CE SOIR, LE « POCHE » OU LE « RIDEAU » ? par Françoise Nice.

Dans la pénombre des salles de théâtres : écouter, ressentir, penser et panser. Ce soir, vous faites quoi ? un verre en terrasse, en  ville ou sous les arbres du Bois de la Cambre ? et une plongée au Théâtre de Poche ou au Rideau ?
Bigre, comme on a besoin, plus que jamais, de ces haltes et rencontres dans ces salles obscures où des artistes viennent nous jouer et nous raconter le monde. Avec du vrai théâtre, pas des simagrées folles furieuses ou terriblement premier degré de c(l)asse sociale.

Dans la pénombre du plateau du Rideau de Bruxelles, Laurence Vielle et deux de ses amis co-artistes, le peintre Marc Feld et le compositeur et claviériste Vincent Granger déploient en fine connivence une adaptation de « Croire aux fauves », un livre et grand succès de l’anthropologue et réalisatrice Nastassja Martin, « Croire aux fauves » (Ed.Folio).
Une fresque qui s’invente au pinceau en fond de scène, un récit voix et musique qui raconte l’histoire qu’elle a vécue au Kamtchatka – oui, prenez l’atlas pour découvrir qu’il s’agit d’un territoire de l’Extrême-Orient russe – où elle fut attaquée par un ours. Il dévora et emporta une partie de son visage, elle reçut peut-être quelque chose de l’animal.

Le livre raconte les allers et retours de Nastassja : elle n’était plus simplement humaine, elle n’était pas devenue une ourse, mais, défigurée elle devint un être d’entre deux. Elle raconte son odyssée pour être soignée, dans ce territoire des fins-fonds de Russie comme à la Salpêtrière à Paris. Cet accident a bousculé sa perception et sa conscience du monde.
C’est ce qu’elle tente de faire comprendre. Et plaide pour que l’on accepte l‘incertitude, un principe de recherche, et peut-être le seul ouvre-porte pour nos avenirs.
Sur scène Laurence Vielle et ses deux comparses nous dessinent et nous interprètent une étrange chanson de rencontre inter-espèces, avec des accents animistes et poétiques. Une longue brise fait bouger nos cervelles et nos cœurs. Oyez, oyez, quand Laurence Vielle parle et joue, quelque chose de neuf nous advient.

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(Extrait du programme de « L’empreinte »): “Vous l’entendez ? Ce souffle ? L’air est beau, l’air est bon. Il charrie des sons, mais vous n’arrivez pas tout à fait à les identifier ; Humain ? Végétal ou animal ? C’est un peu tout cela mélangé. Ça tourne. C’est comme un tourbillon. Il est lourd d’histoires murmurées, ce vent-là. Il vient de loin, il a traversé des déserts, un océan, puis le voilà qui glisse à travers les prairies, les champs, sur les lacs, les rivières, se mêle à la lumière grise de ce matin d’hiver, puis arrive à la ville, là, tout près de chez vous. ».

Autre spectacle à ne pas manquer au Théâtre de Poche à Bruxelles jusqu’au 12 avril, « L’empreinte », une co-mise en scène de Carole Karemera et de Jean-Michel D’Hoop. Tous deux ont rassemblé un collectif de dix comédiens, musiciens, un danseur et deux concepteurs de marionnettes belges et rwandais.
Après un très beau solo à la flûte traversière basse, le conte réaliste commence : deux petites filles sont parasitées, immobilisées sans le savoir par les histoires vécues par leurs grands-mères, mais dont celles-ci ne leur ont pas parlé. Finalement, les deux grand-mères, Mukandori et Mimi se décident à parler un peu. Elles vont emmener les gamines Kunda et Lucile au pays des rêves et leur révéler des bouts de leur vie.

Cette histoire est née de la collaboration entre des artistes belges et Rwandais. Passer du réel à l’onirique, de la conscience au royaume de l’inconscient est le va-et-vient que proposent le metteur en scène Jean-Michel D’hoop et Carole Karemera. Carole est connue en Belgique comme comédienne et musicienne, et aujourd’hui établie à Kigali où elle a fondé et dirige le Ishyo arts center. Le projet est né en 2021, et sa genèse s’est développée avec des recherches d’histoires qui font partie de nos racines : Les artistes rwandais sont venus s’intéresser à la légende du corbeau noir de Charleroi, les Belges sont allées s’intéresser à des légendes et histoires du pays des mille collines. Tout cela fut brassé et réinventé comme un terroir commun.

Mais il n’y pas seulement dix comédiens et deux pilotes Jean-Michel et Carole, il y a aussi les marionnettes à taille humaine. Il y en a six, vous les découvrirez. Elles ont été créées par Loïc Nebreda et Timothy Wandulu. Et sur le plateau, ce sont elles, les marionnettes figurant les grands-mères et leurs petites-filles Kunda et Lucile qui continuent de captiver le regard des spectateurs, de nous tendre – qui sait ? – le miroir de nos émotions après que le spectacle soit terminé.
Leur beauté et leur force sont stupéfiantes et concentrent, dirait-on, le meilleur de cette aventure artistique qui associe bellement nos deux pays, la Belgique et le Rwanda. Où l’on ne parle pas explicitement du génocide des tutsis et hutus modérés de 1994, et du rôle préliminaire qu’y joua la Belgique, mais où il s’agit aussi de « L’empreinte » et des répliques dans les corps et les âmes de leurs descendantes et descendants.

Françoise Nice (sur sa page FB et dans l’Asympto, avec l’aimable autorisation de l’autrice).

https://lerideau.brussels/spectacles/croire-aux-fauves
https://poche.be/show/2024-lempreinte

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