
20 janvier 2025
DES ORANGES, DES MASTODONS ET DES NOMBRILS par Joachim Caffonnette
D’aussi loin que je m’en souvienne, même petit garçon, j’ai toujours été très rapidement débordé par mes émotions, eu le sentiment d’être inlassablement incompris et consterné par l’injustice d’un monde que mes contemporains semblaient approuver comme on accepte qu’il n’y ait plus de ketchup dans le frigo alors qu’on vient de sortir les frites de la friteuse.
En grandissant et parce que, comme tout le monde, j’ai été forcé d’affronter la cruelle absurdité d’une vie terrestre, j’ai petit à petit trouvé des subterfuges plus ou moins efficaces pour traverser ces émotions et observer ce monde en me protégeant avec une armure de cynisme et en embrassant une philosophie plus ou moins stoïcienne tout en vivant comme un épicurien. Ce qui n’est pas facile tous les jours, vous en conviendrez. D’où le cynisme.
Aujourd’hui, sortant vaille que vaille d’une longue période dépressive où ma foi en l’humanité fut largement bousculée, je me surprends à observer avec une distance étonnante le grand cirque que l’élection d’un enfant capricieux et de sa clique provoque autour de moi.
Bien sûr, ça m’a foutu un sacré coup au moral, bien sûr, j’ai eu froid dans le dos en voyant le salut nazi de Musk, mais rapidement je me suis dit que c’était une sacrée mascarade. Une dangereuse mascarade, une mascarade qui ressemble à une annonce de fin du monde. Mais une mascarade quand même.
Cela fait maintenant une bonne vingtaine d’années que nous vivons avec les réseaux sociaux. On a déjà vécu et analysé en long et en large l’effet de la désinformation lors de la première élection de Trump, et pourtant ça continue… Depuis le Sieg Heil du milliardaire mégalomane, tout le débat se cristallise là-dessus, pour ne pas parler du reste.
C’était le but, le seul et unique but de ce geste calculé et réfléchi. Et à pieds joints, malgré des exemples encore très récents de ce genre de pratique, la quasi-totalité du monde médiatique et de mon entourage d’arti-branchouilles saute dans la polémique.
Que Trump et Musk soient des racistes notoires, qu’ils véhiculent une idéologie pestilentielle ou que la culture états-unienne soit bien plus éloignée de la nôtre qu’on ne pourrait le penser de prime abord, c’est établi. Mais comme on plonge les haricots dans un bain de glace pour en stopper la cuisson, il serait temps que le débat public ne soit plus dominé par des réactions épidermiques qui surchauffent. Car c’est l’objectif de ces gestes. Quand notre Trump national, avec son col roulé et ses tatouages, balançait il y a quelques semaines qu’il ne voyait pas l’utilité d’un ministère de la Culture… plouf, à pieds joints, et moi le premier.
Je ne sais pas si la réflexion suivante est fondamentalement juste, mais de mon humble point de vue, on combat le mal à la racine. Et la racine de ce mal, c’est l’inculture, le manque d’esprit critique, un manque cruel de curiosité envers l’autre et ce qui ne nous ressemble pas, et une hypersensibilité sociétale dont chacun doit prendre conscience pour l’apprivoiser avec patience. Fut un temps où je me pensais très intelligent en tentant, à coups de références et de bons mots, d’humilier mes contradicteurs. Est-ce que j’ai réussi à les faire changer d’avis ? On connaît, tous, la réponse, la petite histoire du pigeon et de l’échiquier, la goutte d’eau dans l’océan et la loi de Brandolini…
Et pour ce que ça vaut, il faut peut-être se poser la question de ce qui anime réellement des gens comme Musk ou Trump. Ils sont bien différents du bon vieux facho que l’on combat en Europe.
Fut un temps où Trump affirmait qu’il ne se présenterait jamais pour les Républicains. Et fondamentalement, je pense qu’au-delà du discours provocateur, il faut surtout y voir une soif insatiable de pouvoir.
Quand on est devenu l’homme le plus riche du monde, ce n’est pas par envie de confort matériel, c’est parce qu’on est dépendant du pouvoir. Et c’est en comprenant le discours à servir et comment le servir qu’ils en sont arrivés là.
Les gens veulent de la viande, du sucre et que ça aille vite ? Voici McDonald’s ! Ce n’est pas plus compliqué que ça… même si ça n’en reste pas moins inquiétant.
Les appels aux boycotts, c’est bien, les textes et réflexions d’un trentenaire dépressif dans mon genre, c’est bien aussi, faire entendre son désaccord face à ce qui nous révolte, c’est super. Mais je pense qu’il ne faut pas oublier d’agir autour de soi, d’aller aider quelqu’un dans la rue, de transmettre des valeurs humanistes aux enfants, d’agir pour une culture intelligente accessible et de proximité et d’être patient.
Pour finir sur une platitude : une forêt, ça se détruit en quelques semaines, mais ça prend des siècles à pousser. Peut-être qu’il vaut mieux planter des millions d’arbres plutôt que de gueuler sur les bulldozers.
Joachim Caffonnette (sur Facebook)
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