BLABLABLA PAPERS

Cela fait la troisième ou la quatrième fois qu’un consortium de presse publie des “révélations” sur les comptes bancaires établis dans des paradis fiscaux. “Pandora Papers”, “Paradise Papers”, “Panama Papers”, LuxLeaks”, j’en passe et j’en oublie.

À chaque fois, des milliers d’entreprises, de rentiers, de personnalités politiques ou médiatiques, sont surprises le groin dans la confiture à la merde. Un peu has-been, quand même, les politiques, comme Tony Blair et DSK – que cela ne trouble pas trop l’ordre du monde.
Et que se passe-t-il derrière ? Rien. R-I-E-N.
Je vais donc résumer ici, en quatre lignes, tout ce qu’il y a à en dire.
Ou bien l’on interdit les Paradis Fiscaux, ces sangsues de l’économie mondiale, ces dépendances “offshore” du crime organisé.
Ou bien, on tolère, encourage et protège la criminalité en col blanc des entreprises et de tous ceux qui ont du capital à placer.
Point, à la ligne.
Ne cherchez pas : il n’y a pas de troisième voie.
Aussi, plutôt que de réécrire pour la dixième fois le même article, voilà ce que j’écrivais, par exemple, dans “Marianne-Belgique” en 2013, ou dans le magazine “Imagine” en 2011.
Résumé : “Si l’on a pu envoyer toutes les armées du monde en Irak, sous un prétexte fallacieux, on trouvera bien 24 casques bleus pour aller combattre 30.000 boîtes-aux-lettres aux Iles Caïman”.
Tout le reste, ce n’est malheureusement que le jacuzzi permanent de la bulle médiatique – ces “Blablabla Papers”, dont on attendra avec résignation la prochaine édition.

Claude Semal, le 5 octobre 2021

CQFD : Le lendemain de la “révélation” des Pandora Papers, l’Europe retire les Seychelles de la liste des paradis fiscaux ! Réaction d’OXFAM : «La décision prise aujourd’hui de retirer de la liste Anguilla, la seule juridiction encore en vigueur avec un taux d’imposition de zéro pour cent, et les Seychelles, qui sont au cœur du scandale des Pandora Papers, fait de la liste noire de l’UE une plaisanterie», commente via communiqué Chiara Putaturo, experte en fiscalité chez Oxfam UE (via “La Meuse”, 5/10/2021).

 

Contre

« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ! ». J’ai toujours cru que cette mâle maxime était de Mao Tsé-Toung. Pas du tout. Elle est d’Alfred de Musset.
Une chose est sûre : ils ne sont, ni l’un, ni l’autre, belges. Car chez nous, les portes ne sont ni ouvertes, ni fermées. Elles sont « contre ». Pas tout-à-fait closes. Pas vraiment entrebâillées. « Contre », quoi.
Et dans cet entre-deux poétique, il y a les racines théoriques du fameux « compromis à la belge ». Un génial vent coulis qui autorise gauche et droite à gouverner ensemble depuis cinquante ans, tout en affirmant, à chaque élection, conduire des politiques radicalement différentes.
Le problème, c’est que le monde entier est en train de devenir belge.
Ainsi, dans l’affaire Cahuzac (1).
Les paradis fiscaux sont-ils ouverts ou fermés ? Ils sont « contre ».
Si on veut les autoriser, qu’on le fasse (j’ai 380 euros à placer). Laissons les François Copé barboter dans la piscine des Takieddine, et offrons la nationalité belge à monsieur Cahuzac.
Mais si l’on pense, comme moi, que les Iles Caïmans gangrènent l’économie mondiale, poussent les états démocratiques à la faillite et mêlent l’argent noir des chirurgiens capillaires à celui du crime organisé, alors, il faut les interdire.
Reste la volonté politique.
Mais quand on a pu envoyer, sous un fallacieux prétexte, toutes les armées du monde en Irak, on devrait bien pouvoir trouver, sous l’égide de l’ONU, vingt-quatre casques bleus pour combattre trente mille boîtes aux lettres aux Iles Vierges et à Jersey.

Claude Semal, Marianne-Belgique, 2013

Le mammouth et l’Airbus

Préhistoire. En sortant de l’ascenseur, au troisième étage de l’expo « Magritte », je me suis arrêté, le souffle coupé, devant une toile monumentale du maître. Quelle force ! Quelle beauté ! Quelle poésie !
Ce n’était qu’une triple fenêtre, ouverte, de toute sa hauteur, sur les toits de Bruxelles : un troupeau de cumulus, figés dans un camaïeu d’ouate et d’orages, sur un vieux fond de lessive bleu pastel.
J’ai, ce soir, ce même ciel sous les yeux, exactement, depuis ma terrasse périgourdine fraîchement carrelée d’ocre tendre (ouille, mon dos !). Et toujours, la même force, violente, la même beauté. (Le ciel, pas la terrasse. Encore moins le dos. Ouille !). A cinquante kilomètres d’ici, dans la vallée de la Dordogne, les premiers hommes ont dessiné, sur les murs oblongs des cavernes, des femmes enceintes, des troupeaux hiératiques et des flèches enfantines à la lueur torve des flammèches. Toute l’histoire de la peinture se résume peut-être à ceci : retrouver, au prix de mille ruses, l’évidente présence d’un aurochs ou d’un nuage — qu’on ne se lassera jamais de regarder. Mais pourquoi peindre, si le premier pommier en fleurs nous inflige une telle leçon d’humilité ?

