12 décembre 2024
LES RENTABLES FANTÔMES DE P. JACOBS et J. MARTIN par Bernard Hennebert
Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez sur le lien ci-dessous :
En 1996, le tribunal avait imposé un changement de couverture pour un nouvel épisode des aventures de Blake et Mortimer. Fin 2024, les éditions Casterman ne semblent pas avoir tiré la leçon de ce jugement. Pour s’en convaincre, détaillons la couverture et certaines pages intérieures des plus récentes aventures d’Alix, « Le gardien du Nil ».
Quelle « Affaire » !!!
Edgar P. Jacobs, l’initiateur des aventures de Blake et Mortimer, meurt en 1987.
D’autres créateurs poursuivent son œuvre. En 1996, ce sont Jean Van Hamme et Ted Benoît qui publient « L’Affaire Francis Blake ». Dès la sortie de cet l’album, la « Fondation Jacobs » assigne en justice l’éditeur (« les Éditions Blake et Mortimer »). La conception de la couverture et du verso de ce nouvel album peut en effet tromper le lecteur sur la paternité de cette BD, en sous-entendant qu’Edgar P. Jacobs, pourtant décédé, aurait pu participer à sa conception.
Sur la couverture de la publication, le nom d’Edgar P. Jacobs, est bien mis en évidence, en caractères plus grands que ceux des deux nouveaux auteurs.
Au dos de la couverture, seul le nom de Jacobs est mentionné, et il est accompagné de sa photo. On ne peut faire mieux pour créer l’équivoque. Le 17 octobre 1996, le tribunal des référés de Bruxelles a interdit la vente de cet album, sous une telle couverture, en Belgique.
Alexis Ewbank est un avocat qui pratique le droit des médias, de la création, de l’image et de la communication depuis une trentaine d’années.
Il est surtout connu en Belgique pour avoir été « l’avocat de Lou ». Il s’agit de Lou Deprijck, la vraie voix qui interprète la plupart des tubes du mime Plastic Bertrand (1).
C’est l’un des avocats de la « Fondation Jacobs », et il m’avait expliqué les conséquences de ce jugement sur la présentation et la paternité du nouvel album : « Sur la couverture de la prochaine édition pour le marché belge, les aventures des deux héros ne seront plus « de Edgar P. Jacobs » mais bien « d’après les personnages de E.P. Jacobs ».
Au verso, la photo d’Edgar P. Jacobs a disparu.
Le récapitulatif des titres des albums de Jacobs lui-même et ceux des reprises sont clairement séparés.
Enfin, nous avons obtenu une nouvelle numérotation commençant par A au lieu du numéro 13».
Qui fait quoi ?
Jacques Martin, le créateur du célèbre Alix, décède le 21 janvier 2010 (rien à voir avec l’animateur télé).
D’autres auteurs, en toute « légalité », prennent la relève pour poursuivre son œuvre. Pour ces fêtes de fin d’année 2024, l’épisode « Le Gardien du Nil », publié par les éditions Casterman, a été fortement médiatisé par un affichage sur la voie publique. Mais tout semble mis en place pour faire croire au public, s’il ignore le décès de Jacques Martin, que ce dernier a créé lui-même ce nouvel épisode.
On découvre bien, à l’extérieur et à l’intérieur de l’album, les noms de V. Mangin et C. Millien… mais on ne saura jamais vraiment, ni qui ils sont, ni ce qu’ils font.
Sont-ce des sponsors (ceux-ci introduisent de plus en plus souvent leurs noms partout où ils peuvent) ? La personne qui colorise les planches ? Un duo de dessinateurs ? Deux scénaristes ? Des inspirateurs que Martin remercierait ?
Quel manque de tact et de respect, de la part de l’éditeur, envers ces deux personnes !
Au recto de la couverture, le nom de Jacques Martin est le premier mentionné – et en caractères deux fois plus grands que pour ceux de V. Mangin et C. Millien. C’est aussi le seul à avoir droit à son prénom écrit en entier ;-).
En quatrième de couverture, un long texte ne donne aucune indication sur la nature du travail éventuellement fourni par Jacques Martin, V. Mangin et C. Millien sur cet épisode. Ces deux derniers ne sont d’ailleurs même pas cités.
Sur la tranche, on mentionne uniquement J. Martin, Les aventures d’Alix, 43 (dans un cercle), et le titre (« Le gardien du Nil »). À l’intérieurs de l’album, une des dernières pages est titrée « Jacques Martin ».
Elle est consacrée aux innombrables titres de la série « Alix » (plus d’une centaine), publiés de son vivant et après son décès, sans distinction. Ici, aucun autre nom n’est mentionné.
À la fin de cette page, on peut lire : « Du même auteur : Lefranc – Jhen – Orion -Keos – Loïs ».
Qui déposera plainte ?
Dans le cas Blake et Mortimer, ce n’était ni le public, ni une association de consommateurs qui avait porté plainte – mais une fondation qui représentait son créateur.
Pour ce nouvel album d’Alix, un procès est improbable, car de simples lecteurs ne vont probablement pas se payer des frais d’avocats élevés pour mettre fin à ce genre de tromperie.
Y-a-t-il d’autres solutions ?
Puisqu’il s’agit d’un affichage public et d’une publicité annonçant le nouvel album d’Alix, chacun pourrait déposer plainte auprès du jury d’éthique publicitaire (JEP) – mais je ne m’y risquerais pas, à titre personnel, vu la façon dont cet organe d’autorégulation a refusé de traiter une de mes plaintes il y a quelques mois (2).
Si l’aventure toutefois vous tente… (3), tenez-nous au courant des suites de l’affaire. Et grand merci à vous !
Bernard Hennebert
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Lou_Deprijck
(2) https://www.asymptomatique.be/une-plainte-en-chorale-par-bernard-hennebert/
(3) https://www.jep.be/fr/formulaire-de-plainte/#
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