
24 avril 2025
TACATACATAC, LE TEMPS FILE, FIGARO EST TOUJOURS LÀ ! par Françoise Nice
Au Théâtre des Martyrs à Bruxelles, à ne pas manquer jusqu’au 26 avril, le « Figaro divorce » d’Ödon von Horvath. Dans une mise en scène de Philippe Sireuil, on y retrouve les comédiens qu’on peut voir ou qu’on a découverts dans « Le Barbier de Séville », la célébrissime comédie de Beaumarchais.
Ah, ces comédiens et comédiennes -là, pour la plupart venus de Suisse, ils en auront soulevé de joyeux applaudissements et des volutes d’enthousiasme.
Ces étudiants venus de Mons que j’avais rencontrés après la représentation du Barbier, et qui annonçaient qu’ils viendraient pour la suite du diptyque, – « Figaro divorce » donc – , même sans leur prof, étaient-ils là mardi ? je ne les ai pas cherchés, l’essentiel était sur scène: j’ai retrouvé avec plaisir le jeu de la dizaine de comédiens que j’avais découverts dirigés par Anne Schwaller.
« Figaro divorce », donc. Dans la nuit, seules deux lanternes, des fumigènes, le comte Almaviva (Frank Michaux), sa comtesse (Christine Vouilloz), Figaro (Frank Arnaudon) et sa Suzanne ( Fanny Künzler). Dans la quasi-obscurité, les quatre sont en train de fuir une révolution. Ils traverseront une frontière, et on les suit, et on les retrouve, avec des sauts d’années et un sacré changement de costumes jusqu’à la localité de Querelle-la-vieille, Figaro et sa Suzanne bosseront ensemble, seront confrontés à une petite société des notables gonflée de la suffisance des petits-bourgeois, instituteur, boucher, couple de pâtissiers, une smala qui aime aussi se déguiser et porte masques de carnaval.
On a retrouvé Figaro, plus sombre que dans la pièce de Beaumarchais, et Suzanne, plus délurée ou émancipée – à vous de juger. On verra le comte qui a perdu toute sa prestance, et qui n’a pas compris que l’Histoire et les nouveaux maîtres qui font la loi ne lui laisseront pas le pouvoir d’étaler ses mémoires. Il en pleurniche le vieux. Et Figaro, lui, le petit coiffeur « pas d’ici », essuiera le mépris de la xénophobie. Il s’obstinera à reprendre la propriété du comte, devenue entretemps un home pour pupilles de la nation, dirigé par la bande des anciens serviteurs du Comte.
Avec les mêmes acteurs et actrices dans les principaux rôles, le même décor sobre et efficace de Vincent Lemaire, Philippe Sireuil nous fait retrouver avec plaisir les comédiens venus de Suisse, et ce Figaro interprété par Frank Arnaudon. Lui, mais toute l’équipe a un jeu vif, précis, et tout roule, madame la comtesse ! Avec plusieurs rôles pour une partie des comédien.nes , notamment celui de Pédrille, ou celui d’une sage-femme foldingue, on passe d’une arrière-cour aristocratique aux sombres années où la petite bourgeoisie (et la grande) s’acoquina de gré et/ou de force avec les fascistes allemands qui montaient au pouvoir, ceux-là qui préparaient une furieuse revanche sur les empires défaits après 1914-18.
Ödön Von Horvath n’est pas aussi précis, mais c’est le contexte dans lequel il a vécu, celui des années Trente. Philippe Sireuil cite dans le dossier de presse Ödön qui déclara : « Nous vivons dans une époque où une grande partie du monde est dominée par des criminels et des fous ».
Dans ce « Figaro divorce », la gaité pleine d’esprit qui domine « Le barbier de Séville » fait place à une vision critique pleine d’ironie amère ou caustique, et Philippe Sireuil déploie par sa mise en scène et avec de très beaux éclairages une atmosphère où le rire est celui de la satire, grave et/ou grotesque.
Il y a de superbes images scéniques, de belles scènes, comme celle où le comte Almaviva fait connaissance avec le bijoutier auquel il vend le collier de la Comtesse en se faisant clairement rouler. Le comte Almaviva défait par l’âge et la révolution, la comtesse qui coquettement jusqu’à sa fin continuera à patiner sur la glace.
Découvrir l’équipe rassemblée par Anne Schwaller dans « Le barbier de Séville », la retrouver dans « Figaro divorce » avec quelques sauts d’années, de siècles et changements d’époque, avec dans les deux spectacles, un jeu de rôles éblouissant et rapide, de très beaux costumes d’Anna Van Bree ( pour « Figaro divorce ») et Fabienne Vuarnoz (pour Le Barbier), les perruques et maquillages de Maël Jorand dans les deux spectacles. Et j’oublie quoi ? ah oui, les musiques enlevées, et le dispositif des didascalies qui s’impriment sur un des pans du décor, au son du cliquètement d’une ancienne machine à écrire.
Tacàtacàtac, l’histoire passe, le temps file, de sombres temps reviennent.
Mais de la comédie classique rieuse aux touches expressionnistes de l’entre-deux-guerres pressentant le pire, hier comme aujourd’hui, la co-aventure du Théâtre des Martyrs et du Théâtre des Osses de Fribourg est formidable. Hauts nos cœurs !
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À ne pas manquer non plus, à Bruxelles, dans le cadre du Festival ” Espèces d’espaces”, la présence au Théâtre Océan Nord de Gnoula Edoxi Lionelle pour sa reprise de “LEGS/Suites”.
Ce fabuleux solo lui a valu en 2018 le prix du Seule en scène des Prix Maeterlinck. Je republie ce que j’avais écrit alors. Isabelle Pousseur l’a aussi accueillie cette saison pour un magistral ” Harriet Tubman” mis en scène par François Ebouele.
(en 2018, dans le cadre du Festival “Voix de femmes), et à nouveau, jusqu’au 27 avril 2025 au Théâtre Océan Nord :
“Mon coup de soeur va à “LEGS/suites”, le spectacle biographique d’Edoxi Gnoula, co-écrit et mis en scène par Philippe Laurent. Comédienne et humoriste consacrée au Burkina Faso, Edoxi Gnoula raconte l’histoire d’une petite fille en mal de papa et pour laquelle le théâtre et le regretté Jean-Pierre Guingané ont été école et tuteur. Un souriant hommage est rendu au père du théâtre burkinabè, qui bouleversera ceux qui ont eu la chance de le rencontrer et de fréquenter son théâtre-école-radio à Gambidi Espace Culturel. Le témoignage biographique d’Edoxi s’insère comme un bijou très ciselé dans la satire sociale qui ouvre et referme le spectacle, une scène de maquis de Ouagadougou, où trois gars bien croqués discutent de Sankara, Compaoré, l’après- insurrection de 2014.
Les répliques drolatiques fusent, c’est bien vu et bien joué, la comédienne interprète tous les rôles avec agilité et force, dans le verbe comme dans sa gestuelle. Elle chante aussi, et magnifiquement. “LEGS/suites” est un spectacle qui cogne et caresse à la fois, où l’intime et le politique ricochent formidablement”. ( Photos Michel Boermans)
Françoise Nice sur sa page Facebook et dans l’Asympto, avec l’aimable autorisation de l’autrice.
Au Théâtre des Martyrs à Bruxelles, jusqu’au 26 avril. Et samedi 26, possibilité de voir « le Barbier » à 16h et « Figaro divorce » à 19H05. (Photos Gaël Maleux et Dimitri Kanel pour “Figaro” et Michel Boermans pour “Legs/suite”)
Au Théâtre Océan Nord, jusqu’au 27 avril.
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