existait depuis plus de vingt ans. Lors de sa réouverture, dans ses tarifications, ce musée a simplement supprimé l’indication de la gratuité.
Ce n’est pas clair, ni suffisant pour un public fidèle. L’institution aurait dû y signaler de façon explicite, par une phrase, la fin de cet avantage. Résultat : plusieurs plaintes parvenues à la L.U.C. Des visiteurs surtout bruxellois se sont sentis piégés.
Pour ceux qui ne connaissent pas ce musée, il faut savoir qu’il est situé loin du centre de la capitale, à Tervueren. Pour certains, c’est une véritable expédition (notamment en tram). S’étant rendu sur place, certains usagers qui venaient ce jour-là à cause de la gratuité mensuelle pour tous, se sont résolus à payer leur ticket, ayant l’impression que, faute d’une communication simplement honnête et détaillée, on leur forçait un peu la main. On constate ainsi que le public est mieux averti par les médias de la mise en place d’une nouvelle gratuité… que de son abandon. Or, les deux informations lui sont utiles. Est-il normal que les services de presse des institutions culturelles semblent cacher aux médias des évolutions tarifaires qui pourraient ne pas plaire à leurs visiteurs ? Confondent-ils information à destination des journalistes et communication ?
(3) Plus de détails sur ces réponses : https://la-luc.blogspot.com/search?q=livre+d’or
(4) https://klm-mra.be/fr/planifier-votre-visite/tarifs
(5) Texte de la pétition : https://www.change.org/p/michel-draguet-stop-à-l-asphyxie-de-musées-constantin-meunier-et-antoine-wiertz?fbclid=IwAR3K-S3_CjrYig826XFwNGv8iIJDc5W59qYKzZ35kdVnji8e9qSpbrcAzMA
Pas de commentaires