15 novembre 2021
Jazz-by-night LE “SOUNDS” ROUVRE SES ÉCOUTILLES
Depuis la fermeture du “Travers” de Jules, ce mythique club de jazz au comptoir duquel j’ai usé quelques paires de coudes, c’est le “Sounds”, rue de la Tulipe à Ixelles, qui s’était peu-à-peu affirmé comme le premier bar-à-jazz-vivant bruxellois.
Pour la petite histoire, c’est dans cette même rue, au numéro 14, que j’avais travaillé trois mois, en 1974, à la cuisine du café-librairie du journal POUR, héritage d’un militant portugais de la LUAR, “Gaston”, qui avait fui les geôles de Salazar et l’action directe pour se spécialiser dans la sauce bolo ixelloise. Si je me souviens bien, le “Sounds”, à l’époque, n’était encore qu’un discret garage, ou alors un obscur entrepôt.
Ce n’est que dix ans plus tard qu’il allait devenir le “SOUNDS”, un haut lieu musical bruxellois, voué au rock puis au jazz, à l’instigation de ses deux fondateurs “historiques”, “Sergio et Rosy”.
Le pianiste de jazz Joachim Caffonnette en reprend aujourd’hui le gouvernail, avec deux complices, plus un “proprio” éthique et un collectif d’artistes.
Claude : Tu rouvres le “Sounds” la semaine prochaine. Ouvrir un Club de Jazz, pour un musicien, cela reste une grande aventure, mais c’est aussi une aventure risquée et une belle prise-de-tête. Qu’est-ce qui t’en a donné l’envie ou le besoin ?
Joachim: J’ai beaucoup joué sur la scène du “Sounds” depuis mes seize, dix-sept ans. J’ai aussi un vrai attachement au concept de “club de jazz”, où l’on peut tous les jours entendre de la musique vivante, où le jazz peut continuer à se réinventer, à présenter et expérimenter de nouveaux projets, à provoquer des rencontres entre le public et les musiciens.
Sergio, l’ancien patron, faisait confiance aux groupes. Tu venais jouer quelques fois à la “jam” (1), et si ça lui plaisait, il finissait souvent par te mettre à l’affiche d’un “vrai” concert. Il y a peu de salles en Europe qui gardent cet esprit et cette ouverture de programmation. Et puis moi, dans un coin de ma tête, cela fait longtemps aussi que je rêvais d’ouvrir un club de jazz…
En tant que musicien, c’est vraiment l’endroit où je préfère jouer : dans les petits clubs, avec l’irremplaçable proximité du public. Au “Sounds”, il y a une bonne centaine de places.
Quand j’ai vu que le “Sounds” allait disparaître, parce que le bâtiment était à vendre, cela m’a vraiment fait flipper. Car si cet endroit disparaissait, cela allait vraiment manquer !
Un peu par hasard, je me suis retrouvé en contact avec le propriétaire – en fait, c’est lui qui m’a appelé. Et je lui ai proposé de monter un projet pour continuer à faire vivre le lieu. C’est une histoire assez complexe, mais finalement assez jolie.
Quand la salle a été mise en vente, il y a eu pas mal de spéculation sur le lieu, qui est très bien situé, à cinquante mètres de la place Fernand Coq et à deux pas de la Porte de Namur.
Or un collectif s’est créé dans le quartier, avec quand même certains moyens financiers, “Buen Vivir”, qui s’est donné pour objectif de maintenir les petits lieux culturels en activité, en rachetant les murs, et en les relouant à un “prix d’ami”, pour permettre la poursuite de leur activité. C’est hyper important pour eux : résister ainsi à la “gentrification” du quartier.
Avec “Buen Vivir”, on a fait pas mal de travaux au “Sounds”, pour le remettre techniquement “aux normes”, mais on l’a gardé dans son “jus” de vieux café bruxellois.
Par ailleurs, j’ai essayé de faire un truc assez “communautaire” dans la gestion du lieu.
Il y a d’abord mes deux associés “directs”, Fanny De Marco, qui a notamment travaillé chez Igloo et au Marni, et qui est rentrée dans le projet comme chargée de production, et un ami français avec qui je partageais depuis longtemps ce “rêve de club”, Emmanuel André, qui vient de Franche Comté, et qui a pris en charge la communication et toute la gestion internet et la billetterie de la salle.
