CARTES POSTALES D’UN ÉTÉ CULTUREL par Bernard Hennebert

Durant cet été, j’ai continué d’être attentif à vos-nos droits d’usagers culturels. Voici huit pépites disparates avec quelques éléments et questionnements que, hélas, vous ne retrouverez sans doute nulle part ailleurs !

1 : Depuis 1966, il se nomme Alan Stivell

Sur son site, Fnactickets annonce le 22 juillet 2024 que les concerts d’Alain Stivel de Bruxelles et Nivelles (des 5 et 7 septembre 2024) sont reportés aux 18 et 19 octobre 2024 « pour des raisons logistiques imprévues ».
Humour noir: ah bon, elles n’étaient pas prévues ? Et ce « logistique » ne peut-il pas être plus précis?
Ce communiqué, de plus, indique « Vos tickets restent valables pour les nouvelles dates ». Pas un mot sur des possibilités de remboursement. Et aucune excuse à l’égard du public.
Dans ce texte bâclé, il est écrit Alain Stivell et Alain Stivel … Un double zéro en orthographe culturelle élémentaire puisque depuis le début de sa carrière, en1966, cet harpiste s’appelle Alan Stivell, soit son identité civile et son nom de scène.

Ce qui suit ne résoudra pas tout mais cela pousserait au moins le métier à penser à deux fois avant de tromper les usagers après n’avoir pas concrétisé leur contrat qui les lie à eux.
Le 5 juillet 2023, dans une carte blanche publiée dans les quotidiens « La Libre » et « Le Soir », je revendiquais notamment, à un niveau européen, la création d’un nouveau droit pour le public, « celui de connaître la ou les causes officielles du non déroulement à la date prévue » des spectacles. Pour ceux qui réagiraient en m’accusant d’atteinte à la vie privée, je réponds que le public devrait au moins avoir le droit de savoir s’il y a un certificat médical (sans détailler son contenu précis).

2 : Préférer les téléspectateurs aux spectateurs

Slimane (candidat Français à l’Eurovision 2024) annonce qu’il ne chantera pas le 25 juillet 2024 lors du Festival Live au Campo Santo à Perpignan, et ce, vingt-quatre heures avant le déroulement de sa prestation. Les entrées payantes seront remboursées. Selon un article paru le 25 juillet 2024 sur le site du « Midi Libre », il s’est ainsi expliqué : « J’ai pour ordre du médecin de ne plus parler et de me reposer. Douloureuse mais nécessaire décision ».
Or, le jour suivant, se déroule la cérémonie d’ouverture de Jeux Olympiques de Paris du 26 juillet 2024. En amont de cette soirée historique, Slimane donne un autre concert pour un millier de personnes (avec entrées gratuites) devant la basilique de Saint-Denis avec des danseurs, des enfants figurants, une participation de Lara Fabian et un orchestre d’une cinquantaine de musiciens. Le tout est diffusé en direct pendant près de 3/4 heures dès 16H30 sur France 2.
L’artiste parait en belle forme vocale et il est piquant de constater qu’il interprète notamment « Je suis malade » , la chanson de Serge Lama et Alice Dona… De mauvaises langues imagineront qu’il a annulé à Perpignan parce que les centaines de milliers de téléspectateurs du jour d’après étaient prioritaires pour le développement de sa carrière… Il faut choisir entre le spectacle vivant et un tournage pour la télévision?

Ce type de priorité ne date pas d’hier! Constatons une certaine continuité. Trente-quatre ans plus tôt, certains artistes préféraient déjà au public du spectacle vivant les spots des studios de télévision. Dans l’article « The Passadenas: Sacrée Soirée » paru dans le Télémoustique du 2 février 1989, le journaliste B.D. interroge les membres du groupe sur l’annulation d’un concert à la fin novembre 1988 : « Au fait, pourquoi cette annulation? (les musiciens se tournent vers leur manager).
« Hey, Andy, pourquoi a-t-on annulé le concert en Belgique, encore? ». Réponse embarrassée. En fait, la vraie raison est très simple: le soir du concert, ils sont passés à « Sacrée Soirée » sur TF1, une opération promotionnelle sans doute plus rentable… Heureusement pour nous, ils reviennent ».
En dessous de cet article, dont le but était de promouvoir l’achat des tickets pour la nouvelle date, un encadré de dernière minute est ajouté à Télémoustique : « La plaisanterie continue. Leur concert reporté au 28 février (1989) est à nouveau annulé et annoncé vers mai-juin (1989). Les tickets restent valables, mais ils pourront toujours se brosser pour qu’on reparle d’eux ! ».

