20 mai 2024
PROMESSES ET BILAN DU MINISTRE THOMAS DERMINE POUR LES MUSÉES FÉDÉRAUX par Bernard Hennebert
Les grands musées fédéraux sont un sujet, parmi d’autres, pour évaluer, au fil des années, comment les monde culturel respecte, ou non, ses usagers. Majoritairement financés par des aides de l’état, et non par la vente de leurs propres tickets d’entrée, ils sont placés sous l’autorité d’un membre du gouvernement qui en charge les institutions dites « scientifiques » (au sens large) – ce qui inclut les Musées. C’est Thomas Dermine (PS) qui occupait cette fonction dans le dernier gouvernement De Croo.
Au fil des années, et même des décennies, je poursuis seul, ou comme président de la Ligue des Usagers Culturels (L.U.C.), deux objectifs :
1 : Découvrir les dysfonctionnements et les médiatiser auprès des visiteurs, en espérant que cette publicité poussera les institutions fautives à ne pas réitérer leurs méfaits ;
2 : Proposer des évolutions structurelles à intégrer par ces musées pour éviter à l’avenir pareilles dérégulations. Par exemple, favoriser un débat sans langue de bois entre les visiteurs et les directions de ces institution. En fait, pousser à la création d’outils qui peuvent paraître « petits » à certains, mais qui seront utiles sur le long terme, pour faire évoluer nos institutions publiques vers « le bien commun ».
Un exemple concret ? L’obligation de répondre de « manière circonstanciée », dans le mois, aux plaintes écrites des usagers – qui est un droit acquis en Fédération Wallonie-Bruxelles, mais qu’il faut concrétiser et « faire vivre ».
L’actuelle période préélectorale me semble essentielle pour faire des bilans et préparer l’avenir.
Un « débat contradictoire » ?
Le gouvernement fédéral dit «Vivaldi» est dirigé par le premier ministre Alexandre De Croo depuis le 1er octobre 2020. Onze jours après sa formation, Le Vif publiait une tribune de la L.U.C. intitulée «Quatre propositions pour mieux respecter les visiteurs des musées fédéraux» (1).
Le nouveau secrétaire d’État Thomas Dermine (PS), chargé notamment des musées fédéraux, nous indique par écrit, et à plusieurs reprises, qu’il a l’intention de concrétiser deux d’entre-elles (propositions 1 et 4). Nous relayons auprès du public, à plusieurs reprises et avec grande satisfaction, son positionnement.
À la veille des prochaines élections du 9 juin 2024, il est temps de dresser son bilan. Celui-ci ne me semble pas bon.
Il ne s’agit pas ici de m’opposer à un parti précis. On l’a constaté: le PS belge a déjà, à plusieurs reprises, conquis des droits pour les usagers culturels. En général, tous nos partis démocratiques affectionnent ceux-ci, du moins en théorie. Lorsqu’on passe à la pratique, c’est souvent bien plus compliqué.
Pour préparer ce bilan, la route sera longue (et sinueuse).
Le 10 mars 2024, j’envoie une liste de neuf questions à Monsieur Dermine (étape A).
Les échanges dureront plus de deux mois, s’achevant abruptement au moment où le vrai débat contradictoire aurait enfin pu commencer (c’est du moins mon hypothèse).
Dix jours après le premier envoi, j’adresse un rappel auquel le conseiller «Politique Scientifique» du cabinet répond : « Nous avons bien reçu votre message. Je vous propose d’en discuter avec vous au Cabinet. L’une des dates suivantes vous conviendrait-elle? Le 10, 11 ou 12 avril, chaque fois à 10h30 ».
J’aurais préféré des réponses écrites à des questions souvent complexes et argumentées. C’était devenu une habitude depuis le début de cette législature et, surtout, cela me permettait d’éviter des malentendus puisque notre évaluation aurait été basée sur des écrits. Mais, au moment du bilan, ce ne fut plus le choix de notre interlocuteur. On peut se demander pourquoi.
C’est donc le 10 avril 2024 que je me rends au cabinet, au 61, rue Ducale. Dans une salle vide (voir notre photo), à 10H30, j’ai le temps de préparer tous mes documents et de savourer un café. Un quart d’heure plus tard, un membre du cabinet me rejoint, mais ce n’est pas la personne avec qui j’avais échangé jusqu’à présent.
Mon hôte tient en main une série de feuilles de papiers qu’il compulsera au cours de l’entretien (si ce sont les réponses écrites à mes questions, pourquoi ce texte ne m’a-t-il pas été envoyé?). Il me demande d’excuser son confrère qui a eu un empêchement en dernière minute.