Pour la programmation, je me suis entouré de sept musiciens, de toutes les générations, et qui changeront tous les trois mois, afin d’essayer de garantir une vraie diversité de programmation et une ouverture à tous les nouveaux projets. Mais là, pour les premières semaines, on a déjà reçu plus de 180 propositions ! Ca me permet aussi de ne pas me fier qu’à mes goûts et à ma sensibilité, je trouve ça important.
Claude : Où peut-on par ailleurs encore écouter aujourd’hui du jazz à Bruxelles ?
Joaquim : Il y a la “Jazz Station à St-Josse, mais les gens viennent plutôt y écouter les concerts comme dans un centre culturel, c’est moins une ambiance “club”. C’est un super endroit qui fait un travail important et de qualité, mais il n’y a pas le côté convivial du “Sounds”, qui est aussi un café, un vieux café, quoi.
Il y a aussi le “Music Village”, dans le centre, qui programme des concerts six soirs par semaine, mais là c’est plutôt orienté “touristes”, ils demandent d’ailleurs contractuellement que les musiciens jouent des “standards”, de la musique “accessible”. Le côté “création” ou “découverte” n’y a pas vraiment sa place.
Claude: Tu as l’Archiduc, aussi, cette très belle salle en Rotonde autour d’un piano à queue…
Joaquim : Oui, il y a une très chouette ambiance, tu peux y jouer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, tu as des vedettes de passages qui peuvent se mettre au piano à une heures du matin, mais l’entrée est gratuite, et il n’y a pratiquement pas un balle pour les musiciens. C’est plutôt un “club de nuit”, un “after” pour noctambules.
Le projet du “Sounds”, d’ici un an, c’est quand même aussi de pouvoir proposer un cachet fixe de 200 euros à chaque musicos. Pour le moment, les groupes seront payés avec la caisse des entrées.
Claude: Je suppose que vous n’avez pas vraiment le choix, et que le Covid Safe Ticket sera chez vous d’application ? Avec le “Covid Safe Ticket”, ce n’est évidemment pas le moment idéal pour ouvrir une salle de concert, même si on sent aussi un vrai besoin de “sortir des écrans” et du confinement WC / cuisine / salle-à-manger.
Je viens de lire une interview du Magic Land Théâtre dans “La Libre”, où ils confessaient que pour la première fois de leur histoire, ils font des demi-salles avec un spectacle qui leur semble pourtant une “vraie” réussite. Tout le secteur culturel continue à vraiment souffrir côté billeterie, avec souvent des baisses de fréquentation de 50%.
Joachim : L’économie générale du “Sounds” n’est possible qu’avec une jauge complète, même si on réfléchit à des soirées spéciales “moins de cinquante personnes”, qui répondraient à d’autres normes sanitaires. Mais pour le moment, on n’a pas vraiment le choix, car c’est le bar qui paye tous nos autres frais.
Claude : Longue vie donc au “Sounds” ! Je reprendrai ci-dessous la programmation complète de ces prochaines semaines…
Joachim : Pour le moment cela semble bien parti, puisque la soirée d’ouverture est déjà complète. Mais le grand pari, ce sera évidemment de faire vivre le lieu sur la durée !
Propos recueillis par Claude Semal le 12 novembre 2021
(1) Dans le monde du jazz, la “jam” est une incontournable et vivante cérémonie. Tous les musiciens de passage sont les bienvenus dans ces concerts improvisés où, autour de quelques “standards” communs, chacun vient, à tour de rôle, mêler son “son” et son phrasé à celui de ses comparses d’un soir. Musique de solistes créatifs et coopératifs, le jazz est la plus audacieuse et la plus partageuse des musiques.Dans un tout autre genre, j’aime aussi beaucoup le folk, qui partage souvent la même énergie collective et festive, les solos algébriques en moins (C.S.).
UN PROGRAMME D’OUVERTURE D’ENFER !
J 8/11 soirée de réouverture avec “All Star” – V 19/11 Sinistre Soeur – S 20/11 Quatuor Tutu Puoane – Me 24/11 The Sounds Good Session avec Igor Gehenot – J 25/11 Bert Joris Quatuor – V 26/11 Lories / Postma / Thys – S 27 / 11 Philippe Catherine Quatuor
Salut à tous!
