MAIS DE QUOI EST-ELLE MORTE ? par Daniel Menschaert (sur Facebook)

Quelques jours après les propos du pape, je républie ce texte que j’avais posté avant le COViD lorsqu’il y avait eu déjà un débat au parlement sur l’allongement du délai pour un avortement. .
Un matin d’octobre 1964, j’avais 14 ans, le téléphone sonne, je terminais mon petit-déjeuner. Au bout du fil mes tantes (c’est ainsi que je les considérais) suisses Esther et Yvonne, annoncent à mon père que sa sœur Liliane qu’elles avaient adoptée en 1947 est morte à l’âge de 32 ans.
Je vais malgré tout à l’école et la matinée commence par le cours de latin. Le professeur m’invite à lire une page de la « Guerre des Gaules », à la moitié de la page je fonds en larmes. Un lien particulier et profond m’unissait à cette tante devenue suisse.
Depuis l’âge de 3 ans, chaque année je passais mes vacances en Suisse avec elle et sa famille adoptive. Cet attachement était réciproque. Après la mort de mon père j’ai pu lire toutes les lettres que sa sœur lui envoyait très régulièrement, elle y parlait beaucoup de moi et de sa tendresse à mon égard.

Mon père, orphelin depuis l’âge de cinq ans avait accompli une véritable épopée à mes yeux d’enfant. En 1945, à la mort de sa grand-mère qui l’hébergeait lui et sa sœur depuis la mort de leurs parents, seul, âgé de dix-huit ans, sans moyens de subsistance, il quitta l’école et prit le train pour conduire sa petite sœur de douze ans à Saint-Imier dans le Jura suisse pour l’y faire adopter sur proposition de la Croix-Rouge.
Sans doute que cette « aventure » dramatique n’était pas pour rien dans les liens entre ma tante Liliane, son frère et moi.
Mais de quoi est-elle morte ? Elle est morte au cours d’un avortement clandestin.
Je n’ai jamais évoqué cela publiquement sauf avec quelques amis très proches. Alors, si aujourd’hui, avec une certaine impudeur je le sais, je partage cela sur un réseau social c’est que ce qui s’est passé jeudi au Parlement a à nouveau ouvert une plaie, m’a fait revivre ma peine, me rappelle mes larmes au cours de latin et puis pendant plusieurs jours chez moi, à la maison. Je regrette d’être aujourd’hui plus vieux qu’elle ne l’a jamais été. Je regrette toutes ces années qui auraient pu être encore celles de nos rencontres.

Ma réaction n’est pas celle d’un militant pour des principes, je suis cela aussi, mais c’est celle de quelqu’un qui a chaque fois a mal quand il voit et entend des gens pérorer au nom de valeurs personnelles, de croyances religieuses qu’ils voudraient universelles, qui ergotent sur la méthode, sur ce qu’il aurait fallu dire, ne pas faire, sur la tactique sans savoir ce que cela signifie de perdre quelqu’un suite à un avortement, de la douleur des femmes qui doivent faire ce choix, des difficultés qu’auront à surmonter des enfants non désirés.
Il n’y a aucune chair dans leurs discours, il n’y a qu’un propos théorique déshumanisé. Les gens qui font de cela un marchandage politique ne sont pas dignes de respect et je pense même qu’ils ne sont pas dignes des valeurs auxquelles cependant ils se réfèrent cyniquement pour combattre chaque fois une avancée démocratique sur la question de la légalisation de l’avortement ou en tout cas de sa dépénalisation totale.
Pardonnez ce coup de gueule. J’avais aujourd’hui besoin de partager ma peine avec des amis.

Daniel Menschaert (sur Facebook)

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