26 septembre 2024
FIER DE MES PARENTS, RÉSISTANTS par Bernard Hennebert.
Bruxelles fut libérée de l’occupation nazie le 3 septembre 1944. Mon père était encore, la veille, avec 1500 autres prisonniers politiques, dans le dernier « train fantôme » de la déportation, que des cheminots résistants purent bloquer à Bruxelles avant son départ pour l’Allemagne ! Et la maison familiale, où j’habite encore aujourd’hui, était un lieu de rendez-vous de la résistance…
Pendant la guerre 40-45, à Ixelles, le sous-sol de cette maison avait été loué par Anne-Marie de Heusch, une résistante. Elle était un agent secret appartenant au service Marc.
Elle vivait dans ce sous-sol sous une fausse identité et y cachait des tas de documents – dont une grande carte d’état-major d’Anvers avec des indications stratégiques.
Ma mère et mon père appartenaient au même service secret.
Ils étaient propriétaires de la maison et y vivaient eux-mêmes, probablement au 1er étage.
Ma mère, Suzanne (Cochaux) servait de courrier : elle promenait le landau de ma grande sœur Michèle, qui venait de naître – elle a trois ans de plus que moi –, avec sous l’oreiller, des messages pour d’autres agents. Ils venaient à un endroit convenu faire risette au bébé, mais en fait, c’était surtout pour s’emparer d’un petit papier d’instructions bien plié.
Mon père, Raoul, fut arrêté par la Geheime Feldpolizei (GFP), souvent confondue avec la Gestapo, le 28 février 1944, peu de temps après une descente chez lui. Le numéro de téléphone de mes parents avait été retrouvé à Gand sur un autre agent arrêté.
L’ENNEMI BREDOUILLE
Un soir, des policiers allemands sonnèrent à la porte. Ils savaient qu’une personne importante de la résistance devait y faire une visite (le chef du service Marc, Max Londot ) et ils voulaient lui tendre une « souricière ». Mais celui-ci n’est pas venu ce soir-là, et les Allemands sont repartis bredouilles au petit matin.
Ils n’ont fait “qu’attendre” puisque c’est cela qu’on leur avait demandé.
La nuit fut rude pour la locataire et pour ma mère, qui lui porta aide en restant avec elle durant ces heures pénibles au sous-sol. Il fallait beaucoup parler avec les Allemands, et leur offrir à boire, pour qu’ils ne commencent pas à inspecter les pièces en enfilade de l’appartement. Ils auraient par exemple pu y découvrir une carte d’état-major annotée de précieuses données, un indice évident de leurs actions clandestines. Finalement, ce jour-là, les Allemands repartirent bredouille, mais ils mirent ensuite la maison sous surveillance.
ABRI DE PARACHUTISTES
Plus tard, mon père fut donc arrêté le 28 février 1944 pour les motifs suivants : « Renseignements et abri de parachutistes ». Il est d’abord incarcéré à la prison de Gand, puis il sera transféré à celle de St-Gilles à Bruxelles. Je dispose d’un document, que m’a retrouvé en 2024 un ami que je remercie ici, Frédéric L. Il s’agit du Dossier « 21 inculpés » qui indique que Raoul devait être transféré en Allemagne. Ce transfert « est décrété par le Gouvernement militaire en date du 3/8/1944 », le jour… qui allait être celui de la Libération de Bruxelles !
1.500 PRISONNIERS DANS UN TRAIN FANTÔME
Mon père aura l’immense chance d’être libéré. Il fut embarqué le 2 septembre 1944 dans un train à la gare du Midi avec quelque 1500 autres prisonniers. Ce train, on le nommera plus tard le « train fantôme », car il ne partira jamais pour l’Allemagne. Après plus de 24 heures de frayeur, tous les prisonniers s’en sortirent sains et saufs.
Pierre Havaux écrit dans « Le Vif » du 29 août 2019 :
« (C’est le train que) des cheminots belges parviennent à mener sur la voie de la liberté, le 2 septembre 1944, à force de ruse, de culot et de courage ». Il aurait dû être « le dernier convoi de déportés politiques pour l’enfer nazi ».
Anne-Marie de Heusch (dont le pseudo/nom de guerre était Mercure) racontera bien plus tard, en 1993, dans « Le Courrier SRA » (n°2) que, le 3 septembre 1944, elle est venue à la maison de mes parents : « Je suis allée voir ce qui se passait et porter des nouvelles. Quand j’ai sonné, une avalanche est descendue les escaliers. C’était les libérés du train fantôme arrêté à Petite-île. Parmi les hôtes (de cette maison), il y avait le propriétaire Hennebert (…) Il y avait aussi Marie-Claire Waterloos, mon beau-frère Robert de Heusch, et d’autres encore dont j’ai oublié le nom ».
Le 2 septembre 1944, dès leur sortie du « train fantôme », une vingtaine de prisonniers politiques, à nouveau libres, ont donc accompagné mon père chez lui pour y passer du temps. Pourtant la maison n’est pas si grande !
Pour évoquer « cette avalanche qui est descendue », je vous propose une photo de la cage d’escalier où elle s’est produite, photo prise juste 80 ans après ce moment heureux. J’ai pu la prendre car je partage toujours en 2024 deux étages de cette maison avec Benoit, mon époux. Heureuse issue… sans laquelle je ne serais jamais né le 20 janvier 1946.
À MA FAÇON
Puis, mon père est décédé brusquement quand j’avais onze ans.
Lorsque mon parrain Jean Cochaux a annoncé sa disparition à ma mère (j’étais dans le petit jardin et je lisais un livre de poche, « Jody et faon »), il a simplement dit trois mots: « Il a succombé ». J’ai découvert cette expression, cet après-midi-là funeste, et j’ai deviné instantanément son sens. Elle me marquera toujours, et aujourd’hui encore lorsqu’elle est prononcée.
Raoul Hennebert gardera des séquelles de son emprisonnement dans sa tête toute sa vie. Je ne saurai jamais si ce sont celles-ci qui entraîneront sa mort ou si sa mort fut accidentelle.
Journaliste, écrivain et animateur culturel, j’ai trouvé, quasi toute ma vie durant, mon bonheur et mon épanouissement en tentant d’être moi-même, à ma manière bien moins dangereuse, résistant également.
C’est ma façon à moi d’honorer mes parents et de tenter de vivre heureux. Chacun s’en sort comme il peut ! À part cela, je suis bien peu « famille »…
Bernard Hennebert
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