Après des mois de travail intensif, un projet de financement participatif qui a dépassé les attentes et pas mal d’obstacles surmontés, nous rouvrons ce club mythique grâce à beaucoup de bonne volonté et au soutien de “Buen Vivir” !
Nous sommes très heureux que nos efforts aient été couronnés de succès et nous sommes vraiment impatients de vous accueillir au “Sounds” !
Chaque mois, nous allons vous donner un aperçu du programme des concerts à venir. Ils ont été choisis pour vous par un comité de sept musiciens, dont la composition changera tous les trimestres.
Nous couvrons la période de réouverture du club avec une série de concerts mettant en vedette de nombreux musiciens légendaires qui ont joué au “Sounds” au fil des ans, une manière de remercier Rosy et Sergio et de célébrer la musique qu’ils nous ont offerte au cours des 35 années pendant lesquelles ils ont dirigé le club.
On démarre donc la fête dès la soirée d’ouverture avec un ensemble All Star qui transcende les générations et fait appel aux meilleurs musiciens bruxellois, des deux communautés linguistiques, habitués du “Sounds“, et qui nous régaleront d’une méga-jam session !
Nous débuterons ensuite notre programme de concerts « classiques » avec un groupe rendant hommage à Zappa et Bartók (si cela ne pique pas votre curiosité, qu’est-ce qui le fera ?), avec Michel Hatzigeorgiou à la basse, suivi le lendemain par le quatuor du chanteur sud-africain Tutu Puoane, composé de musiciens d’exception.
La semaine suivante, c’est le retour des jam sessions mythiques, rebaptisées Sounds Good Sessions (tous les mercredis de 21h jusqu’au dernier musicien debout, entrée libre).
Ce trimestre ce seront Igor Gehenot, Wajdi Riahi, Eve Beuvens et notre directeur artistique, Joachim Caffonnette, qui se relayeront en maîtres et maîtresses de cérémonie lors de ces messes nocturnes irrévérencieuses !
Trois des plus importants musiciens de jazz belge enchaîneront ensuite sur la scène du Sounds récemment reconstruite : Bert Joris, dont le son de trompette est le plus beau du Royaume et habitué du club depuis ses débuts, Nathalie Loriers, un pianiste de jazz renommé dans toute l’Europe, et enfin la légende de la guitare Philip Catherine, mondialement connue pour son phrasé et son “son” uniques ! Pas moins que ça !
Le nouveau groupe house “Sounds Swing Machine” fera ses débuts le 2 décembre lors de ce qui devrait être une soirée excitante pour les danseurs pour baptiser l’espace devant la nouvelle scène !
Puis changement radical de style le soir suivant avec le groupe « The Workshop », mettant en vedette une autre légende du “Sounds”, Bo Van Der Werf, en tant qu’invité spécial. La troisième semaine s’achèvera par une belle remise des clés : le concert d’adieu du Bravo Big Band. En souvenir d’un club dont l’existence fut aussi mythique que brève, ce sera le premier des trois big bands à jouer sur notre scène en l’espace de moins d’un mois !!! Un événement marquant !
Le prochain big band sera composé d’étudiants de l’Académie de musique néerlandophone de Bruxelles (KCB) sous la direction du saxophoniste américain John Ruocco, l’occasion de découvrir les talents de demain pour un prix d’entrée minime.
Le virtuose de la basse Félix Zurstrassen invitera ensuite le génie brésilien de la guitare Nelson Veras et le pianiste prodige britannique Kit Downes à le rejoindre sur scène avec notre percussionniste star nationale Antoine Pierre.
Il y aura aussi le retour des mythiques soirées “rhythm and blues” à “Sounds”, organisées depuis 2001 par le Brussels Rhythm and Blues Club, avec Bill Roseman du New Jersey et le nouveau houseband BRBC Zinneke Roadrunners !
Ensuite, nous avons deux projets vocaux : David Lynx, en duo avec Michel Hatzigeorgiou, suivi de la talentueuse chanteuse française Julie Erikssen, qui sera accompagnée d’un quatuor à haute tension. Et pour terminer cette saison de réouverture, nous fêterons le retour du Brussels Jazz Orchestra rue de la Tulipe ! Ce groupe est devenu mondialement connu depuis qu’il a fait ses débuts sur la scène de “Sounds” en 1992.
Le retour du fils prodigue, mieux qu’un come-back des Rolling Stones, un feu d’artifice, appelez ça comme vous voudrez – ce sera une soirée à ne pas manquer pour quelque raison que ce soit !!