Sans être trop gourmand, je m’attendais à un entretien d’une heure environ. Il ne durera qu’une demi-heure (de 10H45 à 11H15 précisément) et commencera par une demande de présentation de la L.U.C. qui aboutira sur un questionnement précis sur sa représentativité : pas « Combien avez-vous de membres ? » mais bien « Combien avez-vous de membres en règle de cotisation ? ».
Je réponds avec un grand sourire que notre ASBL née en juin 2010 est composée de bénévoles, et que nous n’avons pas de compte en banque, vu que le monde bancaire n’est pas très chaud pour travailler avec les “associations de fait” du secteur non marchand. Mais que cette façon d’agir n’a rien “d’illégal” !
Il nous resta donc environ vingt minutes pour étudier les réponses du cabinet aux neuf questions complexes dont celui-ci avait eu connaissance par écrit un mois plus tôt. Pas exactement vingt minutes, même, car l’entretien sera interrompu plusieurs fois, mon interlocuteur étant appelé à diverses reprises au téléphone. Il est en effet attendu à une autre réunion. J’avale ce que je pense être de subtiles couleuvres avec le sourire et je ne redemandes pas un second café.
Dès le lendemain, j’envoie un e-mail au cabinet avec une mise par écrit des réponses qui m’ont été données de vive voix, et je demande son accord pour les publier. Bien entendu, je suis preneur pour toute rectification ou ajout (étape B). Est-ce un petit piège que le cabinet n’avait pas imaginé?
Le 25 avril 2024, le cabinet me fait parvenir des réponses écrites bien plus détaillées (étape C). Celles-ci méritent de nombreuses réactions. Je les envoie le 29 avril en espérant qu’enfin, un débat contradictoire va enfin pouvoir démarrer (étape D).Cette nouvelle missive reste d’abord sans réaction et la date des élections s’approche (pourtant, nous nous étions pris à temps). Il est vrai qu’il faut une certaine somme de travail pour préparer des réponses à nos nouvelles remarques pointues, et parfois incisives…
Le 13 mai 2024, je me fends alors d’un rappel bien poli.
Moins de 24 heures plus tard, le 14 mai 2024, le cabinet Dermine répond : « Je crains que nous n’aurons pas la capacité dans les prochaines jours et semaines pour refaire une boucle par rapport aux sujets ci-dessous. Cela est lié au grand nombre de dossiers encore à traiter avant la fin de la législature ainsi que l’absence imprévue de certains collaborateurs. Nous espérons néanmoins que les réponses apportées lors de nos échanges par mail ou en présentiel permettront de bien préparer le bilan. Merci d’avance pour votre compréhension » (étape E).
Premier sujet : “C’est pour quand, les 15 droits du Code ?”
Finalement, les deux promesses de « début de règne » de Thomas Dermine auront-elles au moins abouti avant la fin de cette législature? Hélas…
Le 10 novembre 2020, Mr Dermine écrivait à la L.U.C.: « Je fais miens à la fois les objectifs et les 15 premiers engagements du Code du respect des usagers culturels». Dans d’autres courriels, il réitère ce même positionnement.
Répondant à une question écrite datée du 06/12/2022 (n° 181) du parlementaire Nicolas Parent (ECOLO), il annonce la rédaction d’une charte des utilisateurs «comme il en existe en Communauté française, avec les responsables des musées et les associations représentant les utilisateurs». Pour le secrétaire d’État, cette préparation doit se réaliser avec « les conseils des associations d’usagers comme la vôtre (Il parle de la L.U.C.) qui seront bien entendu très précieux ».
Pour la L.U.C., il est important de reprendre la totalité des 15 droits déjà négociés de la “charte des usagers” initiale.
Pas de créer une autre “charte”, ou un “règlement des usagers” avec des propos soporifiques qui n’engageraient presqu’à rien de concret – comme cela existe parfois ici ou là…
C’est quoi, ces 15 droits? En décembre 2022, la Fédération Wallonie-Bruxelles republié, et donc pérennisé avec une nouvelle mise en page sur son site « culture.be », le texte des 15 obligations du « Code des usagers culturels » créé seize ans plus tôt (2).
Le 25 avril 2024, le cabinet nous fait finalement parvenir sa réponse écrite.
La voici, avec ses détails techniques : « Il s’agit d’une question légitime : nos musées savent bien indiquer les devoirs des visiteurs, mais moins leurs droits. Bien entendu, le droit général de la consommation s’applique également aux visiteurs des musées, mais la question est de le préciser.
L’utilisation d’un code général des droits des usagers, comme en Wallonie, pourrait être une source d’inspiration.
