DEBOUT LES FEMMES ! par François Ruffin

Notre film « Debout les femmes ! » est sorti hier et, avec Gilles Perret, on pense qu’on a fabriqué, pas seulement un beau film, mais aussi un bel outil, utile. Et un outil, bon, soit on le laisse en plan, sur l’établi, soit des mains s’en saisissent, s’en servent. C’est vous, maintenant, les mains.

Mais à six mois de la présidentielle, dans le temps politique que nous vivons, à quoi peut bien servir un film comme ça ?

1 – Le carburant de la joie

On vit des temps pourris, un peu sinistres. Le Covid a installé une dépression dans les cœurs, un resserrement de notre horizon, de nos libertés, pass-sanitaire et compagnie, plus la droite qui a le vent en poupe. Et l’on croirait que la gauche, qui se divise, qui se rétracte, veut ajouter du sinistre au sinistre, cataloguer les malheurs du monde, se lamenter sur l’avenir qui sera pire encore, dresser la liste de toutes nos défaites (les services publics, l’hôpital, les retraites, etc.). Voilà le climat.

Eh bien, notre film, c’est un antidote à l’époque. Je l’ai vu dans toutes les salles, je l’ai vérifié d’une avant-première à la suivante : il remet de la joie, de l’envie. Il réchauffe les cœurs militants. Il porte des émotions (le rire, la tristesse, la révolte, la tendresse…) et je les revendique, ces émotions : dans émotion, il y a « motion », c’est-à-dire mouvement : c’est par les émotions que l’on meut, que l’on met en mouvement. Il ramène à l’essentiel, à ne jamais oublier : voilà pour quelles vies, pour quels visages, on se bat.

Dans notre camp, il ne peut pas y avoir de victoire sans ça, avant : sans que le pays soit traversé d’une espérance, secoué d’un enthousiasme, chez les plus ardents d’abord, mais qui comme un séisme se répand ensuite, par cercles concentriques, qui gagne en ampleur, en profondeur. Vous êtes, vous devez être, les porteurs de ce séisme.

Nos 84 minutes sont là pour ça, pour vous charger de carburant : de colère et d’espoir.

2 – Desserrer l’étau

L’autre effet, souhaité, de notre « outil », c’est de desserrer l’étau Macron-Zemmour. Le premier a, en partie, produit le second. Il existe, entre les deux, une alliance objective. Quelle est-elle ? Evacuer les questions sociales, économiques, écologiques – qui réclameraient, pour la justice, ou pour notre survie, un changement de société.

« Emmanuel Macron s’alarme d’‘‘une société qui se racialise’’ » : le président a fait sa rentrée là-dessus. En un an de crise sanitaire, le pays compte un million de pauvres en plus, les étudiants (et pas qu’eux) font la queue pour des colis alimentaires, les fonderies ferment parce que Renault accélère sa sous-traitance à l’étranger, etc. Et de l’autre côté, durant la même année, les milliardaires français ont vu leur patrimoine bondir de + 68 % (d’après Forbes), on s’épargne le flux des scandales Amazon, Sanofi, Pandora Papers et compagnie. Et ce qui l’alarme, donc, le chef de l’État, ce n’est pas cette fracture sociale, ce fossé, ce gouffre, dans les fortunes, dans les destins, ce n’est pas « une société qui se classise », ou qui « s’inégalise », non, la menace, c’est un « concept », dit-il, la menace, « c’est une société qui se racialise ». Ça fait des années qu’il joue à ce petit jeu, avec le feu. Qu’il sort le voile, et « la laïcité », et « les valeurs de la République » quand ça l’arrange, et que je te fais la Une de Valeurs actuelles, et que je te ponds un petit projet de loi exprès. Le but est tellement flagrant, pour lui, le Président des riches, l’homme de la Commission Attali, des banques d’affaires, du groupe Bilderberg : plutôt agiter la guerre des religions que la lutte des classes. Que les Français se rangent, se divisent, en « communautés », plutôt que selon leurs intérêts : en salariés – contre les « gros », les actionnaires, les PDG. Il légitime la droite extrême. Il impose ses thèmes. Même si l’on devine que, à la fin, le pyromane viendra se poser en pompier : se présenter en recours contre le pire.

Eh bien, « Debout les femmes ! » est un outil – évidemment pas suffisant, pas assez puissant, pas à lui tout seul, mais un outil dans la boîte à outils – pour revenir sur notre terrain. Pour que, pendant la campagne à venir, ces femmes, ces femmes aux métiers essentiels et pourtant écrasées, ces femmes ne soient oubliées. Pour que, au-delà d’elles, au-delà de ces professions, on replace au centre du jeu la question sociale.

François Ruffin dans sa cuisine (abonnez-vous à ses interventions !).

