EN ATTENDANT LA RÉGULARISATION par Françoise Nice

Avant la manifestation organisée ce dimanche 3 octobre à 14 heures par la Coordination pour la Régularisation des Sans-papiers (Gare du Nord, Bruxelles), Françoise Nice a assisté vendredi soir à leur conférence de presse festive à l’Eglise de Béguinage. On se souvient de la longue grève de la faim qui s’était tenue là, et qui ne s’était terminée que sur des promesses d’études de dossiers et de régularisations. Mais à ce jour, rien n’est encore réglé (texte et photos Françoise Nice)

 

À l’église du Béguinage, j’y suis revenue après trois semaines de vacances.
Avec le bonheur d’y retrouver pour une conférence de presse festive – oui, mélangeons les genres –, pour trois heures de retrouvailles, d’effusions – ah ces mecs qui vendent du thé en sirotant de la bière –, retrouver Assia, Ahmed le chargé de com des grévistes accueilli comme une star, Tarik, Amer, les visages reconnus ou pas, les ami.e.s et camarades, les nouvelles connaissances qui ont accompagné les occupants et grévistes de la faim dès la première ou dans les dernières heures, et qui après le montage des dossiers de demande de régularisation, attendent, dans un nouveau calvaire de nervosité, d’angoisse. De difficultés très concrètes à se nourrir, à trouver une adresse de résidence où l’Office des étrangers enverra le Oui ou le Non à la demande de 9bis, une régularisation sur base d’un ancrage de longue durée en Belgique.
L’église du Béguinage, ce cœur chœur palpitant, ce symbole de la certitude qu’on ne peut pas vivre en laissant moins de 2% de la population (*) dans un statut de non droit absolu, de vulnérabilité sociale et personnelle extrêmes – ne pas pouvoir travailler, se former, se loger, se soigner, se cultiver, se divertir, avoir un compte en banque ou louer une trottinette – , l’église du Béguinage ce lieu de solidarité, de souffrances, de tensions, de toute la gamme des émotions et sentiments qu’une communauté humaine est amenée à vivre.
Hier soir, la joie intense d’être à nouveau ensemble, de renouer en mesurant ce qui a été accompli et ce qui reste à faire : « On n’a pas gagné mais on n’a pas perdu » comme l’a dit Assia. Avec la fierté d’avoir mené ou accompagné une « lutte des plus nobles » et non une grève suicidaire et de chantage comme elle fut méprisée et décriée par le secrétaire d’état Sammy Mahdi. Qui devrait méditer encore, avec tout le gouvernement De Croo, l’infamie d’avoir laissé 475 personnes mettre leur vie en péril pendant 60 jours avant de lâcher un accord minimum et de minute ultime avant la mort pour sortir de ce combat-là « dans la dignité » (Alexis Deswaef, un des négociateurs).
On est là. C’est pas fini” a répété Assia.
Les dossiers ont été déposés. Il n’y a eu jusqu’ici qu’une seule réponse (positive). Et l’Office des étrangers a rajouté une couche tracassière à la procédure kafkaïenne, un obstacle de plus : demander une adresse de référence, une domiciliation effective pour les demandeurs qui souvent, du fait même de s’être engagés dans les occupations depuis janvier n’ont plus de logement ni de revenu même chiche pour avoir une adresse fixe. Et portent les séquelles physiques et psychiques de ces deux mois de grève de la faim. Les médecins prévoient une année pour la reconstruction des corps.
L’USPR, l’Union des sans-papiers pour la régularisation cherche encore des hébergeurs pouvant offrir une adresse provisoire de domiciliation (voir photo).
« Il n’y a jusqu’ici qu’une seule réponse aux 475 dossiers, ce n’est pas correct » a souligné Alexis Deswaef : « il faut faire exister ces personnes que le gouvernement veut faire disparaître ».
Hier soir, avec le Père Daniel, avec les rythmes et chants de Juicy, L’or du temps, Derar-Younssi-Yassine, ceux de Khaled ou de Rachid Taha, avec des rires et des embrassades, ce fut un moment-jalon d’une longue lutte.
Avant la manif de dimanche pour changer les critères de régularisation, établir des critères clairs et permanents, qui ne laissent plus le pouvoir de l’arbitraire à l’Office des étrangers et à un ou une secrétaire d’état.
Plus j’y viens à l’église du Béguinage, comme à la Porte d’Ulysse, plus je comprends que c’est dans l’accueil réservé aux personnes sans documents, arrivées avant-avant-avant-hier ou hier que se jouent et se définissent la qualité de ma citoyenneté et du bien-vivre dans le pays où j’ai eu le hasard de naître. Que la fraternité ne tient ni à une identité numérique ni à un terroir ou une assignation biologique mais à ce qu’on partage, invente et porte ensemble, là où on est. Dans l’esprit de justice, d’égalité, de libre circulation et dans les règles d’un état de droit.
« We are Belgium too », liberté égalité dignité

par Françoise Nice (sur Facebook et en libre lecture dans l’Asympto)

(*) : Combien de « sans-papiers » en Belgique ? Tout chiffre n’est forcément qu’une estimation, exploitable dans un sens ou l’autre. On parle de 60.000 à 150.000 personnes sans documents.

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