Depuis la dernière conversation évoquée par M. Hennebert (janvier 2023), Belspo n’est pas resté inactif. En 2023, tout était prêt pour créer une nouvelle direction générale «Publics et Collections». Celle-ci a démarré en janvier 2024.
En mars 2024, un plan opérationnel est approuvé pour l’ensemble de Belspo, incluant des objectifs spécifiques pour la DG P&C. (…) L’action présentée comme la plus urgente est de «Créer une charte des utilisateurs», à réaliser d’ici fin 2024 . C’est donc imminent, et pour tous les ESF. Pour ce faire, la contribution des médiateurs culturels des ESF sera également incluse ».
Le 29 avril 2024, la L.U.C. réagit par écrit à la réponse du Cabinet Dermine (étape D):
« On est bien d’accord sur ce sujet. Mais il manque trois précisions. Pourriez-vous nous les donner?
1 / Tant Michel Draguet (l’ancien patron des MRBAB) que le secrétaire d’État Dermine, dans leurs écrits respectifs, souhaitent reprendre les « 15 premiers engagements du Code des usagers culturels ». Dans votre réponse, vous parlez seulement d’une «Charte des utilisateurs». S’agit-il bien de la reprise des points 1 à 15 du Code des usagers culturels?
2 / Le secrétaire d’État Dermine a indiqué au parlementaire Nicolas Parent que ce travail serait fait avec «les responsables des musées et les associations représentant les utilisateurs». Dans votre réponse, vous n’indiquez qu’une « contribution des médiateurs culturels des ESF », ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Des associations représentants les usagers et/ou des experts «usagers culturels» sont-ils associés au travail préparatoire de la Charte ? Personnellement, je connais plusieurs de ces associations ou de ces experts, et aucun d’entre eux, au moment où je vous écris, n’a été contacté alors que vous nous confirmez que la Charte doit être concrétisée à la fin de cette année.
3 / À la L.U.C. , qui est à l’origine de la demande de reprise par les musées fédéraux des 15 points du Code des usagers culturels, pouvez-vous indiquer les noms de ces associations représentants les usagers et/ou des experts «usagers culturels» qui sont associés au travail préparatoire de la Charte? On peut imaginer qu’ils sont au travail actuellement, vu les délais annoncés pour la concrétisation de cet objectif (fin 2024)».
Ces questions resteront sans réponse. Ce n’est donc qu’après les élections que l’on saura si le secrétaire d’État Dermine a concrétisé les promesses faites un peu moins de quatre ans plus tôt.
Second sujet : Des « livres d’or » ? “Oui”, puis “non” !
Depuis de nombreuses années, la L.U.C. constate diverses malveillances à l’égard des visiteurs de la part de plusieurs institutions muséales fédérales.
L’une de ses quatre propositions complémentaires pour tenter d’y faire barrage est de créer un site internet spécifique qui rassemblerait tous les livres d’or de ces différentes institutions.
C’était l’une des deux solutions retenues par le Secrétaire d’État. Il l’a signalé à deux reprises à la L.U.C. .
Pour dresser notre bilan, j’interroge son cabinet sur l’état d’avancement de cette option.
Le 25 avril 2024, celui-ci explique par écrit qu’il a complètement changé d’avis (étape C) : «Il n’y aura plus de livres physiques ou virtuels dans lesquels les utilisateurs partageront leurs commentaires sur une exposition. Aujourd’hui, ces commentaires sont recueillis par des applications en ligne telles que Tripadvisor, Google Review, etc. Il est logique que le suivi de la satisfaction des visiteurs soit également effectué dans ce cadre, ce que l’Observatoire des publics, qui fait désormais partie de la DG P&C, fait depuis des années».
Le cabinet Dermine refusera de répondre à la réaction écrite de la L.U.C. face à cette volte-face. La voici :
«Le secrétaire d’État Dermine abandonne ainsi son soutien à notre proposition après avoir exprimé celui-ci par écrit à plusieurs reprises pendant plusieurs années. Dans le secteur culturel, beaucoup croient agir pour le bien des usagers, mais ne se rendent pas compte qu’en fait, ils ne se sont le relais et ne soutiennent que le point de vue des organisateurs. Cela nous apparaît être le cas dans le présent changement radical de cap.
Notre proposition ne se contente pas d’offrir aux autorités des avis qui permettent de mieux cerner les réactions des visiteurs (ce qui est votre seule option, à vous lire). C’est un objectif bien utile, mais ce n’est pas le seul.
Elle aurait aussi permis à ces derniers de découvrir ces multiples données, étant ainsi encouragés à s’exprimer eux-mêmes, et aussi à soutenir l’une ou l’autre revendication déjà émise par d’autres.
