06 juin 2021
TEMPÊTE DANS LES VOILES
Combien on aimerait que le mot « voile » n’évoque que la mer, le vent, l’aventure…
Mais hélas, celui qui se dresse bien haut au mât de l’actualité est encore, une fois de plus, le foulard des musulmanes.
Il y eut le fameux «arrêt STIB» et la décision de la société des transports bruxellois de ne pas aller en appel contre une condamnation pour discrimination directe sur base de la religion et indirecte sur base du genre. N’ayant aucune compétence dans ce domaine, je vous livre une analyse de juristes de cette décision que Marc Uyttendaele, de son côté, qualifie de «tract militant». Une affaire qui pourrait menacer la majorité bruxelloise, alors même que, sur le terrain, les syndicats de différentes sensibilités évitent toute escalade.
Il y eut aussi la nomination de Ihsane Haouach comme commissaire du gouvernement à l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, soulevant une tempête jusque dans les rangs du fédéral, obligeant le Premier ministre à venir se justifier» devant le Parlement.
Il y eut un ««débat»» (je mets volontairement deux paires de guillemets) à la RTBF, où des hommes politiques discouraient sur le sort de citoyennes, les deux femmes concernées étant reléguées au rang de «témoins». La seule à porter le foulard ayant en tout et pour tout trois minutes pour s’exprimer (sur une heure d’émission), et encore, une dernière intervention lui étant généreusement concédée par l’animateur, Sacha Daout, s’apercevant en fin d’émission qu’il avait quelque peu oublié de lui donner la parole.
Les réseaux sociaux ne sont évidemment pas en reste, sur le ton qui leur est si caractéristique, par des accusations et insultes réciproques : «racistes» contre «islamogauchistes», «islamophobes» contre «complices des islamistes». Ce qui rend l’échange d’arguments à peu près impossible.
La neutralité, pur fantasme
Comme je ne crois pas à la «neutralité», pur fantasme de dominant·es, il me paraît important de préciser d’où je parle et d’afficher mes propres «signes convictionnels».
Je ne suis pas musulmane, je ne crois d’ailleurs en aucun dieu; c’est en tant que vieille militante féministe, après un long cheminement personnel, que j’en suis venue à défendre le droit des femmes à porter le foulard comme à ne pas le porter ; et si elles le portent, de ne pas avoir à s’en justifier. Car dans toutes ces prises de position, extérieures à ces femmes elles-mêmes, on a pu entendre et lire des accusations quant à des motivations «politiques» ou une supposée «soumission» aux diktats masculins. Ou encore, sur un ton insupportablement paternaliste, cette Carte blanche les sommant de s’expliquer, dans un refus de «tout signe de fermeture identitaire», comme si chacune devait passer devant un tribunal (masculin?) qui pourrait trancher sur l’honorabilité de telle ou telle motivation.
Je ne suis pas «pour les signes convictionnels» mais contre leur interdiction, ce qui n’est pas du tout la même chose. Si j’étais pour le voile, comme me le reprochent certain·es, je le porterais (alors que je préfère la casquette). Je suis pour le choix des femmes, pour leur émancipation, et je pense que celle-ci passe par l’indépendance financière, et donc par l’éducation et l’emploi. Et cela est aussi vrai, je dirais même d’autant plus vrai, pour celles qui subissent le voile comme une contrainte : ce n’est que par leur indépendance économique qu’elles pourront un jour faire leur propre choix et se libérer, si elles le souhaitent, du poids familial et communautaire.
L'”identité” construite par les discriminations
On peut craindre que ce débat, en plus d’être violent et excluant pour les premières concernées, soit aussi contreproductif. Que l’ «identité» soit aussi (si pas surtout) construite par la minorisation, c’est aussi l’enseignement d’une enquête dont je vous livre la conclusion : «Si des marqueurs identitaires ou des catégories apparaissent, dans certains contextes, pertinents, c’est parce qu’elles désignent des personnes qui partagent l’expérience d’une discrimination ou d’une mise à l’écart – une assignation identitaire subie. Et si la tentation de l’exit ou du “repli” existe, nos résultats montrent qu’elle ne résulte ni de l’influence de mouvements ou d’organisations de lutte contre les discriminations, ni des analyses de la question raciale, mais bien de l’existence, massive et largement invisibilisée, de discriminations et de l’exclusion symbolique d’une partie des citoyens de la communauté nationale».
C’est donc bien en excluant des femmes de l’éducation et de l’emploi qu’on les contraint à un retour au foyer ou à un travail dans leur communauté, en les enfermant dans ce «communautarisme» ou «séparatisme» qu’on leur reprochera ensuite, et qu’on pousse d’autres à les rejoindre, par sentiment de révolte ou par solidarité.
Irène Kaufer, le 6 juin 2021
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