3 : Le Soir et La Libre «oublient» le prix d’entrée le plus cher

Le 26 juillet 2024, un journaliste de télévision de belle notoriété indique sur son profil privé de Facebook: « Un sorcier prévenu en vaut deux …L’expo immersive «Harry Potter, vision of Magic» qui s’ouvre aujourd’hui à Tour et Taxis vous fera débourser 26,50 euros l’entrée par personne. Pour très peu de véritables interactions, peu de documents, ni sur les tournages, ni sur les livres. Et les prix de l’inévitable «boutique souvenirs» achèveront de vous vider la tête et les poches : 100 euros le simple pull, 40 euros la gourde… Bref, à vous de voir (ou pas) » (le sigle de la chaîne où il exerce ne figure pas sur le matériel promotionnel).

En fait, ce 26,50 euros est le prix minimum pour les + de 13 ans (sauf réductions)… et il ne se pratique que les lundis. Relâche, le mardi. Et les autres jours, c’est (encore) plus onéreux. Soit 32,50 euros, chaque week-end (lorsque la population active se déplace plus facilement). Et le reste de la semaine: 29,50 euros (mon relevé a été fait le 26 juillet 2024 sur le site).

Y-a-t-il un magicien qui fait disparaître dans les rédactions certains prix, et par hasard les plus onéreux? Il semble bien que le travail « d’investigation » ne va pas jusqu’à simplement vérifier la tarification sur le site de l’activité ! Bon, vaut mieux y cliquer sur l’onglet «Belgium» plutôt que sur celui de «Singapore»!

Dans Le Soir (le sigle de ce quotidien ne figure pas sur le matériel promotionnel de cette expo immersive), Camille Vernin indique, le 15 juillet 2024: « Côté prix, on est sur 20,90€ pour les enfants et 26,90€ pour les adultes (16 ans et plus) » (1).
Dans La Libre (le sigle de ce quotidien figure sur le matériel promotionnel), Aude Quinet note, le 24 juillet 2024 : « Les prix d’entrée débutent à 20 euros pour les enfants de 4 à 13 ans, et grimpent à 26 euros pour les 14 ans et plus. Les prix sont réduits pour les pensionnés et les étudiants » (2).
Et certains s’étonnent que, pour soutenir les droits des usagers culturels, je suis aussi attentif aux tarifications exhaustives?
Sur cette thématique, vous (re)lirez dans doute ceci avec étonnement et intérêt (3).

4 : Après Van Gogh… Vermeer !

L’expo immersive (sans les oeuvres « en chair et en os »!) de Van Gogh revient en 2023 dans la capitale européenne.
Dans son édition du 18 février 2023, « La Libre » l’annonce ainsi (en page « culture », page 58) : « Trois cents oeuvres du peintre sont exposées, sur des tableaux ou via des projections du sol au plafond ». Ce verbe (« exposer ») semble particulièrement mal choisi pour une activité où justement les oeuvres ne sont pas « exposées » au sens coutumier du terme, et en faitpas présentes du tout.

Et ce n’est pas un cas unique. Slogans mal choisis, équivoques ou volontairement, consciemment trompeurs?
Le 8 août 2024, la découverte d’une promotion sponsorisée du « Vermeer Centrum Delft » m’est imposée ainsi sur Facebook. : « Vous souhaitez admirer de près les chefs-d’oeuvres de Vermeer? Achetez vos billets dès maintenant et entrez dans son monde au coeur de Delft ». Pourtant la bonne trentaine (36, selon certains, 37 selon d’autres) de tableaux attribués à Vermeer est répartie dans dix villes d’Europe (Londres, Édimbourg, Dublin, Paris, Amsterdam, La Haye, Francfort, Braunschweig, Berlin et Dresde), deux aux États-Unis (New York et Washington, DC) et une au Japon (Tokyo).
Aucune oeuvre n’est répertorié à Delft bien qu’il soit né et décédé dans cette ville des Pays-Bas.