Titanic. Quoi ! Comment ? Que lus-je ? Qu’hallucinai-je ? La Belgique est à genoux, l’Europe en lambeaux, l’économie mondiale à l’équarrissage, et toi, tu gloses sur l’art, en regardant la météo, le cul sur tes carrelages périgourdins Lapeyre authentiquement « Made in China » !
Minute. D’abord, pendant le naufrage du Titanic, l’orchestre joue. Moralement, syndicalement, imperturbablement, il joue. Comme le docteur Machin dans « La Peste » de Camus, je joue. A chacun ses élégances.
Et ensuite, quoi !? Depuis trente-cinq ans, je n’ai pas arrêté de crier « au feu ! », « au fou ! », « au loup ! », « résistance ! ».
Et vous voudriez, aujourd’hui que la maison est en flammes et le paysage en cendres, que je vienne, avec mon petit seau de bave et de larmes, mêler mon impuissance, mes incantations et mes lamentations aux vôtres ?
Que puis-je encore écrire ici, qui n’a déjà cent fois été répété ailleurs ?

Glossaire. Que la Belgique, improbable état binational, ne pourrait survivre qu’en mêlant l’intelligence, le bilinguisme et l’imagination — denrées dont nous sommes, on le sait, garguentuesquement pourvus ?
Que l’Europe, horizon politique fertile, n’a jamais su parler que de monnaies, de marché unique et de libre concurrence, au détriment de toute construction sociale, syndicale, culturelle et démocratique ?
Que le F.M.I. dicte sa loi au monde en ânonnant des mantras libéraux entre deux droits de cuissage ancillaires ?
Et qu’abandonner la conduite de l’économie mondiale à la rapacité des spéculateurs, à la planche à billets des U.S.A. et au doigt mouillé des agences de notations, relève, au choix, du grand banditisme ou d’une pathologie cérébralement invalidante ?

Esclavage. Si au moins les maîtres du monde s’étaient saisis de cette crise financière récurrente pour prendre quelques mesures sanitaires d’urgence — comme l’interdiction des paradis fiscaux ou le contrôle mondial des capitaux ! Mais non. Ils ont, comme à leur habitude, préconisé d’écraser les salaires et les pensions, de sabrer dans les budgets sociaux, de fermer les écoles et les hôpitaux — contractant ainsi, toujours plus, un marché intérieur déjà bien fragile. Ils ont ainsi privé les états déficitaires de nouvelles ressources, relançant par là même la spirale absurde de l’endettement.
Le pauvre peuple grec, déjà saigné aux quatre veines, ne peut ainsi plus financer ses besoins qu’au taux usuraire de 16 %. Quel ménage, quelle économie, pourraient supporter une telle charge, et quel malade survivre à une telle médecine ?
Il existe pourtant une alternative. S’attaquer de front aux malversations du système boursier et bancaire. Déclarer la spéculation et l’usure hors-la-loi — comme on le fit autrefois pour l’esclavage. N’était-ce pas, là aussi, de florissants « marchés » ? Et le chemin de la civilisation ne passait-il pas par leur interdiction ?

Crash. Pourtant, comme le malheureux copilote du vol Airbus Paris – Rio, qui cabrait désespérément son appareil, quand il eut fallu le piquer pour lui rendre de la vitesse, les dirigeants mondiaux semblent, aujourd’hui, totalement dépassés par les événements. Pourquoi douteraient-ils de leur politique, puisqu’ils n’imaginent même pas qu’une autre soit possible ?
Fascinés par leurs ordinateurs de bord, qui clignotent comme des arbres de Noël, rassurés par la lecture des éditoriaux serviles, qui flattent depuis toujours leur sagesse et leur clairvoyance, le cul gras et bronzé confortablement calé dans leur fauteuil XXL, ils n’entendent ni les hurlements des passagers, ni le lancinant signal d’alarme qui annonce le décrochage de l’appareil.
Souriant aux photographes, ils s’enfoncent lentement dans les nuages, pour aller rejoindre les poissons-lunes de Fukushima, les mammouths de Lascaux, les iguanodons de Bernisart, les momies égyptiennes, les empereurs romains — et tous les autres éternels maîtres du monde.

Claude Semal, “Imagine Magazine”, 2011

(1) Ministre P.S. du… Budget (!) dans le gouvernement Ayrault, sous la présidence de François Hollande, titulaire d’un compte “noir” en Suisse et parjure devant le Parlement français.

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