« Vous avez bu trop de champagne ou souhaitez-vous en rajouter ? ». Pour entrer dans les fêtes de fin d’année, nous présenterons deux guitaristes, d’abord Fabrizio Graceffa, puis Julien Tassin.
Et pour la célèbre fête du réveillon du Nouvel An Sounds, nous aurons un groupe de salsa festif pour secouer nos bottines, pour oublier cette période bizarre de silence culturel et dire au revoir à 2021 !
Au plaisir de vous retrouver, de passer un bon moment, de partager des émotions musicales, de boire un verre ou deux de bière ou de vin ! C’est le début d’une aventure qui s’annonce longue et heureuse…
Joachim, Fanny et Manu.
PETIT HISTORIQUE : OFFRIR LE MEILLEUR DU JAZZ DEPUIS 1986…
Lorsque Sergio Duvaloni et Rosy Merlini sont arrivés à Bruxelles à l’été 1985, ils n’avaient prévu de rester que quelques mois. Mais une conversation fortuite avec un chauffeur de taxi a alerté Sergio sur le fait qu’un commerce était à vendre au 28 rue de la Tulipe. Il est tombé amoureux de l’endroit et a décidé de l’acheter pour l’anniversaire de sa femme Rosy. Ce qui a commencé comme un café rock et rhythm and blues s’est rapidement transformé en un club de jazz, suivant les conseils de la légende du jazz club bruxellois Pol Lenders, dont le propre Biérodrome était à un jet de pierre au coin de la rue.
Depuis lors, “Sounds” a non seulement accueilli le meilleur de la scène jazz moderne belge, dont Philip Catherine, Aka Moon et Steve Houben, mais a également servi de tremplin à de nombreux musiciens de jazz qui allaient devenir des piliers du jazz belge au fil des ans : Eric Legnini, le Brussels Jazz Orchestra, Octurn, Nathalie Loriers, Melanie De Biaso, Daniel Romeo, Jef Neve, Greg Houben, Pascal Mohy, Jean-Paul Estievenart, Antoine Pierre, Igor Gehenot et Margaux Vranken, pour ne citer qu’eux … La réputation du club s’est étendue dans le monde entier et depuis les années 1990, il a accueilli des artistes de renommée internationale comme Charlie Mariano, Joe LaBarbera, John Abercrombie, Paolo Fresu, Mark Turner, John Scofield, Rosario Giuliani, Jonathan Kreisberg et Jacky Terrasson.
Le “Sounds” a surmonté toutes les crises au fur et à mesure, organisant ses fameuses jam sessions et offrant la possibilité aux groupes de jouer régulièrement, et de développer ainsi leur répertoire, sous l’œil perçant de son patron légendaire.
APRÈS 34 ANS À LA BARRE, ROSY ET SERGIO VENDENT L’IMMEUBLE
Une association à but non lucratif, Buen Vivir, a acquis le 28 rue de la Tulipe, en vue de l’utiliser pour ses activités de résistance et de résilience en faveur des droits humains. Mais les nouveaux propriétaires voulaient aussi assurer la continuité des activités jazz de “Sounds” et ont alors contacté le pianiste Joachim Caffonnette, pilier des activités musicales à but non lucratif à Bruxelles et lui-même musicien qui avait fait ses premiers pas musicaux sur les planches du “Sounds”. Joachim a constitué une équipe de professionnels du secteur de la musique et de la culture et a créé avec Emmanuel André et Fanny De Marco l’asbl “Sounds Live”.
“Sounds Live” a mis son énergie et son dévouement dans le projet de faire revivre le club, a redécoré la belle salle du début du 20e siècle, a rafraîchi la carte des plats et des boissons, a jeté les bases d’un avenir durable et a lancé un projet de financement participatif, dont l’énorme succès témoigne de l’enthousiasme des amateurs de musique live, et proposera un grand concert de réouverture le 18 novembre 2021, lançant ainsi le deuxième chapitre de l’histoire de ce club estimé…
Camille Matthys
Publié à 10:06h, 14 novembreçà c’est vraiment chouette, bonne route !!
Nico Warsztacki
Publié à 19:14h, 13 novembrePour l’anecdote, avant 1981 le lieu était un atelier (de couture ?) ensuite un restaurant “La Fancy Fair” pendant 2/3 années