« LES MASQUES TOMBENT », DISAIT-IL par Hugues Le Paige.

Et en effet, les masques sont tombés (1). Et en premier lieu celui du disqualifié de l’Élysée qui a prononcé ces paroles pour renvoyer dos à dos le RN et le Nouveau Front Populaire (NFP). Emmanuel Macron restera définitivement dans l’histoire celui qui a fait monter l’extrême droite à plus de 35 % et lui aura ouvert la voie vers le pouvoir. La politique antisociale qu’il mène depuis le début de sa présidence, les petites combines politiciennes dignes des pires moments de la IVe République et l’abandon des valeurs démocratiques ont produit leur inévitable effet dévastateur.
Aujourd’hui à la veille du 1er tour de ces législatives imposées, on se préoccupe surtout du comportement à adopter pour le second, car la division en trois blocs et la probable participation très élevée provoqueront sans nul doute un grand nombre de confrontations triangulaires.

La question du barrage à l’extrême droite n’a donc jamais été aussi vitale pour le sort de la République. Et jamais les appels au désistement en faveur des candidat·es démocratiques les mieux placé·es ne seront aussi déterminants. Pour une femme ou un homme politique, la responsabilité est immense, visiblement écrasante pour certains. En ces jours dramatiques, c’est le sens même de l’engagement politique qui est en jeu, celui de toute une vie, celui qui déterminera l’avenir de générations à venir.
À gauche, qu’elle soit modérée ou radicale, les positions sont sans faille. En dépit des divergences profondes qui les opposent, de Glucksmann à Mélenchon, le discours est catégorique : barrage au RN. Dans le chaos et la débandade politiques, ce qui serait naturel en temps normal apparait aujourd’hui comme un moment de soulagement. Enfin… Et il faut ajouter que des élus (ex) macroniens, des centristes, des sociaux-libéraux, des syndicalistes et des membres de la société civile sans appartenance ont signé un texte qui affirme sans tergiverser « Les forces démocratiques doivent s’entendre pour bloquer le RN » (2). Même Dominique Strauss-Kahn déclare « En cas d’affrontement RN-LFI, il faut voter pour le parti de Jean-Luc Mélenchon » (3).

Mais il en est d’autres. Macron en première ligne qui applique aux « extrêmes » son nouveau « ni-ni », mais passe l’essentiel de son temps à combattre la gauche avec une rare virulence. Il est vrai que de lui plus rien n’étonnera. Plus surprenant et inquiétant est l’appel signé notamment par deux anciens Premiers ministres, Bernard Cazeneuve et Manuel Valls, qui annoncent : « Notre voix ne se portera ni sur un candidat RN ni sur un candidat LFI » (4). Inutile de préciser que cette prise de position ne pourra bénéficier qu’au premier. La responsabilité est lourde.
Dans un miroir historique inversé, la position du “ni-ni” évoque curieusement celle des communistes allemands dans les années 30. Quand sous la direction de Staline le Parti Communiste Allemand qualifiait les sociaux-démocrates et tous les opposants de gauche non staliniens de “sociaux — fascistes” et refusait de s’allier avec eux pour combattre le nazisme, qui en profita largement.

On a souligné ces dernières semaines la prégnance des idées de l’extrême-droite dans la société française. Elle est incontestable sur bien des terrains. Mais il en est un dont on parle peu et qui pourtant illustre bien cette hégémonie. Le tombereau d’insultes, de mensonges et de haine qui s’abat sur LFI n’est pas seulement provoqué par les polémiques autour de Jean-Luc Mélenchon. Certes celui-ci a trop souvent trouvé les mots et les comportements pour se faire battre. Mais il s’agit de bien plus que cela. Macron et Le Pen se sont associés pour diaboliser les Insoumis. Peu ou prou les médias, les faiseurs d’opinion, les commentateurs de divers horizons ont relayé et amplifié cet ostracisme.
L’idéologie dominante, pour parler d’elle, a fait son œuvre : banaliser et réhabiliter l’extrême droite, exclure la gauche radicale comme si celle-ci n’avait plus droit de cité dans la République Française. Cet effet-là, moins spectaculaire que bien d’autres, sera aussi déterminant dans le scrutin. C’est sans doute encore une raison de plus pour rappeler cette évidence : ne pas faire barrage au RN, c’est devenir son complice.

par Hugues Le Paige, sur son blog et dans l’Asympto, avec l’aimable autorisation de l’auteur.

(1) Voir Le Monde du 4 juin 2024
(2) Le Monde 26 juin 2024
(3) Le Monde 27 juin 2024
(4) ibidem

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