L’expérience montre que le mécanisme que nous proposons est utile aux directions des musées d’une façon complémentaire à celle que vous suggérez.
Par exemple, en 2010, à Paris, le musée d’Orsay a interdit toute prise de photos à ses visiteurs. Le livre d’or sur son site internet a permis à sa direction de prendre progressivement conscience que l’opposition du public à cette décision était constante, et importante. Cinq ans plus tard, en 2015, le musée d’Orsay a rétabli l’autorisation des prises de photos. Ainsi, pareille initiative a pu être autant utile aux gestionnaires des infrastructures culturelles qu’à leurs publics.
Et avec même deux « plus ». Le visiteur qui souhaite s’exprimer à propos de tel musée va, sur ce site, découvrir les autres institutions et la façon dont leurs publics respectifs les perçoivent. Le gestionnaire économique ne peut qu’être intéressé par pareille façon de faire qui va permettre à des visiteurs de remarquer le dynamisme d’autres musées, ce qui peut leur donner l’envie de les visiter. Cet atout n’existe pas dans la proposition alternative que vous présentez.
Enfin, la multitude des réflexions d’usagers à propos d’autant de musées va permettre à une partie du public de mieux comprendre les coulisses culturelles et de devenir plus exigeant, en tenant compte d’une situation plus globale. C’est un plus qui, en fin de compte, ne peut qu’améliorer l’accueil des visiteurs et, réciproquement, l’estime de ces derniers pour nos institutions culturelles fédérales.
Que pensez-vous des nouveaux arguments que nous vous présentons, suite à votre revirement?
Y-a-t-il une autre raison à nous opposer que l’éternel argument économique, qu’on renvoie aux usagers à tout propos?».
Troisième sujet : Comment financer l’audio-guide
Pour ce travail de bilan, sept autres thématiques sont proposées par la L.U.C. au secrétaire d’État : on diminue de moitié de l’espace à visiter mais on conserve la même tarification ; deux musées appliquent un horaire qui rend impossible leur visite par la population active (car fermés tous les week-ends et jours fériés) ; impossibilité d’acheter son ticket à l’accueil avec du liquide ; demande de suppression de l’indication au dos des ticket de la phrase «Ni échangés, ni remboursés » lorsque certains musées reconnaissent eux-mêmes qu’il leur arrive de faire le contraire, etc.
Sur un seul point, la L.U.C. remercie Thomas Dermine.
Il faut savoir que les musées fédéraux belges ne choisissent pas eux-mêmes leurs tarifications. C’est le membre du gouvernement fédéral chargé de cette matière qui les décide. C’est lui donc qui a acté la réintroduction de l’audio-guide dans le prix d’entrée du musée des Instruments de Musique (MIM), par un arrêté ministériel signé le 12 février 2021.
Il s’agit ici d’une exception au principe selon lequel il est souvent plus avantageux pour l’usager que la location de l’audioguide soit dissociée du prix de la visite. Certains visiteurs n’ont pas toujours envie d’utiliser cet outillage. De plus, le nombre des langues disponibles dans les audio-guides est limité, et si vous ne comprenez aucune d’entre elles, vous payez pour un service qui ne vous est pas rendu.
Mais l’exception peut confirmer la règle, comme le prouve le présent exemple. Au MIM, l’usage de ce guide sonore s’avère indispensable à la visite. Il permet en effet de découvrir les sons émis par tous les instruments exposés. Dès lors, son utilisation est essentielle.
Pendant plusieurs années, c’est l’inverse qui avait été appliqué, comme le regrette une tribune publiée sur deux pages dans La Libre du 12 septembre 2017 (3).
Les quatre propositions de la L.U.C. publiées par Le Vif avaient été rédigées après les dernières élections. Les différents partis ne s’étaient donc engagés à rien avant que le public n’aille aux urnes.
Il faut aujourd’hui tirer l’enseignement du peu d’effet qu’elles ont produit dans la vie de nos musées fédéraux. Aussi, la L.U.C. a demandé, dans le cadre de la campagne pour les élections du 9 juin 2024, à chacun de nos six principaux partis francophones de se positionner sur chaque proposition. Affaire à suivre !
Ici, je vous ai détaillé les échanges avec le cabinet du secrétaire d’État sur trois des neuf sujets abordés. Tous les détails concernant les autres se découvrent sur le blog de la L.U.C. (4)
Bernard Hennebert
(1) http://la-luc.blogspot.com/2020/10/quatre-propositions-pour-notre-nouveau.html
(4) https://la-luc.blogspot.com/
Les commentaires sont fermés pour l'instant.