3 – Contre le zemmourisme ambiant

« Debout les femmes ! » constitue même, il me semble, un manifeste contre le zemmourisme ambiant.

Que voit-on, tout au long du film, et toujours plus vers la fin ? Des femmes, et des femmes de couleurs de peau, d’origines différentes (puisque, en province, dans les campagnes, ces métiers sont occupés, massivement, par des femmes originaires du coin, tandis qu’à Paris, les mêmes postes sont plutôt occupés par des personnes d’origines étrangères). Elles sont ensemble. Elles s’expriment ensemble. Elles chantent ensemble.

J’ai vécu, à Amiens, hors caméra, une scène qui illustre ça. La ministre du handicap, ou plutôt la « Secrétaire d’État en charge des personnes handicapées », Sophie Cluzel, est en visite dans ma ville. Et, entre ces rendez-vous officiels, à la Croix-Rouge, au Conseil départemental, j’ai insisté, réclamé, tempêté, pour qu’elle rencontre des AESH, « Accompagnantes d’Enfants en Situation de Handicap », des héroïnes de notre film : Assia, Sandie, Hayat, et Aline. « C’est un métier qu’on adore, on aide les petits, on les voit progresser… mais avec 734 €, c’est pas possible ! Moi, je fais des ménages à côté… Et à la fin de l’année, AESH, j’arrête. » Toutes exposent, et avec conviction, et avec la gorge nouée, et avec la voix qui se brise, leur situation. La ministre écoute. Puis répond. Longuement : qu’elle comprend les difficultés, qu’elle les connaît, qu’elle lutte pour ça depuis des années, bien avant son entrée au gouvernement, etc.

Mon attention flottait. Je pensais à ce grand gâchis : toutes voulaient démissionner. Autre chose, aussi : vous avez entendu leurs prénoms, Assia, Sandie, Hayat, Aline, ça dit un peu de leurs origines, d’ici et d’ailleurs. Mais elles n’y songeaient pas, elles étaient là, simplement, comme des Françaises, comme des travailleuses, comme des copines. Depuis une heure qu’elles échangeaient, depuis un an qu’on les filmait, jamais elles n’avaient discuté ou disputé sur ces origines, sur leur « identité », sur leur « religion », sur comment elles s’habillent et que mangent-elles le vendredi. Jamais. Alors, voilà deux projets, pour elles, pour notre pays. Soit les séparer, les diviser, Assia et Hayat, et qui ne devraient plus s’appeler Assia et Hayat, d’un côté, Aline et Sandie de l’autre. Ou alors, ensemble, qu’elles travaillent toutes ensemble, qu’elles luttent toutes ensemble, pour améliorer leurs vies et celles des enfants.

« Debout les femmes ! » porte ça, je crois. Sans qu’on le dise. Sans qu’on en fasse un « message », une leçon. Mais par les images, par le récit, par l’espoir qu’il dégage.

Voilà pourquoi, parmi cent raisons, je suis très fier de vous offrir ce film-outil. Alors maintenant, comment vous en saisir ? Allez le voir, d’abord, et jugez par vous-même si vous ressentez cette chaleur, faite de colère et d’espoir. Si oui, dites-le où vous pouvez, sur votre page Facebook, à la séance de Zumba, dans les vestiaires du club de foot, au repas du dimanche avec vos cousins, avec les collègues au bureau le lundi, envoyez vos amis – que, peut-être, ils soient contaminés par la même énergie.

Ensuite, ce film-outil, on souhaite le porter dans les campagnes, et dans la campagne, en libérer les droits (début 2022), pour que, après les cinémas, il soit diffusé dans les salles municipales, sur les ronds-points, dans les amphis, dans votre salon. Pour qu’il serve à animer, un très beau « animer » : qui touche à l’âme. Et il s’agit de ça, désormais, dans les semaines et les mois qui viennent : réveiller l’âme du pays. Ce travail, dans les villages, dans les quartiers, on ne pourra le faire qu’avec vous, avec le pessimisme de la lucidité, peut-être, mais avec l’optimisme de la volonté : alors, si ça vous dit d’en être, envoyez nous un mail à deboutlesfemmes@fakirpresse.info, avec votre proposition de projection.

Sans vous, on ne peut rien. Avec vous, on peut beaucoup.

Et c’est pour ça qu’à la fin c’est nous qu’on va gagner !

François Ruffin

2 Commentaires
  • Catherine Kestelyn
    Publié à 16:29h, 16 octobre

    Et ce film passera quand à Bruxelles? Merci d’avance!

    • Semal
      Publié à 19:25h, 16 octobre

      Je n’ai pas encore trouvé la réponse. Je rajouterai l’info si nécessaire. Merci aussi ;-).

Poster un commentaire