5 : Des voyages « spécifiques » en Autriche

À cause d’un risque d’attentat terroriste, environ 170.000 usagers se verront rembourser leurs tickets, car il leur est annoncé le 7 août 2024 en soirée l’annulation de trois concerts de Taylor Swift qui devaient se dérouler à Vienne du 8 au 10 août 2024. Beaucoup ont déjà fait le voyage, et notamment des USA, car la forte différence de tarification des entrées peut rendre attractif la venue en Europe pour assister à ce type de spectacle.
Par la suite, Taylor Swift donne bel et bien dès le 15 août 2024 à Londres cinq autres concerts censés attirer chacun près de 90.000 fans.

À Las Vegas, le groupe U2 a installé son show « UV,Achtung Baby Live at Sphere » pendant plusieurs mois en 2023 et 2024 dans la « Sphere », une nouvelle salle de spectacle pouvant accueillir près de 20.000 spectateurs. Didier Zacharie décrypte cette façon de faire dénommée « résidence » dans un article paru dans « Le Soir » du 28 octobre 2023 : « En somme, les stars transfèrent les coûts de transports et de logements à leurs fans. Qui paieront un ticket à n’importe quel prix ».

Les évolutions des technologie et des habitudes de consommation poussent le monde musical à gagner davantage sa vie par les concerts. Ceux-ci se multiplient. Beaucoup tentent de devenir encore plus spectaculaires et d’attirer, à chaque prestation, plus de public. Les prix des entrées augmentent, diverses préventes commencent de plus en plus tôt (jusqu’à deux ans, voire encore davantage). D’autre part, on constate aussi que, depuis l’après pandémie, une autre maladie en plein expansion: de très nombreux cas d’annulations ou de reports.

Lorsqu’une partie de la profession musicale ne souhaite plus vraiment développer un travail de décentralisation et incite son public à multiplier des voyages conséquents pour faire le chemin vers leur idole, au moment où le contrat n’est pas respecté, il faut commencer à s’interroger sur certains remboursements de frais de transports et d’hébergements devenus inutiles pour ces spectateurs qui avaient fait pareil déplacement principalement, voire exclusivement parce que le concert ne se déroulait plus comme autrefois près de chez eux.
Pareils remboursements complémentaires à celui du ticket seraient sans doute aussi un levier économique pour pousser la profession à s’organiser afin d’annuler ou reporter moins souvent, ceci pouvant être dans son intérêt, et celui du public, et celui des chanteurs ou des musiciens.
Il est donc opportun que les médias nous sensibilisent davantage à cet épineux dossier. Félicitons ceux qui font cet effort.

Les journaux télévisés de 13H du 8 août 2024 ont largement disserté sur l’annulation des trois concerts de Taylor Swift à Vienne. Celui de France2 s’est contenté d’un « (les spectateurs) seront remboursés ».
Celui de la RTBF a donné la même information et a ajouté : « (…) mais beaucoup de fans avaient prévu un voyage spécifique en Autriche pour la star américaine ». Bien entendu, sur ce sujet, c’est à un niveau européen qu’une législation protégeant davantage les usagers culturels devrait se construire.

6 : Du direct à tout prix

Voici un cas intéressant qui montre la volonté absolue de faire du direct pour une chaîne de télévision. Il est vrai que l’audimat est en jeu puisque le public adore cette façon de présenter la réalité.
En 2024, la chaîne C8 cumule plus de sept millions d’euros d’amendes en huit ans infligés par le régulateur de l’audiovisuel Français (ARCOM) pour plusieurs dérapages de Cyril Hanouna à la barre de « Touche pas à mon poste », programme présenté en direct.

Avant de passer son audition pour tenter de renouveler sa fréquence TNT, C8 annonce qu’à l’avenir, ce programme sera diffusé avec un différé pouvant aller jusqu’à 45 minutes. On imagine que c’est pour avoir le temps de supprimer d’éventuels propos punis par la loi qui auraient été émis durant ces enregistrements.
Malgré cette proposition présentée officiellement à l’ARCOM, C8 voit sa fréquence TNT non renouvelée et devant s’arrêter fin février 2025.
Alors, elle décide de revenir sur sa proposition (connaissant les risques financiers qu’elle court en cas de nouveaux dérapages) et annonce en août 2024 qu’elle proposera quand même son « Touche pas à mon poste » en direct après les vacances d’été, du 2 septembre 2024, et jusqu’à l’extinction des feux, six mois plus tard. Quel amour immodéré pour le direct!

7 : Belle nouvelle!

Depuis peu, les passants de l’avenue Louise à Bruxelles peuvent à nouveau admirer la façade de l’Hôtel Solvay qui a été restaurée (sauf une partie du rez-de-chaussée). Après plus de deux ans de travaux.
Cet immeuble est considéré comme l’un des plus beaux immeubles érigés par l’architecte belge Art Nouveau, le baron Horta. Il est situé au 224, avenue Louise à Bruxelles, à 50 mètres de l’étrange monument «Le Labyrinthe du Monde» de Jean-François Octave dédié à l’écrivaine Marguerite Yourcenar née le 8 juin 1903 dans l’immeuble qui s’élevait naguère juste sur le trottoir d’en face (là où s’ouvre désormais la galerie Bailli-Louise).
En février 2022, alors que la belle façade était cachée, les responsables des visites de ce joyau montraient qu’ils étaient attentifs à leur public. En effet, la découverte de la façade fait bien partie de la découverte, et d’autant plus pour les touristes qui n’ont pas la possibilité de se promener souvent avenue Louise… Sur leur site, ils indiquaient à leurs futurs visiteurs, et ce avant que ceux-ci n’achètent leurs tickets : «Nous restaurons la façade Solvay. Vous réservez un billet à un moment où un échafaudage du chantier est placé pour refaire une beauté au bâtiment». Voilà un charmante et utile attention .
Concernant ce lieu, une plainte de « La Ligue des Usagers Culturels » a naguère abouti.
L’association ne remettait pas en question le fait qu’on ne pouvait pas photographier à l’intérieur de l’Hôtel mais que cette interdiction importante pour beaucoup de visiteurs aurait dû être signalée à ceux-ci avant qu’ils n’achètent leurs tickets. Voici les échanges de courriers qui ont mené à cette meilleure information des visiteurs (4).

8: Quelles langues à Bruxelles?

Les « Journées du Patrimoine 2024 » se déroulent à Bruxelles les 14 et 15 septembre 2024.
L’affiche (voir notre photo) confirme un combat gagné. Nous nous sommes battus nombreux en 2021 lorsque le nom de cette activité ne fut plus que mentionné qu’en anglais sur l’affiche et en couverture du catalogue (5). Actuellement, on est revenu à trois langues : l’anglais, le français et le néerlandais. Dans le bon ordre?
Autre triste évolution. Il n’y a plus la publication gratuite en papier largement diffusée détaillant toutes les activités de ces deux journées. Elle était une mine précieuses d’informations multiples qui intéressent un vaste public qui s’intéresse à l’architecture. C’était un vrai travail d’éducation populaire. Maintenant, les informations ne sont plus accessibles de façon détaillée que sur internet. Ce n’est pas exactement la même chose pour une partie importante du public intéressé par ce type d’activité. D’où le constat d’une absence de coexistence le papier et la toile (6)

Bernard Hennebert

(1) https://sosoir.lesoir.be/une-experience-immersive-sur-le-theme-de-harry-potter-sinvite-bruxelles

(2) https://www.lalibre.be/culture/cinema/2024/07/24/on-a-visite-lexpo-harry-potter-visions-of-magic-a-tourtaxis-bruxelles-en-avant-premiere-32SCDTKKFRGTPG2J6AMJD2IE2E/

(3) https://www.asymptomatique.be/cachez-ces-prix-que-je-ne-saurais-voir-par-bernard-hennebert/

(4) http://la-luc.blogspot.com/search?q=Horta

(5) http://la-luc.blogspot.com/search?q=Heritage+Days

(6) https://heritagedays.urban.brussels/

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